Be Here Now : L’appel de l’instant présent de George Harrison

Le 30 mai 1973, l’album Living in the Material World de George Harrison voit le jour. Parmi les morceaux qui ponctuent cette œuvre introspective et spirituelle, Be Here Now se distingue par sa simplicité apparente et son message puissant. Ce titre, qui incarne à la fois une recherche personnelle et un appel universel, résonne à la fois comme un hymne à l’instant présent et comme une méditation musicale, d’une profondeur rare. Cette chanson, bien que relativement discrète dans l’ombre des plus grands classiques des Beatles, mérite une attention particulière tant par son contexte de création que par sa dimension philosophique.

Sommaire

• La naissance d’un titre
  • L’influence de Ram Dass
• Un enregistrement dans un cadre unique
• Un message simple, mais profond
• La chanson et son influence
• Une chanson intemporelle

La naissance d’un titre

Tout comme de nombreuses œuvres de George Harrison, Be Here Now est façonné par une quête spirituelle profonde et par ses influences philosophiques. La chanson a été écrite en 1971 à Los Angeles, alors que Harrison était plongé dans le travail de la bande-son du documentaire Raga, réalisé par Howard Worth sur la vie et la musique de Ravi Shankar. Ce projet, qui explore la culture et la musique indienne, a ouvert des portes vers un monde intérieur qui a influencé toute la période post-Beatles de George Harrison. Si le titre Be Here Now puise son inspiration dans l’ouvrage fondateur de Ram Dass Be Here Now (publié en 1971), c’est avant tout un cri de l’âme en quête d’éveil spirituel.

L’influence de Ram Dass

Ram Dass, anciennement Richard Alpert, était un psychologue et professeur de Harvard qui, après avoir voyagé en Inde, est devenu un maître spirituel, connu sous le nom de Baba Ram Dass. Son livre, Be Here Now, qui racontait sa transformation personnelle, mettait l’accent sur l’importance de vivre pleinement l’instant présent, une idée fondatrice du mouvement New Age. Ce livre, riche en enseignements, philosophait sur l’éveil, la libération de l’esprit et l’importance de la conscience de l’instant.

La lecture de cet ouvrage a laissé une empreinte profonde sur Harrison, qui a toujours été en quête d’une compréhension plus profonde de l’existence, en particulier à travers la spiritualité orientale. L’album Living in the Material World, dans son ensemble, se concentre sur la tension entre l’éphémère matérialiste et le quête spirituelle, et Be Here Now en est l’essence même.

George Harrison, à la fois musicien et chercheur spirituel, expliqua dans ses mémoires que la composition de Be Here Now avait été une expérience fluide et spontanée : « Je suis presque tombé de sommeil, j’avais la guitare dans mon lit et la mélodie est venue très rapidement. » Ce moment de création, presque onirique, reflète l’esprit de la chanson, dans laquelle l’invitation est claire : vivre pleinement l’instant présent, sans se laisser submerger par le poids des préoccupations matérielles ou des regrets du passé.

Un enregistrement dans un cadre unique

L’enregistrement de Be Here Now a pris place au Friar Park, le domaine de George Harrison, dans le studio qu’il avait installé sur place. Ce lieu, symbole de la retraite tranquille d’Harrison après son départ des Beatles, est le cadre parfait pour la création de ce morceau. Le studio, où des instruments exotiques comme le sitar ou le tambura sont omniprésents, reflète cette fusion entre l’Orient et l’Occident, une caractéristique incontournable de la musique de Harrison à partir des années 70.

Un détail amusant, qui raconte à lui seul l’approche décontractée mais profonde d’Harrison envers la musique, concerne l’enregistrement de la basse pour Be Here Now. Klaus Voormann, fidèle collaborateur de Harrison, joua de la basse acoustique dans la salle de bain de Friar Park. Et selon ses propres mots : « On a découvert que la résonance unique de la pièce donnait un son incroyable. » Une anecdote qui, à elle seule, résume l’humilité et l’originalité de Harrison : loin des studios sophistiqués et des règles de production traditionnelles, il a cherché l’authenticité du son dans l’ordinaire.

