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(Spécial 1500ème) Jeff Buckley so far: 1993-1994 – Mon Elvis à moi !

Publié le 21 janvier 2025 par Heepro Music @heepro
(Spécial 1500ème) Jeff Buckley far: 1993-1994 Elvis

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1997-2000, mes années lycée. Celles, également, où j’ai découvert Jeff Buckley, avec Grace d’abord, puis Live At Sin-é et Sketches For My Sweetheart The Drunk. Oui, c’était, malheureusement et par la force des choses, de façon posthume. Je n’ai aucun souvenir de Jeff Buckley avant sa mort. Mon souvenir le plus lointain, la photo de lui, en couverture d’un magazine musical que je suivais, chez mon libraire fétiche d’alors et d’aujourd’hui encore : il était en une, parce que, justement, il venait de nous quitter, tragiquement.

Plus de 25 ans se sont écoulés depuis, et même 30 depuis son tout premier disque, l’EP enregistré à Sin-é, à New York. Absolument tout a été dit, écrit, publié sur Jeff Buckley. Mais sa musique, étonnamment, reste comme immaculée, toujours aussi troublante même en 2023. J’en suis moi-même le premier surpris, en ayant réécouté Grace d’abord puis Live At Sin-é dans sa version longue (non plus quatre mais chansons). Les frissons étaient encore là, sa musique demeure intouchable… et sa voix, que dire ? Elle est incroyable de sincérité. Et, lors de l’écoute du live, le passage entre chant et monologue où il est carrément drôle le rend encore plus touchant. Retour sur ses deux seuls véritables disques publiés lors de son vivant (j’omets volontairement les singles, EPs et live consécutifs à la sortie de Grace et la tournée pour l’album mais ne peux me résoudre à laisser de côté Sketches For My Sweetheart The Drunk).

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(Spécial 1500ème) Jeff Buckley far: 1993-1994 Elvis

Le tout premier disque de Jeff Buckley à voir le jour, le voici : un maxi de 4 titres enregistrés directement sur « scène », en fait dans un bar irlandais de New York, le dorénavant célèbre Sin-é.

L’histoire de ce petit disque est simple. Depuis le mois de mai de cette même année, 1993, Jeff Buckley joue au Sin-é accompagné uniquement de sa guitare des morceaux de divers interprètes ou groupes qu’il affectionnait et qui l’ont donc logiquement influencé : de Dylan à Nina Simone, en passant par Led Zeppelin, Nusrat Fateh Ali Khan ou encore the Smiths. Cependant, il composait déjà et interprétait également certains morceaux qui figureront ensuite sur son (premier et unique) album, Grace.

Rapidement, il se fait remarqué et démarché par des maisons de disques avant de choisir Sony et son label Columbia, lequel label décide de sortir en préambule à un album, ce mini-album afin de tester le marché et voir ce qu’en pensent les critiques. On connaît la suite de la carrière de Jeff Buckley. revenons donc ici sur l’essentiel : chacun des quatre morceaux choisis pour figurer sur Live at Sin-é. A savoir, deux compositions de l’artiste et deux reprises.

Tout d’abord, « Mojo pin ». Ce titre a en réalité été écrit en collaboration avec le guitariste Gary Lucas et figurera sur Grace également en position initiale. Ici, live oblige, tout commence par des applaudissements, puis vient une phrase d’introduction du chanteur : « This is a song about a dream ». La voix de Jeff Buckley est absolument parfaite : ce type était fait pour les concerts, et on l’entend pendant les cinq minutes que durent la chanson. La chanson termine à nouveau par des applaudissements, nous rappelant que nous sommes bien en train d’écouter une prise en direct. Effectivement, la production de ce live est irréprochable.

Ensuite, « Eternal life », qui se trouve aussi sur Grace. Cette fois-ci, c’est la guitare qui ouvre le jeu… et la voix de Jeff vient appuyer, voire s’abattre sur nous : on comprend pourquoi ce morceau est le plus lourd sur Grace quand on se rend compte de la rage qui sort de l’homme.

Première reprise : « Je n’en connais pas la fin »… d’Edith Piaf ! Oui, sur son premier disque, il n’y a pas que du rock. Jeff savait jouer de la guitare, certes, mais pouvait et aimait chanter tout ce qui lui plaisait : une « chanson » en français (ici, il ne chante en réalité que le refrain en français) qui explique peut-être en partie pourquoi les Français ont été les premiers à adopter Jeff Buckley, aussi bien au niveau des ventes que d’un point de vue critique. Le morceau est une jolie petite surprise : mélodique, il nous ferait presque oublier que c’est pour nous un classique.

Finalement, « The way young lovers do » de Van Morrison referme la parenthèse « chanson » et revient à quelque chose de plus traditionnel : seulement, si à l’origine le morceau durait trois minutes sur l’album Astral Weeks qui était sorti en 68, Jeff le fait lui durer dix minutes… pour un final tout en guitare qui nous permet d’être sûr d’une chose : en perdant cet artiste beaucoup trop tôt, c’est autant un chanteur (ou plutôt « chantouuuse » comme il le disait lui-même) qu’un guitariste qui nous manque.

