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Yesterday vs Here, There and Everywhere : McCartney se confie

Publié le 02 mai 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Peut-on aimer une chanson que le monde entier aime déjà trop ? Cette question, Paul McCartney y revient régulièrement lorsqu’il évoque Yesterday, sa ballade intemporelle devenue, à son corps défendant, l’un des morceaux les plus populaires de tous les temps. Un succès si écrasant qu’il en aurait fini par lui ôter une part d’intimité. À l’opposé de cette surmédiatisation, une autre chanson, plus discrète mais précieuse à ses yeux, semble mieux incarner ce que McCartney appelle, en souriant, “ma vraie voix” : Here, There and Everywhere.

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Une chanson culte… et écrasante

Il y a quelque chose de profondément ironique dans la trajectoire de Yesterday. Composée par McCartney en 1964, prétendument dans un rêve, elle devient rapidement un monument de la musique populaire. D’abord publiée sur l’album Help! en 1965, puis éditée en single aux États-Unis, elle conquiert la planète.

Avec plus de 3 000 reprises officiellement recensées, Yesterday détient le record Guinness de la chanson la plus reprise de tous les temps. De Ray Charles à Marvin Gaye, de Frank Sinatra à Placido Domingo, elle est devenue une sorte de standard universel, échappant presque à son auteur. Et c’est précisément ce qui pose problème à Paul McCartney.

Dans une récente déclaration, l’artiste aujourd’hui âgé de 82 ans confiait :

« Je pense que Yesterday, si elle n’avait pas eu autant de succès, pourrait être ma chanson préférée. Mais quand quelque chose devient aussi énorme… les gens s’en détournent. Ils veulent éviter la grande chanson, celle que tout le monde attend. »

Le succès, ici, agit comme un parasite affectif. La surexposition finit par entamer l’attachement originel. Un peu comme si une photographie intime était soudain affichée sur tous les murs du monde.

Un rêve en noir et blanc devenu étendard global

L’histoire de Yesterday tient presque du mythe. McCartney aurait entendu la mélodie dans son sommeil, l’aurait enregistrée dès le réveil, puis l’aurait laissée reposer plusieurs semaines, convaincu d’avoir accidentellement plagié une chanson existante. Il la surnomma Scrambled Eggs pendant un temps, en attendant de trouver les paroles définitives.

Lors de l’enregistrement, en juin 1965, McCartney est seul aux commandes : il chante, s’accompagne à la guitare acoustique, et est entouré d’un quatuor à cordes arrangé par George Martin. Aucun autre Beatle ne figure sur la piste. Une première dans la discographie du groupe.

Ce dépouillement absolu, ce classicisme soudain, tranche violemment avec l’énergie rock qui a jusque-là forgé l’image des Fab Four. Et pourtant, le monde entier tombe sous le charme. Cette mélodie mélancolique, ce texte sur le deuil amoureux, trouvent un écho universel. Mais ce que le monde acclame, McCartney commence lentement à s’en éloigner.

Here, There and Everywhere : l’épure comme confession

Face à Yesterday et son poids écrasant, Paul McCartney préfère aujourd’hui une chanson plus intime, moins surexposée : Here, There and Everywhere, extraite de l’album Revolver (1966).

« On me demande souvent quelle est ma chanson préférée. Je devrais avoir une réponse toute faite, mais ça change chaque jour. Cela dit, j’aime vraiment Here, There and Everywhere. »

Cette déclaration n’est pas nouvelle. McCartney l’a déjà formulée à plusieurs reprises au fil des ans, mais elle prend un relief particulier aujourd’hui. Car Here, There and Everywhere, à la différence de Yesterday, n’a jamais été envahie par son propre succès. Elle demeure une œuvre tendre, contemplative, presque cachée dans le labyrinthe de l’album Revolver.

John Lennon, d’ordinaire peu prompt à complimenter McCartney, avait d’ailleurs salué cette chanson dans une interview pour Playboy en 1980 :

« C’était une très belle chanson de Paul. Je crois que c’est une de mes préférées parmi ses compositions. »

McCartney en plaisante aujourd’hui : « C’est peut-être la seule chanson que John m’ait jamais complimentée. »

L’art de la délicatesse harmonique

Musicalement, Here, There and Everywhere est un chef-d’œuvre de subtilité. Inspirée par les harmonies des Beach Boys, notamment God Only Knows, la chanson évolue dans une structure en spirale, où les modulations d’accords s’enchaînent de manière organique.

La progression harmonique, complexe sans être ostentatoire, épouse le texte, qui lui-même décrit une forme d’ubiquité amoureuse : être ici, et partout, toujours présent pour l’autre. Cette idée de dissolution dans l’amour, presque mystique, s’éloigne des ballades traditionnelles. Elle témoigne d’un McCartney en pleine maturité artistique, à mi-chemin entre la légèreté pop et la profondeur émotionnelle.

Le chant y est presque chuchoté, le tempo ralenti, l’orchestration minimaliste. Tout concourt à créer un climat de recueillement. C’est une chanson pour soi, pas pour les foules. Et c’est peut-être pour cela que McCartney y tient tant.

Le dilemme de l’artiste face au succès

Ce balancement entre la fierté d’un immense succès populaire et la frustration de perdre le contrôle sur une œuvre est une constante dans la carrière des Beatles. Il n’est pas anodin que McCartney semble désormais plus enclin à défendre ses chansons “secondaires” ou moins connues — Calico Skies, Jenny Wren, For No One — que les géants de son catalogue.

Yesterday n’est pas reniée. Elle est aimée, mais à distance. Comme une lettre d’amour interceptée par le monde entier.

À l’inverse, Here, There and Everywhere reste dans le cercle intime, dans ce territoire préservé où McCartney peut encore reconnaître sa voix, sa plume, son émotion. C’est la chanson qu’il emporterait sur une île déserte. Celle qu’il fredonnerait pour lui seul.

La discrétion a parfois plus de poids que la gloire

À l’heure où Paul McCartney approche doucement du terme d’une vie jalonnée de chefs-d’œuvre, son regard sur son œuvre s’affine, se resserre. Il ne cherche plus à plaire, ni à convaincre. Il cherche l’essentiel.

Et cet essentiel, paradoxalement, n’est pas dans les hymnes tonitruants ni dans les records Guinness, mais dans la douceur d’un accord suspendu, dans l’aveu discret d’une chanson d’amour murmurée. L’essentiel est dans Here, There and Everywhere — là où, justement, il n’y a pas besoin d’aller ailleurs.


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