Ce qui est fascinant, c’est qu’un événement presque burlesque, mais typique de l’ambiance détendue du studio de Harrison, s’est produit en plein enregistrement. Selon Klaus Voormann, « Mal Evans est entré dans la pièce, s’est assis sur les toilettes et a tiré la chasse d’eau en plein milieu du morceau ! » Cette anecdote montre bien l’esprit libre et la capacité d’Harrison à créer dans un environnement détendu, sans se laisser perturber par les petites interruptions de la vie quotidienne.

Un message simple, mais profond

À première vue, Be Here Now semble être une chanson simple : une mélodie douce, des accords acoustiques élégants et des paroles qui sont, à la fois, une invitation et un rappel. « Be here now » — Sois ici, maintenant — semble être une phrase d’une simplicité enfantine, mais sa portée est infinie. Dans un monde de plus en plus tourné vers le futur, obsédé par le besoin de tout planifier et anticiper, la chanson de Harrison devient un retour aux fondamentaux : vivre l’instant présent dans toute sa plénitude, sans se laisser happer par l’illusion de la poursuite incessante.

Musicalement, le morceau suit cette logique : le tempo est calme, les instruments se répondent avec légèreté, et le sitar de Harrison ajoute une touche d’exotisme discrète qui plonge l’auditeur dans une sorte de méditation sonore. Le piano de Nicky Hopkins et l’orgue de Gary Wright renforcent cette ambiance apaisante, tandis que la batterie de Jim Keltner reste tout en retenue, à l’image de l’esprit de la chanson.

La simplicité apparente de la composition masque une richesse sous-jacente : chaque note semble avoir été soigneusement choisie pour accentuer le message central de la chanson, celui d’un retour aux fondamentaux, loin des préoccupations matérielles. C’est un appel à l’éveil spirituel, un défi à se débarrasser des distractions du monde extérieur pour se reconnecter à soi-même, au moment présent.

La chanson et son influence

Bien que Be Here Now ne soit pas le morceau le plus emblématique de l’album Living in the Material World, il a néanmoins marqué son époque. En effet, quelques années plus tard, en 1997, le groupe Oasis choisira ce titre pour baptiser son troisième album, une référence claire à l’esprit de la chanson de Harrison. Ce geste rend hommage à un esprit de rébellion et d’éveil, que l’on retrouve dans l’approche de la musique de Oasis, bien que celle-ci soit davantage ancrée dans une tradition de rock britannique.

Oasis, avec leur chanson Wonderwall (extrait de leur album (What’s the Story) Morning Glory?), ont eux aussi été influencés par la musique de Harrison, et notamment par son album All Things Must Pass. Le fait que Be Here Now ait trouvé un écho dans le titre du troisième album du groupe anglais témoigne de la résonance universelle de ce message. De même, la relation entre Harrison et la scène rock de son époque, de ses contemporains aux jeunes générations, continue de se tisser avec des fils invisibles de sagesse, d’inspiration et d’éveil.

Une chanson intemporelle

Be Here Now de George Harrison transcende le cadre de l’album Living in the Material World. Elle ne se contente pas d’être un simple morceau musical ; elle incarne une philosophie, un mode de vie. Dans un monde où l’on court après l’avenir sans jamais vraiment vivre le présent, Harrison propose un retour à l’essentiel : la beauté de l’instant.

La chanson reste un exemple parfait de ce que l’on pourrait appeler la sagesse incarnée, qui se mêle harmonieusement à la musique. En un peu plus de deux minutes, Harrison nous invite à un voyage intérieur, nous rappelle qu’il est parfois plus important d’être présent ici et maintenant que de s’inquiéter du futur ou du passé. C’est l’essence même de ce qui fait la beauté de son œuvre post-Beatles, une œuvre qui a su marier la quête spirituelle à la recherche musicale, avec la simplicité pour guide.

Dans ce monde où le rythme effréné de la vie moderne semble être le seul gouvernail, Be Here Now nous invite à une pause. Une invitation, en somme, à retrouver ce que nous avons tous oublié : l’art de vivre pleinement l’instant.