Après la séparation des Beatles, Paul McCartney a vécu une période de doute profond, peinant à trouver sa voie artistique sans renier son héritage. Wings fut sa réponse, une libération créative.
Il est des fins qui résonnent à jamais dans l’histoire de la culture. La dissolution des Beatles, survenue en 1970, en fait partie. Elle a fait couler des océans d’encre, nourri des décennies de spéculations, suscité la passion et la rancœur, la nostalgie et le ressentiment. Mais derrière les procès, les conflits d’ego et les divergences artistiques, il y a eu avant tout une cassure humaine. Paul McCartney, longtemps présenté comme le rouage pragmatique du quatuor, vient une fois de plus, à plus de 80 ans, d’ouvrir une fenêtre sur cette époque trouble. Et ce qu’il y révèle, c’est moins le récit d’une séparation que celui d’un effondrement personnel.
Sommaire
- Une rupture vécue comme un traumatisme
- La difficulté d’exister sans les Beatles
- Wings : l’émancipation par la réinvention
- La réconciliation avec son héritage
- Un parcours de résilience
Une rupture vécue comme un traumatisme
« Il y a eu cette difficulté… », confie-t-il sobrement. Une phrase qui en dit long sur l’état d’esprit dans lequel il se trouvait à l’aube des années 1970. Car contrairement à une image persistante qui voudrait que McCartney ait toujours su où il allait, il admet aujourd’hui avoir douté jusqu’à la racine de son être artistique : « Je me demandais si j’allais continuer dans la musique. »
Cette confession tranche avec l’assurance apparente qu’il affichait alors dans les médias. Il faut se souvenir que Paul McCartney fut le premier à sortir un album solo après la séparation, un geste perçu comme précipité, presque provocateur. En réalité, il s’agissait d’un acte de survie. Retiré dans sa ferme écossaise avec Linda, isolé du tumulte londonien et des tensions médiatisées, McCartney enregistrait seul les morceaux de ce qui deviendrait McCartney (1970). Une œuvre brute, artisanale, sans prétention — mais chargée d’une mélancolie palpable.
La difficulté d’exister sans les Beatles
Le véritable problème, explique-t-il, n’était pas seulement émotionnel. Il était aussi artistique, presque ontologique : « Est-ce que je vais faire des disques qui sonnent comme les Beatles ? Ou dois-je faire quelque chose de complètement différent ? » Une question cruciale, car elle posait, en filigrane, celle de son identité musicale. Comment exister après avoir été, pendant près d’une décennie, le cœur battant de la formation la plus influente du XXe siècle ?
À cette époque, George Harrison trouvait un souffle nouveau dans une créativité longtemps bridée. Lennon, radical et conceptuel, poursuivait son œuvre avec Yoko Ono et le Plastic Ono Band. Ringo, plus détaché, prenait le temps. Mais McCartney, qui avait si souvent tenu la barre dans les moments de tempête, vacillait à son tour. Le documentaire Get Back de Peter Jackson, en 2021, a confirmé ce rôle de ciment du groupe, ce poids immense porté sur ses épaules pour maintenir à flot un navire déjà à la dérive.
Wings : l’émancipation par la réinvention
C’est dans ce contexte qu’il va poser la première pierre de sa renaissance : Wings. Un groupe monté presque en famille, avec Linda McCartney au clavier, Denny Laine à la guitare, et des musiciens en rotation selon les époques. Ce n’est pas un supergroupe. Ce n’est pas non plus une tentative de reconstituer les Beatles. Wings, c’est un laboratoire. Une tentative de réécrire les règles sans se renier, de retrouver le plaisir de créer sans le poids du mythe.
« J’ai pensé : zut, je vais écrire ce que j’ai envie d’écrire et m’éloigner de ce que les Beatles auraient pu en faire », explique-t-il. Et de cette liberté nouvelle naissent des pépites comme Jet, Let Me Roll It, Live and Let Die, ou encore Band on the Run, chef-d’œuvre incontesté sorti en 1973, qui finira de convaincre le public que McCartney n’est pas seulement l’ex-Beatle le plus commercial : il est un musicien majeur, capable de se réinventer tout en restant fidèle à son essence.
La réconciliation avec son héritage
Mais le passé, bien entendu, ne pouvait être effacé. L’ombre des Beatles plane sur toute la carrière de McCartney. Même lorsqu’il tente de s’en affranchir, elle revient, insistante, presque inévitable. Et lui-même finira par le reconnaître : « Une fois que quelques tubes étaient établis, comme Jet ou Band on the Run, je me suis dit que c’était bon, que je pouvais refaire des trucs Beatles, parce que j’avais prouvé ce que j’avais à prouver. »
Aujourd’hui, ses concerts sont une célébration de toutes les époques. On y entend des titres de Wings, de sa carrière solo, mais aussi des classiques des Beatles — Hey Jude, Let It Be, Yesterday — interprétés avec une ferveur intacte. L’homme qui avait autrefois fui cette partie de lui-même l’embrasse désormais sans retenue. Non plus comme un poids, mais comme un héritage à transmettre.
Un parcours de résilience
Ce que révèle le témoignage de Paul McCartney, c’est la fragilité d’un homme que l’on croyait inébranlable. Le départ des Beatles n’a pas seulement marqué la fin d’un groupe, il a ébranlé les fondations d’une vie. Il a fallu du courage pour continuer, pour reconstruire, pour oser de nouveau. Et surtout, pour faire la paix avec ce passé glorieux, sans en être prisonnier.
En cela, McCartney incarne un modèle rare dans le monde de la musique : celui d’un artiste qui a traversé les âges sans cesser d’évoluer, de douter, mais aussi de se relever. Sa confession sur les années post-Beatles est d’autant plus précieuse qu’elle nous montre, derrière l’icône, l’homme. Un homme qui, malgré les tempêtes, a su retrouver sa voix — et qui, à plus de 80 ans, continue de la faire entendre.
Car ce que Paul McCartney nous enseigne, en creux, c’est qu’il n’y a pas de renaissance sans perte. Que le génie n’exclut ni la douleur ni l’incertitude. Et qu’au fond, la plus belle chanson qu’il ait écrite, c’est peut-être celle de sa propre résilience.
