Avec Electronic Sound, George Harrison explore les territoires avant-gardistes du Moog synthétiseur, signant un album expérimental aussi audacieux que contesté, prélude discret à sa maturité artistique future.
Sommaire
- George Harrison, entre fulgurance créative et maladresse : l’épisode méconnu d’Electronic Sound
- Le jaillissement libérateur de All Things Must Pass
- La tentation de l’avant-garde : naissance d’Electronic Sound
- Les leçons amères d’un échec artistique
- Une évolution humaine et spirituelle
George Harrison, entre fulgurance créative et maladresse : l’épisode méconnu d’Electronic Sound
Au sommet de leur gloire, les Beatles n’ont jamais dissimulé leurs influences. Qu’il s’agisse du rock incandescent de Chuck Berry à leurs débuts, de leurs explorations avant-gardistes à l’époque de Revolver, ou de l’empreinte rurale et dépouillée du Band lors des sessions de Let It Be, les Fab Four ont toujours su transfigurer leurs inspirations pour en faire une œuvre profondément originale. Pourtant, à l’aube de sa carrière solo, George Harrison, emporté par son désir d’expérimentation, s’est heurté à une réalité plus complexe : celle d’une création aussi audacieuse que contestée.
Le jaillissement libérateur de All Things Must Pass
Pour Harrison, la libération artistique survient avec All Things Must Pass. Longtemps resté dans l’ombre du tandem Lennon-McCartney au sein des Beatles, il trouve dans cet album magistral l’occasion d’exprimer pleinement son talent. Véritable catharsis, All Things Must Pass rassemble des compositions mûries durant les dernières années du groupe, où George peinait à imposer ses chansons face à l’abondance créative de ses partenaires. De titres aussi poignants que Beware of Darkness ou Isn’t It a Pity témoigne cette soif d’expression enfin assouvie.
Cependant, si l’album révèle l’ampleur du génie mélodique de Harrison, il n’échappe pas aux écueils de toute création en liberté. Son plus grand succès commercial, My Sweet Lord, déclenche bientôt une controverse retentissante : ses ressemblances frappantes avec He’s So Fine des Chiffons aboutiront à un procès pour plagiat, entachant l’image du musicien et soulignant les frontières parfois ténues entre influence inconsciente et copie involontaire.
La tentation de l’avant-garde : naissance d’Electronic Sound
Avant même cette apothéose artistique, Harrison avait déjà esquissé d’autres chemins moins balisés. Fasciné par les sonorités indiennes qu’il introduit avec brio sur des albums comme Rubber Soul ou Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, il se passionne également pour les technologies émergentes. Le Moog synthesizer, alors à la pointe de l’innovation musicale, devient pour lui un nouvel instrument d’exploration.
C’est dans ce contexte que naît Electronic Sound, un projet expérimental aussi ambitieux que déroutant. Paru en 1969 sur le label Zapple (la filiale « underground » d’Apple Records), ce disque se compose de deux longues plages sonores où résonnent des nappes électroniques chaotiques et hypnotiques. Pour l’époque, l’œuvre relève de la pure audace : Harrison devance de plusieurs années l’émergence de la musique ambient et électronique. Toutefois, cette expérimentation visionnaire s’accompagne d’une zone d’ombre.
L’ingénieur Bernie Krause, figure essentielle dans la maîtrise des premiers synthétiseurs modulaires, accuse en effet George Harrison d’avoir utilisé des enregistrements issus de démonstrations privées sans son consentement. « Je n’avais aucun contrôle sur ce qui a été publié. Je ne savais même pas que c’était enregistré », déclare-t-il, amer. Dans un commentaire empreint de déception, il ajoute : « Je suppose que la spiritualité s’exprime différemment selon les individus. La sienne semblait être : ‘Fais-moi confiance, je suis un Beatle’. »
Les leçons amères d’un échec artistique
Le scandale autour d’Electronic Sound reste largement méconnu du grand public, éclipsé par l’immense succès de All Things Must Pass qui suivra peu après. Pourtant, cet épisode révèle un aspect plus vulnérable de la personnalité de George Harrison : celle d’un artiste avide d’authenticité, mais encore maladroit dans la gestion de ses ambitions et de ses relations professionnelles.
Musicalement, Electronic Sound est une œuvre brute, difficile d’accès, voire hermétique. Il est loin de la chaleur mélodique que l’on associe à George Harrison. Toutefois, dans ce chaos sonore se dessinent les prémices d’une approche novatrice qui rejaillira bientôt avec éclat. Sur Abbey Road, ultime chef-d’œuvre collectif des Beatles, les textures électroniques lumineuses de Here Comes the Sun ou les harmonies irréelles de Because témoignent de cette influence nouvelle. L’expérimentation, même balbutiante, trouve ainsi sa résonance dans des compositions immortelles.
Une évolution humaine et spirituelle
Au-delà de la polémique, Electronic Sound constitue une étape décisive dans le cheminement personnel de George Harrison. Confronté à l’échec critique, heurté par l’accusation de trahison émise par Bernie Krause, le musicien en tire une précieuse leçon d’humilité. Dès lors, sa carrière solo sera marquée par un profond respect pour ses collaborateurs, qu’ils soient ingénieurs du son, musiciens de studio ou simples partenaires de création.
Ce tournant humain se reflète dans la douceur et la sincérité qui imprégneront ses œuvres ultérieures, de Living in the Material World à Brainwashed, son testament musical. Harrison s’impose peu à peu comme un artiste authentique, fidèle à ses valeurs spirituelles, et soucieux d’harmoniser ses aspirations créatives avec le respect d’autrui.
En définitive, si Electronic Sound peut sembler aujourd’hui anecdotique au regard de l’immensité de l’œuvre harrisonienne, il éclaire d’un jour précieux la trajectoire d’un homme en quête constante de vérité artistique et personnelle. Une quête où chaque erreur, chaque maladresse, chaque faux pas devient un jalon vers une compréhension plus profonde du monde et de soi-même.
