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« Free love » de Tessa Hadley, ou l’émancipation d’une mère de famille bourgeoise ET anglaise des années 60

Par Ellettres @Ellettres
Free love Tessa Hadley, l’émancipation d’une mère famille bourgeoise anglaise années

Et si, coincée dans une vie bourgeoise et monotone au milieu des années 60, un jeune homme débraillé et mal élevé vous donnait l’occasion de vous en affranchir, saisiriez-vous votre chance ? Phyllis Fischer, elle, n’y réfléchit pas à deux fois. Cette élégante quadragénaire pourvue d’un mari et de deux enfants ainsi que d’une jolie maison dans la banlieue de Londres se jette à corps perdu dans une folle aventure avec Nicky, un fils d’amis qui l’a embrassée dans son jardin après un dîner. Elle le retrouve dans son milieu de l’underground londonien où se croisent chevelus en tuniques indiennes, artistes et militants gauchistes dans un joyeux bordel ayant pour décor une fabuleuse vieille résidence nommée Everglade dans le quartier populaire de Ladbroke Grove, promise à la destruction. Là elle découvre une toute autre façon d’envisager la vie et le monde, faite de multiples libertés à découvrir, mais aussi de luttes et d’autres aliénations liées à la pauvreté, le racisme, le sexisme ou la drogue.

Tessa Hadley excelle à scalper les sentiments de ses personnages pour nous les présenter à découvert, comme une rangée de petits fours sur un plateau d’argent. J’ai beaucoup aimé le contraste entre la vie antérieure de Phyllis et sa vie nouvelle, tout ce qu’elle découvre d’un œil nouveau. Les évolutions des autres personnages en réaction à l’agir de Phyllis sont aussi remarquablement mises en scène ; mention spéciale pour Colette, sa revêche et intelligente fille. Aucun personnage n’est manichéen, ce qui est appréciable pour un sujet de ce genre – l’adultère d’une bourgeoise des années 60 – propice à tous les clichés. L’autrice se sort brillamment de ce chausse-trappe pour nous présenter une analyse subtile d’une société en pleine mutation.

Petit bémol : Tessa Hadley use tellement de l’ironie pleine de retenue à la Jane Austen, ne se départissant jamais d’un ton policé, distant et impassible, que j’ai eu un peu de mal à « vibrer » à l’unisson du destin des personnages. On ressent assez peu le « sixties spirit ». Mais c’était peut-être l’effet voulu, après tout.

« Lorsque Phyllis ouvrit la porte de chez elle avec sa clef, secoua son parapluie sur le pas de la porte et le laissa sécher dans le petit vestibule, elle n’éprouva aucun remords. L’amour avait laissé ses os endoloris, elle était à vif, mais cette conscience, brute et jubilatoire, était cachée, bien à l’abri sous ses beaux habits et sous-vêtements. Ce soir, elle prendrait un bain, se purifierait. Ce qui était impensable hier semblait désormais inévitable et nécessaire ; elle vit qu’elle était capable d’être deux choses contradictoires à la fois : épouse et maîtresse. Ces deux êtres existaient comme chambres hermétiquement séparées, tous deux lui étaient indispensables, elle seule avait la clef des deux – comment cela pouvait-il nuire à qui que ce soit ? »

Voir ici ma chronique sur Le passé de la même autrice, que j’avais adoré !

« Free love » de Tessa Hadley, éditions 10/18, 2022, 331 p.


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