Aujourd’hui, quel que soit notre avis sur tout le côté commercial de tout ce qui sort avec l’étiquette Jeff Buckley apposé, Grace et, avant lui, Live at Sin-é nous montrent définitivement un très grand qui, s’il n’est pas LE meilleur, avait au moins le mérite d’avoir une personnalité qui transcendait tout ce qu’il chantait et n’a jamais voulu répondre aux attentes d’une raison commerciale : pour preuve, ce dernier titre qu’il voulait faire traîner pour le plaisir de nos oreilles.

Petit, mais costaud.

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(Spécial 1500ème) Jeff Buckley far: 1993-1994 Elvis

Hormis les choix dus à l’actualité, il est une évidence : la musique des années 90 tient une place majeure dans mon éducation musicale et, plus précisément, tout se concentre avant de s’ouvrir à de plus grands horizons sur une année en particulier : 1994. Outre la disparition de Kurt Cobain, c’est aussi l’année de rupture par excellence d’une époque s’ouvrant sur une autre, notamment pour ce qui concerne le rock et le mouvement grunge. Le premier album de Jeff Buckley sortit un an après son premier disque, l’EP  Live At Sin-é et ses quatre titres, datant d’il y a vingt ans tout rond.

Mais alors, pourquoi ne pas avoir attendu encore un peu plus, afin d’aborder l’unique album studio de l’artiste pour les vingt ans de sa sortie, en 2014 ? Parce qu’à mes yeux, inutile d’attendre cet anniversaire, je préfère saluer les débuts de l’artiste, dont la carrière professionnelle n’aura réellement durer officiellement que l’espace de cinq années, avant même la conclusion des sessions d’enregistrement de ce qui aurait été le digne successeur de Grace. De plus, après avoir tant hésité et refusé de m’y consacrer, le moment s’est finalement présenté de lui-même, et je prends alors l’appel et y réponds.

Comme tout classique, tout a déjà été écrit sur Grace ou sur son concepteur Jeff Buckley. De la préparation du terrain par la maison de disques avec un EP aux 500,000 dollars alloués au jeune talent alors pour son premier album studio, en passant par sa tournée de promotion qui durera près de deux ans, sans oublier ses débuts connus dans la chanson (à l’occasion d’un concert en mémoire à son père, Tim Buckley, lui-même décédé tragiquement, à 27 ans mais après une carrière plus prolifique – à quel prix direz-vous !) aux circonstances de sa mort, tout à fait accidentelles mais véritable couperet, tout semble connu dans les moindres détails.

Idem concernant la musique de Grace. Des reprises de Nina Simone, Leonard Cohen ou Benjamin Britten (« Corpus Christi carol » est sans doute le titre qu’il a le moins interprété en concert, la difficulté d’un tel chant l’expliquant logiquement), à ses compositions en collaboration avec Gary Lucas ou seul, puis en collaboration avec les trois différents membres du groupe alors monté pour l’accompagner aussi bien sur scène que dans les studios, tout aura été décortiqué. Notamment, le choix de Jeff de laisser tomber, au dernier moment, le morceau « Forget her », car il était lassé après l’avoir tant joué. Ainsi, c’est « So real » et son accord trouvé par Michael Tighe qui le remplaça, sur le fil, et devint même un single.

Ici, dans cette Legacy Edition, efficacement publiée en 2004, le morceau « Forget her » est ajouté, non pas en onzième piste comme c’est le cas sur les dernières versions simples de Grace, dénaturant forcément la cohérence tant recherchée par Jeff Buckley, ce qui est donc un sacrilège, mais sur le second disque d’inédits et raretés liés à la genèse de Grace. De plus, il y a, comme toujours avec Jeff, des reprises : Hank Williams, Screaming Jay Hawkins, Bob Dylan, Bukka White, à nouveau Nina Simone, Big Star, Shudder To Think et MC5 sont tour à tour revisités ici. Le troisième disque est un DVD offrant un « making of » (déjà connu et publié, mais ici dans une version longue incluant des commentaires supplémentaires) et les cinq vidéos accompagnant les singles.

Une très belle édition, pour un classique inimitable, à l’époque écoulé à deux petits millions d’exemplaires dans le monde alors que Columbia voulait et voyait en Jeff Buckley une potentielle poule aux œufs d’or. Ce qu’il ne chercha jamais à devenir de son vivant mais il l’est cependant devenu malgré lui, grâce ou à cause du succès posthume de « Hallelujah », pourtant jamais choisi pour être un single mais qui devint en dépit de cela numéro un dans de nombreux pays. Son utilisation, à satiété, dans des émissions ou des séries ou films aura aidé à faire passer cette chanson de Leonard Cohen à la postérité, tout comme son interprète secondaire, qui n’en avait cependant nullement besoin.

La vague est passée (celle qui l’emporta dans le Mississippi en 1997, comme celle qui emporta son art dans les années 2000 vers un succès commercial presque honteux avec le recul). Pourtant, 2014 risque d’être un bel anniversaire, sans fioriture. Dire qu’il n’aurait eu que quarante-sept ans cette année… Il aura avec Grace vingt-sept ans à tout jamais (l’âge qu’il avait à la sortie du disque).

