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Oasis et John Lennon : l’héritage caché des frères Gallagher

Publié le 07 mai 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Il n’est plus besoin, aujourd’hui, de prouver que les Beatles ont laissé une empreinte indélébile dans l’histoire de la musique populaire. Mais il est fascinant d’observer comment cet héritage s’est perpétué bien au-delà des années soixante, jusqu’à façonner certains des plus grands groupes britanniques de la fin du XXe siècle. À ce titre, Oasis est sans doute le cas d’école le plus emblématique — et le plus bruyant. Car au cœur de l’ADN sonore des frères Gallagher, de leur attitude jusqu’à leur esthétique, pulse une fascination féroce pour John Lennon et Paul McCartney. Et si cette influence était évidente dès les premières mesures de Definitely Maybe (1994), elle n’a cessé de se renforcer avec le temps, trouvant son apothéose dans certains hommages directs et parfois inattendus.

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Une dévotion originelle : Oasis, enfants de Liverpool via Manchester

Lorsque Definitely Maybe éclate dans le paysage britannique, Oasis apparaît comme le fer de lance d’un renouveau rock brut, insolent, désinhibé. Pourtant, derrière le mur de guitares et l’arrogance manifeste, on décèle très vite un amour profond pour la tradition mélodique anglaise, et tout particulièrement pour le legs des Beatles. Le visuel du single Live Forever, par exemple, est explicite : on y voit la façade du 251 Menlove Avenue, autrement dit la maison d’enfance de John Lennon. Un geste fort, presque sacré pour les Gallagher, qui déclarent ainsi leur filiation musicale en l’inscrivant littéralement sur leur pochette.

Noel Gallagher n’a jamais caché son admiration démesurée pour Lennon. Dans ses interviews, le guitariste principal et principal compositeur du groupe évoque régulièrement le Beatle avec des trémolos de fan absolu, n’hésitant pas à le placer sur un piédestal quasi mystique. Quant à Liam, il a façonné toute une partie de son identité vocale et scénique à l’image du Lennon période Imagine, arborant les lunettes rondes et l’attitude défiant les normes.

L’ombre d’ »Imagine » sur « Don’t Look Back in Anger »

L’influence ne s’arrête pas aux déclarations d’amour. Elle infuse la musique d’Oasis de façon organique, jusque dans sa matière même. L’un des exemples les plus frappants reste sans doute l’introduction au piano de Don’t Look Back in Anger (1995), hymne de toute une génération britpop. Dès les premières notes, le clin d’œil à Imagine de John Lennon est flagrant. Ce n’est pas un simple hommage, mais une véritable greffe sonore. Interrogé à ce sujet, Noel Gallagher n’a jamais nié cette inspiration directe. Bien au contraire : il revendique ce pillage avec la nonchalance propre aux rockeurs qui estiment que l’art se nourrit de ce qu’il aime. Une sorte d’héritage assumé, où le vol devient révérence.

La chanson elle-même, dans sa structure, son intention et sa portée, s’apparente à une relecture moderne de l’idéalisme lennonien. Les paroles prêchent une forme de rédemption émotionnelle, tout comme Imagine rêvait d’un monde sans frontières ni divisions. Le fait que ce soit Noel, et non Liam, qui chante ce morceau, n’est pas anodin : c’est aussi là que se joue la continuité vocale entre le Beatle et son disciple mancunien.

Deux frères, deux voix, deux Lennon

Là où la gémellité musicale des frères Gallagher se singularise, c’est dans leur manière très différente d’incarner l’héritage des Beatles. Liam, avec sa gouaille de voyou inspiré, a toujours mieux fonctionné sur les morceaux rugueux, presque bestiaux — ce qui rappelle parfois le Lennon des débuts, celui du Twist and Shout hurlé dans les cordes vocales. Mais lorsqu’il s’est aventuré sur des territoires plus feutrés, comme avec Songbird ou I’m Outta Time, on retrouve une sincérité désarmante, une vulnérabilité à fleur de peau qui évoque plus le Lennon intime de Julia ou Love.

Noel, en revanche, s’est toujours senti plus à l’aise dans les balades mélodiques, les déclarations d’intention plus nuancées. Sa voix, moins rauque que celle de son frère, possède un velouté qui sied à merveille à l’univers solo de Lennon. Ce n’est donc pas un hasard si, à l’occasion de l’anniversaire de ce dernier, c’est à Noel que revient l’honneur de reprendre Mind Games, à la demande expresse de Sean Lennon.

