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« I’ll Cry Instead » : Une Pépite Oubliée des Beatles

Publié le 10 mai 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Enregistrée en juin 1964 et écrite par John Lennon, « I’ll Cry Instead » demeure une chanson méconnue du grand public, souvent éclipsée par les tubes majeurs des Beatles. Pourtant, derrière son rythme entraînant et son influence country, elle révèle un pan important de la personnalité et des tourments de son auteur. Conçue initialement pour le film A Hard Day’s Night, elle sera finalement écartée du montage final avant de réapparaître en 1986 lors d’une réédition en VHS. Retour sur ce titre atypique qui en dit long sur la trajectoire du groupe et l’état d’esprit de Lennon à l’époque.

Sommaire

Une chanson rejetée du film A Hard Day’s Night

Lorsque les Beatles entament l’enregistrement de « I’ll Cry Instead » le 1er juin 1964 aux studios d’Abbey Road, ils travaillent sur plusieurs morceaux destinés à accompagner le film A Hard Day’s Night, réalisé par Richard Lester. Pourtant, malgré son intégration initiale à la bande-son, la chanson sera retirée au profit de « Can’t Buy Me Love », un choix imposé par le réalisateur.

John Lennon, interrogé plus tard sur ce morceau, se montre peu loquace, admettant simplement qu’il l’a écrit pour le film et que Lester n’en voulait pas. Il concède toutefois apprécier la « middle eight », cette section intermédiaire qui rompt avec le schéma traditionnel du morceau. Ce rejet ne signifie pas pour autant la disparition totale de la chanson : en 1986, lors de la réédition VHS du film, elle est restaurée sous la forme d’un collage visuel en ouverture.

Mais au-delà de cette anecdote, « I’ll Cry Instead » est surtout un morceau révélateur du Lennon de cette époque, un artiste en proie à des frustrations profondes que la célébrité croissante des Beatles ne fait qu’accentuer.

Lennon et la dualité émotionnelle de « I’ll Cry Instead »

L’analyse des paroles de « I’ll Cry Instead » met en lumière un sentiment ambivalent. Le narrateur oscille entre un chagrin profond et une agressivité contenue. Lennon y évoque son besoin de pleurer seul, tout en exprimant un désir de revanche une fois sa tristesse dissipée :

« I’ve got a chip on my shoulder that’s bigger than my feet »

Ce ressentiment et cette colère refoulée annoncent déjà des thématiques plus sombres, comme celles que l’on retrouvera dans « Run For Your Life », un titre bien plus explicite sur la jalousie et la possessivité masculine. Mais « I’ll Cry Instead » ne se limite pas à cette facette, car derrière l’irritation pointe une vulnérabilité qui deviendra centrale dans l’œuvre de Lennon, notamment avec « Help! » ou « You’ve Got To Hide Your Love Away ».

Sa première épouse, Cynthia Lennon, offrira plus tard un éclairage précieux sur cette période de la vie de John. Selon elle, ces chansons traduisent la frustration qu’il ressentait à l’époque : malgré son statut d’idole de millions de fans, il perdait peu à peu la liberté et l’insouciance de ses débuts.

L’influence du country et l’apport musical des Beatles

Si « I’ll Cry Instead » marque par ses paroles introspectives, elle se distingue aussi par son style musical. Dès les premières notes, on perçoit une nette influence country & western, un genre apprécié par les Beatles, et plus particulièrement par Ringo Starr. Ce penchant pour la musique américaine de l’époque n’est pas anodin : le groupe a été fortement influencé par les pionniers du rock’n’roll, mais aussi par des figures du country telles que Hank Williams et Carl Perkins.

Le jeu de guitare de George Harrison, inspiré par Chet Atkins, apporte cette touche caractéristique au morceau, tandis que le rythme soutenu et la guitare acoustique de Lennon rappellent les racines rockabilly du groupe. Quant à la basse de Paul McCartney, elle structure solidement l’ensemble en lui conférant un groove entraînant.

Une production en deux parties et une version plus longue aux États-Unis

En studio, « I’ll Cry Instead » est enregistrée en deux segments distincts, désignés comme Section A et Section B. Il faudra six prises pour capturer la première partie, et seulement deux pour la seconde. Ces éléments seront ensuite mixés et édités le 4 juin 1964 par George Martin.

Un détail intéressant entoure la version américaine du morceau. Lorsque Capitol Records publie l’album Something New en juillet 1964, on découvre une version plus longue de la chanson. Elle contient un troisième couplet identique au premier, rallongeant la durée totale de 1:48 à 2:09.

La raison de cette différence reste obscure. Il est probable que George Martin ait mis de côté une version avec le troisième couplet à destination du marché américain avant de prendre la décision de raccourcir la chanson pour sa version finale. Quoi qu’il en soit, cette version longue restera une curiosité appréciée des collectionneurs et des puristes du son des Beatles.

Un morceau mineur mais révélateur

Dans l’immensité du répertoire des Beatles, « I’ll Cry Instead » ne fait pas partie des chansons les plus connues ni des plus célébrées. Pourtant, elle revêt un intérêt particulier à plusieurs égards.

D’une part, elle illustre la transition du groupe vers une écriture plus personnelle et introspective, notamment de la part de John Lennon. Ce dernier commence ici à exprimer ses doutes et frustrations avec une sincérité qui préfigurera ses futurs chefs-d’œuvre en solo.

D’autre part, elle témoigne de l’éclectisme musical des Beatles, toujours prompts à expérimenter avec différents styles. Le flirt avec le country & western démontre leur capacité à intégrer diverses influences sans jamais trahir leur identité musicale.

Enfin, « I’ll Cry Instead » symbolise les coulisses d’une période charnière dans la carrière des Fab Four. Alors qu’ils deviennent des icônes planétaires, ils doivent jongler avec les impératifs commerciaux et artistiques, tout en gérant une pression médiatique croissante. Ce contexte explique en grande partie la frustration exprimée dans la chanson, un sentiment qui culminera quelques années plus tard dans des morceaux comme « Strawberry Fields Forever » ou « I’m So Tired ».

Si elle n’a pas eu la reconnaissance d’autres titres de l’album A Hard Day’s Night, « I’ll Cry Instead » mérite d’être redécouverte, tant pour son ambiance musicale atypique que pour le regard qu’elle offre sur l’état d’esprit de Lennon en 1964. Une chanson courte mais lourde de sens, qui résonne encore aujourd’hui comme un témoignage intime d’une époque où tout allait trop vite pour les Beatles.


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