Magazine Culture

God : Le Chant de la Libération de John Lennon

Publié le 08 mars 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Dans l’histoire du rock, certains morceaux marquent des ruptures aussi profondes qu’inattendues. “God”, la chanson de John Lennon tirée de son album Plastic Ono Band, enregistré à la fin de l’année 1970, en est un exemple saisissant. À travers cette chanson, Lennon plonge dans l’abîme de ses croyances, de ses doutes et de ses désillusions. Un acte de renouveau qui allait non seulement transformer son propre parcours, mais aussi redéfinir son rapport à son passé, à ses mythes personnels et à la société qui le vénérait.

Sommaire

La Rupture avec le Passé

L’album John Lennon/Plastic Ono Band est bien plus qu’une simple aventure musicale : il représente la rupture définitive de Lennon avec les années Beatles, un monde qu’il a dû exorciser après la séparation du groupe en 1970. Sur le plan sonore, cette œuvre est d’une radicalité déconcertante, se passant de fioritures et d’arrangements complexes pour se concentrer sur l’essence brute de l’expression musicale. Mais c’est surtout dans la chanson “God” que cette libération trouve toute sa force.

Dès les premières paroles, Lennon se débarrasse de toutes les illusions : “I don’t believe in Beatles.” Cette phrase, prononcée avec une telle assurance, résonne comme un coup de tonnerre dans un ciel encore encombré de souvenirs des années 60, période dorée de la Beatlemania. Le rêve des Beatles, ce fantasme collectif nourri par une époque, est désormais révolu. Lennon, désormais seul sur la scène musicale et personnelle, se défait de tout ce qui appartenait à ce mythe. Le message est clair : l’histoire des Beatles, tout comme d’autres grands mythes modernes, est terminée.

Le choix de ce titre, “God”, n’est pas anodin. Lennon, qui a toujours eu des rapports ambivalents avec la religion, y exprime une rupture nette avec les conceptions religieuses traditionnelles. À travers cette chanson, il ne se contente pas de remettre en question la religion chrétienne ; il annonce son rejet de toutes les croyances populaires, y compris celle en l’idée d’un Dieu omnipotent. Ce rejet se manifeste par une série d’énoncés cinglants : “I don’t believe in magic”, “I don’t believe in I Ching”, “I don’t believe in Bible”. Tout ce qui, selon Lennon, aurait pu servir à donner un sens à l’existence, il le met à distance.

Une Chanson née du Primal Scream

L’émergence de “God” est également liée à une période particulière de la vie de Lennon. À cette époque, le musicien s’est engagé dans une thérapie de déblocage émotionnel connue sous le nom de Primal Scream, une méthode psychothérapeutique visant à libérer l’individu de ses traumatismes passés en exprimant des cris primalistes, symboles d’une douleur refoulée. C’est au cours de cette thérapie que Lennon a écrit “God”, dans une maison louée à Bel Air, Los Angeles, au cœur d’une démarche de confrontation avec son passé.

Il raconte comment son thérapeute, le Dr Arthur Janov, a évoqué la question de Dieu : “God is a concept by which we measure our pain.” Cette réflexion, que Lennon a largement intégrée dans ses paroles, résume l’essence même de la chanson. Pour Lennon, Dieu et la douleur sont intrinsèquement liés. La douleur humaine, ou plus largement l’expérience humaine, nécessite un concept, une entité supérieure pour la comprendre et la transcender. Mais pour lui, ce concept ne fait que renforcer les illusions auxquelles il souhaite désormais échapper.

Le Processus Créatif : De la Démonstration à l’Exécution

“God” a une genèse complexe, en partie façonnée par des démos qui ont précédé la version finale. Lennon a enregistré plusieurs ébauches de la chanson dans sa maison de Bel Air, certaines d’entre elles étant publiées plus tard sur l’album Acoustic en 2004. Dans ces premières versions, on entend un Lennon encore en pleine exploration de son message, jouant une guitare acoustique déformée et entamant un monologue qui évoque les prêches d’un pasteur. Des paroles légèrement différentes apparaissent dans ces enregistrements : “Zimmerman” pour parler de Bob Dylan, et l’absence de la phrase “Yoko and me” qui allait devenir centrale dans la version finale.

Le processus créatif de Lennon pour cette chanson a été marqué par une forme de spontanéité, mais aussi par une construction méthodique. “God” résulte de l’assemblage de plusieurs idées musicales et lyriques qui, à la manière des compositions de l’époque Beatles, n’étaient pas nécessairement reliées entre elles. Lennon a souvent expliqué que ses chansons naissaient de l’accumulation de pensées, parfois déconnectées, qui se fusionnaient ensuite sous forme d’une œuvre cohérente.

Dans les studios d’Abbey Road, “God” prend forme sous la houlette de Lennon, de Yoko Ono et de Phil Spector. Le travail en studio se distingue par une simplicité volontaire, une pureté instrumentale qui laisse place à l’intensité émotionnelle des paroles. Un aspect fascinant de cette chanson réside dans l’accompagnement musical. Billy Preston, l’ancien membre des Beatles, joue du piano sur cette piste, avec une touche gospel qui, tout en restant sobre, apporte une profondeur spirituelle et émotionnelle inédite à la composition. La participation de Preston à ce projet est symbolique, car, comme Lennon, il a connu une évolution spirituelle, mais dans une dimension chrétienne qui se reflète dans son jeu au piano.

Un Message De Renouveau

“God” n’est pas une simple critique de la religion ou des mythes personnels. Elle est une déclaration radicale de réappropriation de soi. Quand Lennon clame “I was the walrus, but now I’m John”, il fait référence à un autre personnage mythique, le “Walrus”, un des symboles emblématiques des Beatles. Ce vers marque la fin de l’ère Beatle, celle où Lennon se laissait porter par l’imaginaire collectif, pour entrer dans une nouvelle ère : celle où il se nomme et se revendique comme un individu à part entière. Il n’est plus l’archétype du génie des années 60, ni même une figure iconique de la pop culture, il est désormais un homme, un artiste libre, qui n’a plus à se conformer aux attentes extérieures.

Le morceau se termine sur un appel, une forme d’adieu à l’illusion : “The dream is over.” La phrase résonne comme un chant funéraire pour une époque révolue. Le rêve des Beatles, celui d’une génération, est définitivement derrière lui. La nouvelle réalité de Lennon, qui s’exprime sans compromis à travers Yoko Ono et sa quête de vérité personnelle, est désormais la sienne.

L’Héritage de “God”

La réception de “God” à sa sortie a été mitigée. Certains ont vu dans cette chanson une arrogance de la part de Lennon, un rejet de la mythologie populaire qui faisait de lui une icône mondiale. D’autres y ont perçu une véritable libération, un cri d’indépendance qui allait influencer des générations entières d’artistes cherchant à se libérer des carcans imposés par la célébrité et la culture de masse. En cela, “God” est bien plus qu’une chanson : c’est un manifeste, une œuvre d’art brute et sans filtre, qui cristallise la rupture de Lennon avec son passé et sa quête d’authenticité.

Aujourd’hui, “God” demeure un morceau fondamental du répertoire de John Lennon, un pilier de son œuvre solo et un témoignage vibrant de son évolution personnelle et artistique. Plus qu’une chanson de rupture, elle est l’incarnation d’un homme qui, après avoir été le “Walrus”, s’est finalement retrouvé dans sa propre vérité. Le rêve des Beatles est terminé. Celui de John Lennon, cependant, venait juste de commencer.


Retour à La Une de Logo Paperblog