Roman - 340 pages
Editions Gallimard - février 2021
Editions poche Folio - août 2022
Clara, fille d'enseignants, se dirige un peu contre les aspirations parentales à une carrière dans la Police. Elle intègre la Crime en tant que procédurière, minutieuse, essentielle. Mélanie, biberonnée dans son enfance à la télé, et aux débuts de la téléréalité, sera vite mère et trouvera une aisance financière quand elle exposera ses enfants, Sammy et Kimmy, quotidiennement sur les réseaux sociaux. Les deux femmes, Clara et Mélanie seront amenées à se rencontrer lorsque l'enquête débutera : la jeune Kimmy a soudainement disparu, probablement kidnappée...
Delphine de Vigan nous entraîne dès les premières pages, puisqu'on est informé immédiatement de la disparition, dans un thriller bien bâti autour de ce suspense et qui épouse totalement la réalité de l'entrée massive du numérique dans la vie de nombreuses familles. Elle n'hésite pas à glisser des stars de la télé, puis de la téléréalité, et enfin des influenceurs sur les réseaux sociaux. Ce sont des références pour Mélanie, et des objets d'intérêt et d'étude pour Clara.
Extrait :
"Une troisième hypothèse effleura Clara : cette femme n'était ni une victime ni un bourreau, elle appartenait à son époque. Une époque où il était normal d'être filmé avant même d'être né. Combien d'échographies étaient publiées chaque semaine sur Instagram ou Facebook ? Combien de photos d'enfants, de famille, de selfies ? Et si la vie privée n'était plus qu'un concept dépassé, périmé, ou pire, une illusion ? Clara était bien placée pour le savoir. Nul besoin de se montrer pour être vu, suivi, identifié, répertorié, archivé. La vidéosurveillance, la traçabilité des communications, des déplacements, des paiements, cette multitude d'empreintes numériques laissées partout avaient modifié notre rapport à l'image, à l’intime. À quoi bon se cacher puisque nous sommes si visibles semblaient dire tous ces gens, et peut-être avaient-ils raison ?"
Depuis le Loft et cette nouvelle culture du voyeurisme numérique, ce roman glaçant nous donne à voir les nouveaux aveuglements, encouragés par les revenus financiers, qui font de ses propres enfants une ressource exploitable. Mais derrière, il est plus dur de constater le mal-être des petits, leur épuisement, leur isolement social, leur non-consentement, alors qu'ils sont "rois", qu'ils baignent - ou étouffent - dans des océans de matérialité ludique obtenus grâce aux partenariats avec les marques.
Le roman est très bien déroulé, l'enquête suit son cours mais l'auteure aime à nous surprendre, rien ne se déroule selon les codes classiques prévus. Comme pour dénoncer aussi le flou dans l'arsenal juridique qui devrait protéger les enfants de ses propres parents exploitants. Une lecture marquante et absorbante, qui hélas ne retrace pas une histoire très irréaliste.
