Quatrième de couverture :
Ils avancent sur une route. Ils suivent une trajectoire. Ils n’en sont pas toujours conscients. Ils roulent. À vitesse de croisière. Vitesse contrôlée. Ils ne savent pas très bien quelle est cette route. Où elle les mène. Ils sont seuls. Parfois, une rencontre, un rapprochement, une complicité inattendue. La sensation que tout est à nouveau possible. Le plus souvent, un dérapage, une dérive, un tournant. La perte des certitudes. La perte de ce régulateur de vitesse qui semblait animer leur vie. C’est tout autre chose qui s’ouvre alors devant eux.
J’aime beaucoup les quatrièmes de couverture de Quadrature et la présentation de leurs auteurs aussi. J’ai sorti ce titre-ci de ma grosse PAL en attendant un SP perdu dans la longue grève de la Poste belge, qui s’est terminée au milieu de la semaine dernière. Et une fois de plus, je me dis : mais pourquoi ai-je attendu si longtemps pour découvrir cette autrice ??
Le recueil est constitué de 17 nouvelles assez courtes, de deux à dix ou douze pages environ. Pour être honnête, leur brièveté ne me les laissera peut-être pas longtemps en mémoire mais j’ai adoré cette lecture ! Voici quelques nouvelles qui m’ont particulièrement plu.
Ca commence avec beaucoup de sensibilité dans le récit d’une rupture au lendemain de Noël dans Les douze volées. Décloisonnée m’a un peu fait penser à ma lecture précédente, avec l’expérience d’une employée d’un plateau d’entreprise open space. Groopy nous emmène dans les ambitions, les illusions et déceptions d’une femme qui a retrouvé confiance en elle grâce à une sorte de club d’achats à la recherche du « meilleur deal », le « twist » central est jubilatoire. La nouvelle éponyme Cruise control est un road-trip en Californie et aussi l’histoire d’une rupture. Dans Virage Tagada, une employée des ressources humaines, qui ne réfléchit et n’observe qu’en terme de richesses, de tape-à-l’oeil devient l’exemple vivant du proverbe « Tel est pris qui croyait prendre ». D’autres nouvelles courtes présentent des personnages qui prennent des virages soudains, un peu opportunistes mais audacieux comme dans Sekoia
Mais les deux qui m’ont le plus marquée sont Marlène et Tambouille tandem. Marlène a été ainsi prénommée par les infirmières de la maternité, sa mère, tout juste abandonnée par le courageux père, ne voulant pas prénommer sa fille. Celle-ci devient évidemment fan de cinéma et rêve de devenir une star. Elle le sera mais… dans le porno. Et l’absence du père la hante toujours… Dans Tambouille tandem, on comprend assez vite que le narrateur est un cadavre enfermé dans le coffre d’une voiture, conduite par… son propre fils. Comment et pourquoi est-il arrivé dans ce coffre, quelle relation entretiennent les deux hommes, que va-t-il advenir de ce corps ? Autant de réponses pas piquées des vers (si j’ose dire) que nous apportera l’autrice dans un texte une nouvelle fois jubilatoire.
Aliénor Debrocq tire dans tous les sens, elle s’intéresse à des personnages variés, des couples, des gens ordinaires propulsés dans une aventure hors-normes ou d’autres précipités en bas de l’échelle sur laquelle ils se croyaient à l’abri, des gens qui cherchent une porte de sortie à l’ennui, à l’oubli, à la mauvaise direction. Ses sujets sont parfois culottés et elle m’a souvent fait sourire ou franchement rire au fil des pages. De plus, elle écrit bien, elle brode sur les répétitions de motifs, sur les jeux de sonorités et c’est loin d’être désagréable. Je prendrai plaisir à la relire, cette fois dans un roman.
Un extrait de Melbush : « Elle s’appelle Pêche. Elle vient d’une famille où on a le sens du poétique, le sens des mots. Pêche. Aujourd’hui les gens nomment leurs enfants Cerise ou Clitorine, mais à l’époque de ses parents on en était encore à Brigitte et Virginie. Pêche. Ils ont voulu que ça sonne original, sans doute. C’est réussi. À quinze ans, elle a voulu changer, trouver un autre prénom. Elle en avait sa claque des blagues à deux balles : Pêche, où est ta canne ? Comment ça va, Melba ? T’as la pêche, Pêche ? Tous les jours, elle rentrait de l’école en pleurant. Sa mère, entre deux bâtons d’encens, lui disait de laisser couler, d’apprendre à lâcher prise, de s’ouvrir aux énergies positives qui l’entouraient, plutôt que d’écouter ces moqueries. Énergies positives. Flux vitaux. Et puis quoi encore. Elle était à des kilomètres de comprendre ce qu’était une cour d’école, sa mère. Elle passait sa vie le nez dans une tasse de camomille, enveloppée d’effluves d’huiles essentielles, nimbée d’un halo de marijuana bio, cultivée dans la serre derrière la maison… »
Aliénor DEBROCQ, Cruise control, Quadrature, 2013
Les éditions Quadrature fêtent leurs 20 ans en 2025.
