de Sandrine ColletteRoman - 250 pages
Editions JC Lattès - août 2024
Prix Goncourt des Lycéens 2024
Au hameau des Montées, à l'écart du monde et du temps vivent des paysans. Les jumelles Aelis et Ambre sont mariées, la première à Eugène à qui elle a donné trois fils, et la seconde à Léon. Léon et Ambre n'ont pas d'enfant alors quand un jour surgit de la forêt la jeune Madelaine, Ambre décide de l'adopter. Ainsi elle intègre au sein de son foyer une tendresse naturelle pour adoucir la violence de son ivrogne de mari. Les saisons se suivent, les enfants grandissent et le labeur aux champs est âpre, parfois satisfaisant quand le grain est nombreux, mais souvent vain quand le climat se fait destructeur. Aux Montées, vivent aussi Ambroisie père et fils, propriétaires terriens. Ambroisie-le-fils est craint, connu de tous et surtout toutes comme étant coureur et violeur.
Déjà lue avec On était des loups, Sandrine Collette ne m'a pas déçue, bien au contraire. Les lycéens ne s'y sont pas trompés avec leur prix Goncourt 2024. Un souffle puissant se dégage du roman dès les premières pages. Une tension palpable et sauvage dans les descriptions d'un environnement rude et de protagonistes durs. Dans ce lieu qui n'est pas vraiment situé précisément en France, dans cette époque qui n'est pas datée (les vieux se souviennent de la guerre - laquelle ? - alors on pourrait être dans les années 1960...?), au fil de ces chapitres qui ne comportent pas d'autre titre que UN, DEUX, TROIS et QUATRE (comme un compte des morts qui s'égrènent), le lecteur est conduit dans l'observation de ce microcosme rural par un narrateur particulier, le chien Bran.
Extrait :
"Mes jours préférés sont, comme pour tous les enfants de La Foye, ceux du pain. Ceux où le four chauffe de l'aube au crépuscule, et l'air emporte le parfum des croûtes bien grillées, l'odeur gourmande de la farine cuite, cela sent une certaine exubérance. Cela me remplit d'allégresse. De mois en mois, je les attends ces jours-là, quand le vieux accepte d'allumer le four et qu'il surveille, entretient, cuit. Nous venons tous ensemble. C'est trop de bois pour qu'une seule famille utilise le four, l'inertie des pierres dévore la chaleur [....]"
Les pages du roman font appel aux cinq sens dans les narrations précises. Le texte matérialise les sensations de manière forte, décrit les scènes de façon cinématographique avant de placer des ellipses dans le temps. Ce temps qui éprouve les femmes et les hommes, leurs corps. Les personnages vivent ici par leurs corps, les corps subissant coups et viols, famines et froid, maladie et mort. Je n'ai jamais lu plus belle histoire de famine, le texte est vertigineux. Comme dans un huis clos ouvert à tous les vents, un hameau où l'on vit beaucoup dehors mais enfermé dans des conventions quasi féodales, dans cette petite communauté rurale, il est des hommes de labeur ou de domination, il est des femmes fortes, qui laissent éclater leur sororité.
Un magnifique roman sombre, qui prend aux tripes, construit de manière virtuose.
