
L'histoire : Dans le Rio de Janeiro du début des années 1970, sous la dictature militaire, l'ingénieur Rubens Paiva (Selton Mello) est arrêté sans justification, son seul tort étant d'avoir jadis appartenu à des mouvements gauchistes. Impuissante face à l'arbitraire du régime, son épouse Eunice (Fernanda Torres) n'a d'autre choix que de fuir Rio avec leurs cinq enfants pour reconstruire leur vie à São Paulo. Portée par un courage inébranlable, elle devient une figure majeure de la défense des droits autochtones, tout en menant une lutte acharnée pour faire éclater la vérité sur la disparition de son mari.
Sortie en salle au Québec : 31 janvier 2024 (Métropole Films Distribution)
Présenté en première mondiale au Festival international du film de Venise l'an dernier, Je suis toujours là (Ainda Estou Aqui / I'm Still Here) ne cesse de récolter distinctions prestigieuses, dont trois nominations aux Oscars: (Meilleur Film, Meilleur Film International et Meilleure Actrice pour Fernanda Torres. Cette dernière, qui vient tout juste de remporter le Golden Globe de la meilleure actrice dans un drame, livre une performance bouleversante qui fait d'elle l'une des grandes forces de ce récit poignant, à la croisée du biopic historique, du drame familial et de l'hommage à la résilience.
Dans I'm Still Here, Walter Salles ne s'attarde pas sur les mécanismes de la dictature brésilienne qui aura sévi de 1964 à 1985. En revanche, il en expose toute la brutalité à travers le destin tragique d'une famille d'intellectuels progressistes, joyeux et ouverts sur le monde. Le réalisateur dresse un portrait profondément intime et empreint de tendresse, en grande partie par ses propres souvenirs puisqu'il a côtoyé les Paiva dans son adolescence et passé de nombreux moments chez eux.
Ce qui m'a particulièrement touché dans ce film, c'est la trajectoire d'Eunice, une mère qui, malgré l'adversité, trouve en elle la force de se reconstruire. Mais au-delà de cette histoire personnelle, I'm Still Here résonne avec une actualité frappante, où les dérives autoritaires et le repli identitaire sont de plus en plus flagrants. En insistant, dès le début, sur le bonheur des Paiva - leur insouciance, leur liberté, leurs rires -, Salles nous rappelle avec subtilité que le bonheur et la liberté ne sont jamais acquis et que tout peut basculer en un instant.
La première heure alterne entre éclats de joie, musique et moments de complicité familiale, avant de plonger brutalement dans l'horreur. Certaines scènes sont d'une intensité glaçante, notamment celles campées en prison et celle du chien écrasé, qui frappent par leur réalisme cru et leur violence indicible. Le scénario - écrit par Murilo Hauser et Heitor Lorega, en collaboration avec Marcelo Rubens Paiva, l'auteur du mémoire sur lequel le film est basé - repose sur l'effet de contraste entre la chaleur des souvenirs de jours heureux et la froideur du régime militaire, ce qui à mon sens vient amplifier davantage l'émotion ressentie.
Après un parcours en dents de scie marqué par des projets disparates et inégaux ( On the Road, Dark Water), Walter Salles renoue avec la qualité de Central Station (1998), Behind the Sun (2001) et The Motorcycle Diaries (2004), trois œuvres accomplies qui lui avait permis de se démarquer. L'attente en valait la peine. Je suis toujours là s'impose comme l'un des drames historiques les plus marquants de ces dernières années, une œuvre qui interroge, bouleverse et met en lumière un portrait féminin d'une rare intensité. À ne pas manquer.
Image d'en-tête : Fernanda Torres dans le drame historique Je suis toujours là de Walter Salles (2024)
