J’avais déjà présenté la poète russe Maria Galina en décembre dernier, et vous pouvez retrouver mon article ici.
Il s’agit de nouveau du recueil « L’Invisible est lumineux« , paru chez Agullo Editions en 2023.
Ayant découvert que l’un de ses poèmes parle de capitales ou de grandes villes d’Europe, j’ai pensé que ça irait bien avec ce Mois sur le thème du voyage. Dans ce long poème en prose, elle parle successivement des odeurs et des ambiances caractéristiques d’Odessa, de Lvov, de Piter (Saint-Pétersbourg), de Moscou et de Londres. Je partage ici seulement les deux extraits sur Odessa et Londres.
Note biographique sur la poète
Maria Galina est née en 1958 à Kalinine, Russie. Diplômée de la faculté de Biologie de l’Université d’Odessa, elle vit à Moscou à partir de 1987. Autrice d’une dizaine de romans. Elle officie également en tant que traducteur littéraire et a notamment traduit en russe Stephen King, Jack Vance ou Clive Barker. Son roman L’Organisation a été lauréat des prix Marble Faun, Portal et Silver Caduceus. Son œuvre est traduite en anglais, italien et polonais. Elle est également poète et critique littéraire. Elle décide de vivre à Odessa, en Ukraine, dès 2021, où elle consacre l’essentiel de son temps à tisser des filets de camouflage pour l’armée ukrainienne.
(Source : Editeur)
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Chaque ville a son odeur. Odessa sent la mer, les algues rejetées sur le rivage, déjà sèches et chaudes, mais aussi et surtout, elle a l’odeur du marché Privoz. Fumet de légumes pourrissants, de boue qui clapote sous les pas, un gros garçon se tient dans une cour pavée, tandis que sa grosse mère crie, se penchant par la fenêtre : Monya, viens manger. Depuis longtemps, Monya est adulte et chauve, depuis longtemps, sa maman est au sheol, dans la pénombre grise, mais elle n’en reste pas moins à la fenêtre jusqu’à ce jour : Monya, crie-t-elle, Monya, vas-tu enfin rentrer, chenapan. Monya resserre sa cravate, arrange sa veste, rajuste sa chemise, il monte lentement l’escalier, sa main gauche plaquée contre la cuisse, et sa maman, sous le chambranle de la porte, dit : tu veux ma mort…
(…)
Londres sent le produit de nettoyage, les bouffées de parfum, la pourriture à l’heure du reflux, les planches humides, des vaguelettes ondoient sous une lumière verticale. Il y a des femmes en manteaux noirs aux chevilles fines, aux escarpins telles de petites barques, elles ont le menton un peu fuyant, à part cela, elles sont presque parfaites. Ici, nous sommes des étrangers, restons-y donc, nous pourrions devenir des ombres sous les ponts, les trains gronderaient au-dessus de nous, tandis que les gens bien liraient leurs journaux, il parait qu’il y a encore quelque chose qui cloche dans la famille royale… Personne ne saurait nous attraper, rien ne saurait nous nuire, nous serions des ombres parmi les ombres des citadines angoissées qui traversent les docks et les quartiers humides, sentant qu’il y a quelqu’un de sombre et d’effrayant qui les suit, quelqu’un de sombre et d’effrayant qui les attend dans le brouillard, quelqu’un qui reste à se taire en face, sombre et effrayant, quelqu’un marche sur nos pas, quelqu’un marche sur nos pas…
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