Magazine Culture

Brainwashed : l’ultime lumière de George Harrison

Publié le 07 mai 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Le 18 novembre 2002, presque un an après sa mort, paraissait dans le monde entier un disque discret, sans campagne tonitruante, sans emballement médiatique. Et pourtant, Brainwashed fut accueilli avec une émotion rare. Il s’agissait du dernier album de George Harrison, achevé par son fils Dhani et son ami Jeff Lynne, à partir de bandes que le musicien avait enregistrées peu avant sa disparition, à l’automne 2001.

À l’instar de Blackstar de David Bowie ou de You Want It Darker de Leonard Cohen, Brainwashed appartient à cette lignée restreinte de disques posthumes mais vivants, où la mort n’est ni escamotée, ni crainte, mais regardée avec sagesse et douceur.

Sommaire

  • Un projet inachevé… mais préparé
  • Une structure limpide, une tension constante
  • 1. Any Road : le chemin de l’acceptation
  • 2. Pisces Fish, Looking for My Life : mélancolies sereines
  • 3. P2 Vatican Blues, Brainwashed : coups de griffe lucides
  • 4. Marwa Blues : la prière silencieuse
  • 5. Between the Devil and the Deep Blue Sea : sourire en coin
  • 6. Stuck Inside a Cloud : l’intime exposé
  • 7. Brainwashed (final) : la lucidité comme héritage
  • Un testament de lumière

Un projet inachevé… mais préparé

Contrairement à d’autres albums posthumes bricolés ou opportunistes, Brainwashed est le fruit d’un véritable projet d’auteur. George Harrison y travaillait depuis plusieurs années, entre autres projets, avec l’ambition d’un disque personnel, lucide, dépouillé de toute pression commerciale.

Il savait son temps compté. Depuis la fin des années 1990, il luttait contre un cancer récurrent, qui finirait par l’emporter en novembre 2001. Mais il préparait cet album avec soin, enregistrant des maquettes, peaufinant des arrangements, choisissant chaque mot, chaque note.

Après sa mort, c’est son fils Dhani Harrison — alors âgé de 24 ans — qui reprit le flambeau, épaulé par Jeff Lynne (leader d’Electric Light Orchestra, producteur de Cloud Nine et des Traveling Wilburys). Leur objectif n’était pas de « finir » l’album, mais de le révéler tel que George l’aurait voulu. Mission accomplie.

Une structure limpide, une tension constante

Brainwashed contient 12 chansons, plus un postlude parlé. Il n’y a ni remplissage, ni longueurs, ni excès. On y retrouve toute la palette harrisonienne : introspection, satire, spiritualité, humour pince-sans-rire, beauté mélodique, rage contenue.

L’album s’ouvre avec la lumineuse Any Road — quasi autobiographique — et se referme sur une mantra hindou chantée en trio avec Dhani et Jeff Lynne, dans un fondu de paix.

Au milieu, le feu et la lumière alternent : des ballades contemplatives (Pisces Fish, Looking for My Life), des brûlots sociaux (P2 Vatican Blues, Brainwashed), des instrumentaux célestes (Marwa Blues), des reprises habitées (Between the Devil and the Deep Blue Sea).

1. Any Road : le chemin de l’acceptation

Premier titre de l’album, Any Road résume à lui seul la philosophie de George Harrison. C’est un folk entraînant, faussement léger, bâti autour d’une vérité simple :

“If you don’t know where you’re going
Any road will take you there.”

Le ton est doux, mais le propos est grave. Il s’agit de vivre en conscience, de savoir où l’on va, intérieurement. C’est une invitation à ne pas se laisser berner, thème central de l’album.

2. Pisces Fish, Looking for My Life : mélancolies sereines

Dans ces deux morceaux magnifiques, Harrison livre des confessions d’une sincérité désarmante. Il y évoque la fatigue, l’incompréhension, le mystère de l’existence. Sa voix, un peu affaiblie, y gagne en vérité.

Il y a quelque chose de l’après-midi de la vie, cette lumière douce des vieux sages. Harrison ne dramatise pas. Il constate, avec une forme de sourire intérieur, que rien n’est vraiment stable — sauf l’âme.

3. P2 Vatican Blues, Brainwashed : coups de griffe lucides

Harrison n’a jamais cessé de dénoncer l’illusion du monde matérialiste. Ici, il s’en prend — avec humour noir — à la religion institutionnelle, à l’abrutissement généralisé, au conformisme médiatique.

“Brainwashed by computer
Brainwashed by mobile phones
Brainwashed by the satellite
Brainwashed to the bone.”

Il ne s’agit pas d’un prêche sectaire. Mais d’un appel à l’éveil, à la liberté d’esprit. Harrison regarde le monde tel qu’il est, et préfère l’intériorité à l’endoctrinement.

4. Marwa Blues : la prière silencieuse

Instrumental céleste, Marwa Blues est la pièce centrale de l’album, même si elle ne contient aucune parole. C’est la voix nue du guitariste mystique, celle qu’il confiait à sa slide, à mi-chemin entre l’Inde et le Mississipi, entre Ravi Shankar et Ry Cooder.

5. Between the Devil and the Deep Blue Sea : sourire en coin

Reprise d’un standard de 1931, ce morceau jazzy joué au ukulélé est une respiration joyeuse, mais aussi un pied de nez. George adorait ce type de chansons américaines des années 30 — et ici, il rappelle que la légèreté peut être une forme de sagesse.

6. Stuck Inside a Cloud : l’intime exposé

Peut-être la chanson la plus poignante de l’album. Voix fragile, tempo lent, texte nu : Harrison y évoque la maladie, la solitude, la sensation d’être là sans y être. Une lettre murmurée depuis l’autre rive.

7. Brainwashed (final) : la lucidité comme héritage

Titre éponyme, Brainwashed est un manifeste. Mais c’est aussi une profession de foi laïque, lucide, ironique. George y énumère ce qui nous conditionne, et rappelle que la paix ne peut venir que de l’intérieur.

Le morceau s’achève, et après quelques secondes de silence, une voix revient : le mantra hindou que George récitait depuis des années. Il le chante ici avec son fils, Dhani, et Jeff Lynne, dans un fondu vocal à trois voix. L’effet est bouleversant : comme une sortie d’âme.

Un testament de lumière

Brainwashed est bien plus qu’un album posthume. C’est le dernier message d’un homme éveillé, un musicien qui, après avoir connu la gloire, l’ego, le conflit, le silence, la maladie, a su revenir à l’essentiel.

Il ne cherche ni l’applaudissement, ni l’éternité. Il cherche simplement à transmettre, à réconcilier musique et méditation, à laisser une trace fidèle à ce qu’il était vraiment : un homme en quête de vérité.

Et dans ce monde saturé de bruit, Brainwashed reste l’un des rares disques capables de parler à ceux qui écoutent vraiment.


Retour à La Une de Logo Paperblog