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(Spécial 1500ème) Jeff Buckley far: 1993-1994 Elvis

Vous n’apprendrez rien de nouveau sur lui, mais peut-être découvrirez de Jeff Buckley l’un des seuls disques posthumes lui rendant l’hommage qu’il mérite. Cependant, à la sortie de ce double album compilation en 1998, la tourmente était déjà lancée. Disparue l’année précédente, après n’avoir officiellement réalisé qu’un EP et un LP, respectivement le Live At Sin-é (quatre titres) et Grace datant de 1993 et 1994, la sortie de ces vingt titres fut un véritable casse-tête autant pour les proches de l’artiste que pour ses déjà très nombreux fans.

En effet, Jeff Buckley est décédé tragiquement en pleine période d’enregistrement de ce qui devait être son second album, au titre probable mais non certain de My Sweetheart The Drunk. D’où l’ajout ici du substantif sketches, puisqu’il ne peut s’agir de sortir l’album dans la mesure où il n’était pas terminé, peut-être même très loin de l’être, d’où les problèmes éthiques que pose cette publication. Plus de dix ans après, et la montée sans cesse croissante de la notoriété de Jeff Buckley, et, par conséquent et malheureusement, la multiplication des sorties de compilations, lives ou rééditions, ce Sketches For My Sweetheart The Drunk se révèle être le seul disque de cet après-97 à posséder, avec les deux disques précédemment cités, ainsi que le DVD Live In Chicago.

Chacun des deux disques diffèrent de par son approche. Le premier possède l’apparence d’un véritable album totalement terminé (j’ai bien dit l’apparence). Comme l’image de l’artiste sur la couverture : au-delà du fait qu’il s’agit d’une photo, c’est en dépliant le livret que l’on se rend compte que ce n’est pas Jeff Buckley, mais son reflet sur un miroir (d’où l’aspect légèrement floue de la photo). L’image est on ne peut plus explicite : oui, il est définitivement passé de l’autre côté du miroir. Ensuite, la musique elle-même n’est plus tout à fait celle de l’artiste, mais désormais uniquement celle de ses auditeurs (sans oublier ceux qui gèrent dorénavant sa carrière posthume).

Donc, au final, le premier disque et ses dix titres ne possède pas de réel défaut, si ce n’est qu’il manque une homogénéité évidente, puisque l’on pourrait classer en deux groupes les chansons : celles qui semblent parfaites, c’est-à-dire produites parfaitement, et les autres, manquant de parfois de relief, même si ces dernières n’en demeurent pas moins aussi bonnes, voire meilleurs que les autres. Seule « You and I », en bout de disque, dépareille vraiment, avec son côté lyrique exacerbé.

Sur le second, on sent bien vite l’envie d’offrir encore de la musique (je ne crois pas à du remplissage une seule seconde). D’entrée, « Nightmares by the sea » et « New year’s prayer » vous laisseront sur votre faim, les deux étant déjà présents sur le premier disque dans des versions tellement proches que, pour le coup, on aurait pu croire au fameux remplissage. L’écoute de l’intégralité du second volet est très difficile, avec des moments très douloureux (la reprise de « Back in NYC » de Genesis), ou d’autres plus évidents, comme « Jewel box » et « Satisfied mind » (la troisième reprise, avec celle de « Yard of blonde girls » sur le premier disque). Quatre sessions d’enregistrements avec Tom Verlaine (ancien Television) avaient eu lieu, dont une non-officielle en compagnie de l’ami de longue date du chanteur, Michael Clouse, en tant qu’ingénieur et donc à la place d’Andy Wallace (qui avait déjà travaillé sur Grace), ayant donné les meilleurs résultats, que l’on retrouve sur le double disque. Quant au choix des titres à publier ou non, la mère du chanteur disparu, Mary Guibert, ainsi que Chris Cornell (ancien Soundgarden) y ont contribué. Quant aux musiciens, Michael Tighe à la guitare et Mick Grondahl étaient restés à ses côtés après le premier album.

Au final, et fort logiquement, il ne peut s’agir d’un album post-Grace, car tout n’est pas génial parmi les vingt différents titres offerts. Malgré tout, Sketches For My Sweetheart The Drunk possède de nombreux sommets : le single « Everybody here wants you », « Opened once », « Nightmares by the sea », « Witches rave », « New year’s prayer », « Morning theft », le déjà joué sur scène « Vancouver » ou encore « Haven’t you heard » et les déjà cités « Jewel box » et « Satisfied mind » (qui avait été enregistrée en 1992), et j’ajoute « Thousand fold » (présente en bonus sur l’édition japonaise). Un dernier album, si l’on peut le considérer comme tel, dédié à Nusrat Fateh Ali Khan, que Jeff considérait, comme il aimait à le rappeler, comme son Elvis à lui. Inshallah.

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That’s all, folks!

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(Spécial 1500ème) Jeff Buckley far: 1993-1994 Elvis
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