Nos ancêtres gaulois ont vénéré les cours d'eaux comme autant de puissances divines, mais c'est semble-t-il les sources, ces lieux où les profondeurs jaillissent à la lumière du jour, qui furent l'objet de la dévotion la plus répandue. On a ainsi évalué à plus de six mille (6000) le nombre des sources sacrées de la Gaule. Cette force jaillissante est en effet comme un cadeau du monde chthonien, ce domaine souterrain auquel était attachée, dans l'antiquité, un valeur positive : il est le domaine des divinités nées de la Terre, offrant aux hommes fécondité et bien-être. Si ce monde souterrain fut affecté par le christianisme d'une connotation négative (il est le repère de la "Bête"), les sources n'ont jamais cessé d'être un objet de dévotion pour les Gaulois : elles furent consacrées à autant de saints qui recouvrèrent d'une mince couche chrétienne l'épais substrat celtique. Ne sont-elles pas un élément indispensable aux implantations humaines ?L'environnement des sources apparaît souvent comme propice à l'émotion, comme ici, sur les hauteurs de la vallée de l'Ouche (Côte-d'or) : affleurement de roches, rupture du relief, fond de vallée, grottes qui mettent en contact les profondeurs avec la surface. Il était - et reste encore - soigneusement préservé, mis en valeur, pour des raisons fonctionnelles (exploiter et protéger l'eau) et sacrées (se ménager la bienveillance de la divinité offrant son énergie aux hommes).
Nous avons déjà vu que la Seine était vénérée à sa source, mais ce fut sans doute aussi le cas de l'Yonne, dont le nom ancien Icauna, de formation celtique, signifie "celle-qui-donne-l'eau", le radical ic- renvoyant très probablement à l'eau surgissante. Notre Gaule est couverte de noms de lieux issus de ce radical, et témoingnant encore d'un culte autour d'une source sacrée : ainsi Hyds dans l'Allier, Issoire dans le Puy-de-Dôme, Les Isles-Bardel dans le Calvados, ou encore Is-sur-Tille en Côte-d'or. Les déesses Mères, Matronae, divinité caractéristiques du monde celtique, sont aussi le plus souvent vénérées près de sources qu'elles étaient réputées protéger. Ainsi, dans l'Aisne, à Ognes, le toponyme Maronne, qui remonte à matrona, désigne une fontaine qui fut probablement sacralisée. En Isère, à Meyrié, qui remonte peut-être à un ancien Matriacum, se trouve une important source guérisseuse, qui attira jusqu'au XIXème des foules de pèlerins de tout le nord-Isère. Enfin, de nombreux noms de lieux formés sur dev-/div- désigne également des sources sacrées. Ainsi de la grande ville de Dijon, dont Grégoire de Tours (VIème siècle) nous apprend qu'elle était réputait pour le nombre de ses fontaines et la qualité de ses eaux ; dans le Cantal, se trouve le hameau Dijon (commune de Monteil), certes moins célèbre que la capitale des ducs de Bourgogne, mais dont l'étymologie remonte également à une source sacrée. Il en va de même pour Dive, dans l'Orne.
Que les Gaulois d'aujourd'hui s'en souviennent : en un temps où le monde est souvent perçu comme une chose morte, inerte et que l'on peut piller allègrement, il serait peut-être bon de redonner toute leur valeur aux éléments dont dépend toute vie.
A Lamargelle, en territoire Lingon, la source d'Epona fut dédiée à cette déesse cavalière, liée au monde chthonien, comme les chevaux qui tirent leur force de la terre.
Arthur Lamarche.