Quatrième de couverture :
Mathilde et Thibault ne se connaissent pas. Au cœur d’une ville sans cesse en mouvement, ils ne sont que deux silhouettes parmi des millions. Deux silhouettes qui pourraient se rencontrer, se percuter, ou seulement se croiser. Un jour de mai. Les Heures souterraines est un roman vibrant et magnifique sur les violences invisibles d’un monde privé de douceur, où l’on risque de se perdre, sans aucun bruit.
J’ai pris grand plaisir à retrouver la plume de Delphine de Vigan, bien que les sujets abordés dans ce roman soient loin d’être légers. Nous sommes le lundi 20 mai. Mathilde, la quarantaine, élève seule ses trois garçons. Depuis huit ans, elle vit une carrière prenante et valorisante au sein d’une entreprise de marketing. Mais depuis quelques mois, c’est la dégringolade : elle est peu à peu écartée de ses responsabilités, mise au rebut par son patron qui la harcèle jusqu’à l’épuisement et la perte de l’estime de soi. Le problème, c’est que Mathilde n’a rien consigné, ne s’est jamais plainte : on peut lui reconnaître une ténacité exemplaire mais la chute se déroule, inexorable. L’épuisement professionnel, c’est ce que vit Thibault, un médecin généraliste qui travaille à Paris, pour une plateforme genre SOS Médecins. Il vient d’enfin se séparer de sa maîtresse Lila, qui semble indifférente à tout l’amour dont il brûle envers elle et s’apprête à sillonner la ville engorgée, à la rencontre de patients divers, des personnes seules, âgées, des malades mentaux en crise, des « faux » patients, tout un univers qu’il connaît presque par coeur. La ville est elle aussi un personnage du roman, avec les couloirs de métro et de RER que Mathilde arpente presque les yeux fermés mais dans lesquels soudain, ce 20 mai, elle ne trouve plus sa place, avec, pour Thibault, les embouteillages parisiens et les misères cachées derrière les murs.
Delphine de Vigan décrit avec une précision insoutenable les étapes du harcèlement subi par Mathilde, on le vit physiquement et mentalement, on se sent impuissant avec elle. La romancière suggère avec autant de force le burn-out qui guette Thibault. Par deux fois, les deux personnages se croisent dans le roman et on se prend à espérer une fin plus légère, on retient son souffle jusqu’au bout mais l’autrice ne tombe pas dans la facilité. Un roman à la fois coup de coeur pour sa narration haletante et son style addictif et coup de poing pour les thèmes abordés et la souffrance des personnages.
« Elle rêve parfois d’un homme à qui elle demanderait: est-ce que tu peux m’aimer? Avec toute sa vie fatiguée derrière elle, sa force et sa fragilité. Un homme qui connaîtrait le vertige, la peur et la joie. Qui n’aurait pas peur des larmes derrière son sourire, ni de son rire dans les larmes. Un homme qui saurait.
Mais les gens désespérés ne se rencontrent pas. Ou peut-être au cinéma. Dans la vraie vie, ils se croisent, s’effleurent, se percutent. Et souvent se repoussent, comme les pôles identiques de deux aimants. Il y a longtemps qu’elle le sait. »
« Longtemps, en l’absence de Dieu, il a cherché dans la maladie une raison supérieure. Quelque chose qui lui donnerait un sens. Quelque chose qui justifierait la peur, la souffrance, la chair entamée, ouverte, les heures immobiles. Maintenant il ne cherche plus. Il sait combien la maladie est aveugle et vaine. Il connaît la fragilité universelle des corps. Et contre ça, au fond, il ne peut rien. »
Delphine de VIGAN, Les Heures souterraines, Le Livre de poche, 2011 (Jean-Claude Lattès, 2009)
Une deuxième sortie de PAL pour #12pour2025 (mais en réalité, ce mois-ci j’ai sorti cinq livres de ma vieille PAL. C’est déjà ça… (mais j’en ai acheté plusieurs aussi.)
