Éléonore du blog Du soir en été a proposé un défi de lecture ambitieux : lire tout Marguerite Duras (1914-1996). J’ai décidé de relever ce défi – au début, sans bien évaluer l’ampleur de la tâche, je l’avoue ! – mais comme il n’y a aucun délai imposé, cela doit pouvoir se faire petit à petit.
Je me suis donc attaquée cette fois-ci à un livre des années 60, « L’après-midi de M. Andesmas » dont le titre m’a toujours semblé attirant. Contrairement au « Square » que j’avais lu précédemment avec un énorme plaisir, celui-ci a été une petite déception.
Note pratique sur le livre
Éditeur : L’Imaginaire/Gallimard
Année de publication initiale : 1962
Genre : Roman
Nombre de pages : 128
Résumé du début de l’histoire
Monsieur Andesmas est un vieillard de soixante-dix huit ans, gros et riche. Il a une fille de dix-huit ans, prénommée Valérie, qu’il aime plus que tout au monde. Pour elle, il a acheté une partie d’un village en bord de mer, comprenant une forêt et, comme elle désire aussi un étang non loin de là, M. Andesmas veut également le lui offrir. Mais, l’après-midi dont il est question, M. Andesmas est sur la plate-forme surplombant la mer, assis dans son fauteuil en osier qui n’arrête pas de craquer. Et il attend un entrepreneur, Michel Arc, qui doit lui apporter un devis pour la construction d’une terrasse à cet emplacement. Mais Michel Arc se fait singulièrement attendre. Et M. Andesmas, au cours de cet après-midi, va voir venir vers lui successivement : un chien roux, la petite fille un peu attardée mentale de Michel Arc, et enfin la femme de ce dernier, grâce à qui nous allons mieux comprendre pourquoi l’entrepreneur ne vient pas et quel est l’enjeu de cette attente pour les protagonistes.
Mon avis
J’ai trouvé que Marguerite Duras, dans ce livre, jouait un peu à faire du Marguerite Duras (en excès) comme si elle s’auto-parodiait et qu’elle recherchait davantage les effets de style caractéristiques d’elle-même que la profondeur d’une narration. Ainsi, elle emploie énormément de répétitions, des sortes de leitmotivs qui rythment les pages et qui hypnotisent légèrement le lecteur. Par exemple, pendant que M. Andesmas attend sur sa plate-forme surplombant le village où se déroule un bal, il lui parvient cycliquement des bribes d’une chanson qui parle de lilas et d’amour. Autre exemple de ces effets hypnotiques : les va-et-vient incessants de la femme de Michel Arc lorsqu’elle attend son mari, en compagnie de M. Andesmas. Pour certains lecteurs, je ne doute pas que cette hypnose tourne à la fascination, voire à la transe, mais pour moi ça aura été plutôt soporifique, à quelques exceptions près.
Bien que les deux livres n’aient pas grand-chose à voir, j’ai pensé à deux ou trois moments à « En attendant Godot » puisque dans les deux cas les personnages attendent des gens qui ne viendront probablement jamais. Et d’ailleurs « L’après-midi de M. Andesmas » n’est que de quelques années postérieur à la pièce de Beckett (dix ans d’écart, pour être précis). Évidemment, le livre de Duras n’est pas aussi métaphysique que la pièce de 1952. Mais disons que dans ces deux livres, le désœuvrement des personnages et le difficile passage du temps sont des données cruciales. Chez Marguerite Duras, il y a en plus le tracas amoureux et la souffrance de la trahison, ce qui change nettement le propos.
Les descriptions de la nature sont tout à fait splendides, particulièrement celles des arbres et de leur agitation au gré du vent, mais aussi les évocations des couleurs de la mer. Les éléments du paysage sont comme des personnages à part entière, et leurs réactions ou mouvements évoluent au fur et à mesure de l’histoire.
Malgré ces belles descriptions, une écriture et une ambiance très durassiennes, je n’ai pas été tellement passionnée par ce roman. A conseiller seulement aux inconditionnels de l’écrivaine !
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Un extrait page 100
Elle se lève encore, repart encore vers le chemin, en revient encore, toujours en proie à cette occupation, l’écoute passionnée des bruits de la forêt dans la direction du chemin. Elle revient, s’arrête, les yeux mi-clos.
– On n’entend pas encore monter l’auto, dit-elle.
Elle écoute encore :
– Mais le chemin est difficile, plus long qu’on ne pense.
Elle jette un regard absent sur la masse immobile de M. Andesmas enfermée dans son fauteuil.
– Il n’y a qu’à vous que je peux parler d’elle, vous le comprenez ?
Elle repart, revient, repart encore.
Se rend-elle compte que M. Andesmas ne la quitte pas des yeux ? Sans doute non, mais le saurait-elle que ce regard ne la distrairait pas de son écoute de la forêt, de la vallée, de toute la contrée, depuis ses horizons les plus reculés jusqu’à la plate-forme. L’impossibilité totale dans laquelle se trouve M. Andesmas de trouver quoi faire ou dire pour atténuer ne fût-ce qu’une seconde la cruauté de ce délire d’écoute, cette impossibilité même l’enchaîne à elle.
Il écoute comme elle, et pour elle, tout signe d’approche de la plate-forme. (…)