« Mind Games » : l’épreuve de vérité d’un fan devenu pair

L’anecdote mérite d’être contée tant elle est révélatrice du rapport quasi mystique qu’entretient Noel Gallagher avec son idole. En 2020, à l’approche de l’anniversaire de John Lennon, Sean Lennon contacte personnellement Noel pour lui demander une reprise en hommage. La réponse du principal intéressé fuse, enthousiaste et spontanée : « Isn’t this fucking destiny calling? » (N’est-ce pas le destin qui m’appelle, bordel ?). Il assemble ses musiciens, enregistre une version personnelle de Mind Games et la partage sur les réseaux sociaux.

Le choix de cette chanson n’est pas anodin. Mind Games, parue en 1973, est un titre à la fois ambitieux, complexe et souvent mésestimé. Lennon y explore les méandres de la conscience humaine sur fond de spiritualité new age. Vocalement, le morceau est exigeant : la ligne mélodique flirte avec les limites du registre de l’artiste, obligeant à frôler les aigus sans recourir au falsetto. Noel, sans posséder la puissance vocale brute de Lennon, s’en tire avec élégance. Sa version, plus planante, accentue l’aspect psychédélique du morceau, offrant une lecture réinterprétée mais fidèle à l’esprit d’origine.

Lui-même avoue, non sans autodérision, n’avoir exploré le répertoire solo de Lennon que par le biais de compilations. Mais cette reprise de Mind Games l’amène à revisiter un pan moins connu du mythe. « Les paroles sont hallucinées, mec », commente-t-il dans un mélange de fascination et de familiarité. C’est aussi cela, le lien entre un fan et son modèle : la redécouverte constante, l’appropriation progressive, jusqu’à devenir soi-même un maillon de cette chaîne d’influences.

Quand Liam entre dans l’arène avec « I Don’t Want to Be a Soldier »

Autre illustration de ce jeu de miroirs entre les deux frères, la reprise de I Don’t Want to Be a Soldier Mama, titre hypnotique extrait de Imagine (1971), par Liam Gallagher. Ce choix s’avère particulièrement judicieux. Là où Noel s’empare d’un morceau cérébral et spirituel, Liam, lui, plonge dans une boucle répétitive, saturée, presque incantatoire. Sa voix rauque, traînante, s’y exprime à pleine intensité, comme une prière hallucinée scandée dans une cathédrale de réverbérations.

Là encore, la répartition des rôles est significative : chacun puise dans l’œuvre de Lennon ce qui résonne le plus avec sa propre sensibilité. Liam embrasse la colère sourde et la désillusion sociale ; Noel se connecte à l’aspect introspectif et poétique. Deux facettes d’un même héritage, réincarnées au XXIe siècle sous les traits de deux frères aussi complémentaires qu’irréconciliables.

Le miroir brisé : Lennon comme archétype du rockeur total

Plus largement, ce que les Gallagher ont hérité de Lennon dépasse la simple admiration musicale. Il y a dans leur posture publique, dans leur propension à la provocation et à la franchise brutale, une filiation de comportement. Lennon, figure du non-conformisme absolu, du verbe haut et de l’attitude tranchée, a servi de modèle autant que de mythe fondateur. Comme lui, les frères Gallagher n’ont jamais eu peur de se brûler les ailes, de se confronter au monde, quitte à s’autodétruire au passage.

Liam, notamment, semble avoir intériorisé le Lennon des années Plastic Ono Band : celui qui hurle sa vérité à la face du monde, qui s’expose sans filtre. Noel, plus cérébral, incarne le Lennon artisan, bâtisseur de chansons immortelles, alchimiste des harmonies et orfèvre de l’émotion.

Un héritage vivant, en constante mutation

L’influence des Beatles sur Oasis, et plus spécifiquement celle de Lennon sur Noel Gallagher, dépasse la simple notion de référence. C’est un dialogue permanent entre deux époques, une conversation musicale et spirituelle qui se poursuit à travers les générations. Chaque reprise, chaque clin d’œil, chaque emprunt est une manière de dire : « Nous venons de là. » Mais c’est aussi une manière de prolonger l’histoire, de l’enrichir, de l’interpréter à travers de nouvelles voix.

Aujourd’hui encore, dans leurs carrières solo respectives, Liam et Noel Gallagher poursuivent cette correspondance silencieuse avec leur idole de toujours. Que ce soit dans l’architecture d’une ballade, dans la tournure d’une phrase, ou dans le choix d’un visuel, le spectre de John Lennon continue de veiller sur eux — comme il veille, en définitive, sur tout ce que le rock britannique a produit de plus sincère et de plus éternel depuis 1960.


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