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La fin de l’été de Setouchi Jakuchô

Par Etcetera
l’été Setouchi Jakuchô

J’avais entendu parler de Setouchi Jakuchô comme d’une écrivaine scandaleuse, parfois taxée de pornographe dans son pays, mais également figure féministe, devenue nonne activiste, ayant milité contre le nucléaire, et savante lettrée, capable de traduire un ouvrage aussi important que le « Dit du Genji » en japonais moderne.
Un seul de ses romans est paru en français, celui-ci, « La fin de l’été« , qui a remporté un grand succès dans les années 60 et, en même temps, provoqué le scandale, bien qu’il ne soit pas érotique.

Note pratique sur le livre

Éditeur : Philippe Picquier
Année de publication initiale : 1962 ; (dans cette traduction) 1999
Traduit du japonais par Jean-François Gény
Nombre de pages : 173

Note biographique sur l’écrivaine

Née en 1922 à Tokushima, SETOUCHI Jakuchô étudie la littérature japonaise à l’Université de Tokyo avant de quitter la ville et sa vie d’épouse pour se consacrer à l’écriture. Aprés un premier roman critiqué pour son coté pronographique, elle est récompensée pour Natsu no Owari » et reçoit le Prix de littérature féminine. Elle reçoit également le Prix Tanizaki, une récompense prestigieuse, pour son roman « Hana ni Toe » en 1992. A partir de 1973, SETOUCHI Jakuchô est nonne bouddhiste au temple Chusonji à Hiraizumi, dans la province d’Iwate. En 1998, sa traduction en japonais moderne des dix volumes du « Dit du Genji » l’a rendue célèbre dans son pays. Elle meurt en novembre 2021 à Kyoto, à 99 ans.
(Sources : éditeur et Wikipédia)

Présentation du livre par l’éditeur

C’est un célèbre roman autobiographique, scandaleux, éblouissant de sensibilité, publié en 1962 par une femme qui prit l’habit de nonne tout en poursuivant une grande carrière d’écrivain au Japon. Entre rédemption et faiblesse, amour sincère et passion physique, le récit, ciselé comme une épure, des mouvements chaotiques d’un cœur de femme, jusqu’au moment où elle décide de trouver sa liberté.

Mon Avis


C’est un livre dans lequel j’ai eu un peu de mal à rentrer. Au début, le ton de l’écrivaine  me semblait à la fois sentimental et curieusement froid, presque détaché. Mais, vers la moitié environ du roman, les personnages me sont devenus plus compréhensibles, l’analyse des situations et des caractères m’a paru très touchante et subtilement exprimée. Peut-être parce que l’héroïne, Tomoko, commence à avoir des problèmes de conscience vis-à-vis de la femme de son amant, ce qui la rend moins égoïste et moins désinvolte qu’au début.
C’est aussi un livre où il se passe très peu de choses, une fois que la situation initiale a été posée. Plutôt que des événements ou des péripéties, l’écrivaine nous dévoile beaucoup d’états d’âme, nous expose leur évolution. Une femme trompe régulièrement son amant, qui est lui-même un homme marié. Ou, dit autrement : un homme trompe sa femme avec une maîtresse (l’héroïne) qui le trompe également. Bref, Tomoko se partage entre deux hommes. Le premier, Shingo, est un écrivain de presque cinquante ans, dont les livres n’ont pas de succès. Il est  taciturne et flegmatique, pour autant que le lecteur puisse en juger. Sa relation avec Tomoko nous paraît assez tranquille, emprunte de tendresse. Par contraste, le deuxième homme, Ryota, nous est présenté comme très sensuel et en même temps peu énergique, peut-être déprimé. On sent que Tomoko est irrésistiblement attirée vers lui et que leur passion a un côté néfaste, destructeur.
Souvent, on sent que l’écrivaine et son héroïne Tomoko ne sont qu’une seule et même personne. On a l’impression que Setouchi Jakuchô s’est dédoublée, entre une narratrice ayant pris du recul et de la hauteur vis-à-vis de son passé et un personnage principal immergé dans l’émotion et les sensations immédiates.
Même si je n’étais pas très enthousiaste au début, en fin de compte ce roman m’a intéressée et parfois touchée.
Je n’ai pas compris, ceci dit, pourquoi il avait fait scandale à sa parution car il n’y a rien d’érotique, de violent ou de choquant qui pourrait heurter nos sensibilités actuelles. Mais il faut croire que le Japon des années 1960 était d’une rigidité assez extrême, sur le plan des mœurs et des libertés féminines.

Un roman que j’ai finalement bien aimé !

**

Un extrait page 39-40


Shingo ne semblait absolument pas soupçonner la trahison de Tomoko et, comme par le passé, une habitude vieille de huit années, il continuait sa navette entre elle et sa femme. Quand Tomoko était avec lui, plongée dans une ambiance familière qu’elle pouvait presque respirer, elle n’arrivait pas à croire en cette intensité qui marquait les instants passés avec Ryota. Est-ce que vraiment, durant ces huit années d’absence partagée, Shingo n’avait jamais eu aucun doute sur la fidélité de l’une ou de l’autre ? Elle fixa son profil aux traits marqués, il semblait calme, apparemment concentré et, pour la première fois, elle le vit comme une espèce de monstre sinistre.
– Qu’est-ce qu’il y a ?
Shingo s’était retourné et l’avait questionnée de sa voix douce.
– Rien, je me demandais simplement pourquoi, entre nous deux, il n’y avait jamais eu de jalousie.
– Mais je suis jaloux.
– De qui, quand ?
– Je suis jaloux en permanence. L’inquiétude ne me quitte pas, elle ne me laisse jamais tranquille.
– Menteur !
– Non, pas du tout… c’est pourquoi je te reviens toujours.
Tomoko, malgré elle, éclata de rire. Il reprit :
– Toi aussi tu es jalouse.
– Ah bon ! Et quand, d’après toi ?
– Toujours, mille fois… mais tu oublies aussi vite.
L’assurance de Shingo était telle que Tomoko en vint à se demander si elle ne ressentait pas effectivement de la jalousie à l’égard de cette femme qu’elle n’avait jamais rencontrée.
(…)


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