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Now and Then : la chanson testamentaire de Lennon décryptée

Publié le 08 mai 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Lorsque Now and Then est dévoilée au public en novembre 2023, l’émotion est universelle. Les Beatles, plus de cinquante ans après leur séparation, offrent une ultime chanson « inédite », réunissant les voix et les instruments des quatre membres du groupe, grâce à une technologie d’intelligence artificielle pilotée notamment par Giles Martin, fils du producteur George Martin. Mais derrière la prouesse technique, c’est une chanson sobre, fragile, presque spectrale, qui se dévoile — et dont les paroles, comme une confidence murmurée, semblent contenir à la fois un adieu et un pardon.

Voici une lecture ligne par ligne de ce texte bouleversant, écrit à l’origine par John Lennon à la fin des années 1970.

Sommaire

  • “I know it’s true, it’s all because of you”
  • “And if I make it through, it’s all because of you”
  • “And now and then, if we must start again”
  • « Well, we will know for sure that I love you”
  • “I don’t want to lose you, oh no no no”
  • “But every time I do, I feel so bad”
  • “Well, I know I hurt you then, but that was way back when”
  • “And if I make you feel second best”
  • “Well, I did my best, I guess”
  • Un texte d’adieu, sans grandiloquence
  • Une signature Lennon, terminée par ses frères
  • Une chanson, un tombeau, un pardon

“I know it’s true, it’s all because of you”

Dès l’ouverture, Lennon pose un ton intime. Il s’adresse à un “tu” dont on ne sait s’il s’agit d’un amour perdu, d’un ami éloigné, ou même du groupe dissous. Cette confession d’une causalité — “c’est à cause de toi” — peut être lue comme un aveu de responsabilité partagée : dans l’amour comme dans la rupture, dans la joie comme dans la douleur.

“And if I make it through, it’s all because of you”

Le doublement de la structure (“it’s all because of you”) accentue la circularité du propos. Lennon exprime ici une gratitude paradoxale : même la survie émotionnelle est liée à cette présence invisible. Loin du cynisme parfois affiché par Lennon en solo, cette phrase révèle une vulnérabilité rare, quasi désarmée.

“And now and then, if we must start again”

Le cœur de la chanson : l’expression now and then, littéralement “de temps en temps”, peut aussi être entendue comme “aujourd’hui et autrefois”. Ce glissement temporel est au centre de l’émotion : Lennon sonde la possibilité d’un recommencement, même fragile, même symbolique. Est-ce une adresse à Paul, à George, à Ringo ? Ou à lui-même ? À Yoko Ono, peut-être ? La beauté de la phrase réside dans son flou.

« Well, we will know for sure that I love you”

La chanson, qui jusque-là avançait dans l’ombre du doute, trouve ici une ancre affective. “We will know for sure” : cette certitude est rare chez Lennon, souvent ballotté entre ironie et émotion. Ce vers agit comme un apaisement. Une main tendue, une promesse que malgré les disputes passées, l’amour, lui, ne s’est jamais effacé.

“I don’t want to lose you, oh no no no”

Cette supplique simple — presque enfantine dans sa forme — renvoie à la peur de l’abandon. Ce cri, Lennon l’a souvent formulé dans sa carrière (Don’t Let Me Down, Jealous Guy, Mother). Il exprime ici, sans détour, le refus de la perte. Dans le contexte posthume de la chanson, cette phrase résonne avec encore plus de force : c’est Lennon, mort en 1980, qui supplie qu’on ne l’oublie pas.

“But every time I do, I feel so bad”

Le basculement dans la culpabilité. Ce vers pourrait s’interpréter comme une autocritique : chaque fois que Lennon s’éloigne, qu’il blesse, qu’il se retire, il en souffre. Cette ligne fait écho à son retrait de la vie publique dans les années 1975–1980, sa “house-husband era”, période pendant laquelle il semble avoir mis en pause son rapport au monde.

“Well, I know I hurt you then, but that was way back when”

Lennon se confronte à ses erreurs passées. “I know I hurt you” — une reconnaissance rare dans ses textes, souvent plus allusifs. Ce vers évoque ses tensions avec McCartney, bien sûr, mais peut aussi viser ses proches. “That was way back when” : comme un regard lucide, apaisé, rétrospectif. Le temps n’efface pas, mais il éclaire.

“And if I make you feel second best”

L’aveu est encore plus frontal. Lennon n’a jamais craint d’exposer ses ambiguïtés émotionnelles, mais ici, il se montre presque humble. “Second best” : le sentiment de ne pas avoir reconnu à l’autre sa pleine valeur. Ce vers pourrait aussi faire allusion aux tensions dans la dynamique Lennon-McCartney, lorsque chacun cherchait à affirmer sa voix.

“Well, I did my best, I guess”

L’ultime ligne de la chanson, telle que finalisée avec les Beatles survivants, est d’une simplicité bouleversante. “I did my best, I guess” — tout y est : la tentative, l’imperfection, la modestie, et ce I guess final, suspendu, presque résigné. C’est une façon de dire que la grandeur, parfois, ne suffit pas à éviter les blessures. Mais qu’elle n’a pas été feinte.

Un texte d’adieu, sans grandiloquence

Now and Then est loin des envolées lyriques de Hey Jude ou des fresques baroques d’A Day in the Life. C’est une chanson nue, presque maigre. Mais c’est cette pudeur qui fait sa force. Lennon n’y cherche pas l’effet : il confie, il demande, il reconnaît. Il ne crie pas “Let it be” : il murmure “If we must start again”.

Une signature Lennon, terminée par ses frères

L’émotion que suscite Now and Then tient aussi à son processus de création. John enregistre la démo dans son appartement new-yorkais à la fin des années 1970, sur un simple magnétophone. Paul, Ringo et George tentent de la finir en 1995 lors des sessions Anthology, mais abandonnent face à la mauvaise qualité de la bande. C’est finalement en 2022, grâce à l’IA développée pour le documentaire Get Back de Peter Jackson, que la voix de Lennon est isolée et restaurée.

Paul ajoute de nouvelles parties de piano et de basse, Ringo rejoue sa batterie, et George, disparu depuis 2001, est présent via des pistes enregistrées en 1995. Le morceau est complété avec délicatesse par Giles Martin, qui assure la production dans l’esprit du père.

Une chanson, un tombeau, un pardon

Now and Then n’est pas seulement une curiosité discographique. C’est un message figé dans le temps, achevé hors du temps. Elle résume en quelques lignes tout ce que fut Lennon : la tendresse sous la provocation, la fêlure derrière le génie, le besoin d’être aimé malgré l’arrogance apparente.

Et elle incarne, mieux que mille documentaires, le lien indéfectible entre les Beatles. Un lien qui a survécu à la rupture, à la mort, aux décennies.

Parce que “now and then”, parfois, la musique permet de recommencer. Même dans l’au-delà.


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