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Genesis et les Beatles : l’hommage mal compris de Phil Collins

Publié le 12 mai 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

L’EP Three By Three (1982) de Genesis, inspiré des Beatles, marque une tentative d’humour mal comprise. Phil Collins, alors en quête de légitimité après Peter Gabriel, y voit un clin d’œil, mais la critique et le public l’interprètent autrement. Loin de rassurer les puristes du rock progressif, ce projet souligne la difficulté de Collins à concilier ambition pop et héritage du groupe. Entre autodérision et incompréhension, Three By Three incarne les tensions entourant Genesis à cette époque.


Lorsqu’un groupe de rock atteint une stature légendaire, chaque mouvement, chaque inspiration et chaque choix artistique sont disséqués avec une minutie impitoyable. Pour Genesis, formation phare du rock progressif, la transition entre l’ère théâtrale de Peter Gabriel et la période plus pop de Phil Collins fut source d’un débat constant. Au cœur de cette évolution se trouve un projet singulier : l’EP Three By Three (1982), qualifié par Phil Collins lui-même de « parodie des Beatles », un hommage mal interprété et symptomatique de la position délicate du chanteur au sein du groupe et de l’industrie musicale.

Sommaire

Three By Three : un clin d’œil mal compris

Enregistré en 1980 et sorti en 1982, Three By Three est un EP de trois titres qui accompagne la sortie de l’album Duke. Sur sa pochette, Tony Banks, Mike Rutherford et Phil Collins apparaissent en train de sauter d’un mur, un clin d’œil direct à la célèbre couverture du EP Twist and Shout des Beatles. L’intention était claire : Genesis, groupe souvent critiqué pour son sérieux et son penchant pour l’expérimentation complexe, voulait montrer qu’il savait aussi s’amuser.

L’EP comprend trois morceaux : Paperlate, You Might Recall et Me and Virgil. Paperlate, titre inspiré par les sonorités des cuivres du groupe Earth, Wind & Fire, est sans doute le plus connu du lot. Sa dynamique enjouée et son instrumentation riche tranchent avec le rock progressif des débuts du groupe. Pourtant, malgré cette tentative d’exploration musicale, le projet est reçu de manière mitigée par la critique et le public. Phil Collins évoque cette incompréhension dans une interview donnée en 1982 au magazine Sounds, expliquant que Three By Three avait été perçu au premier degré par certains journalistes trop jeunes pour reconnaître la référence.

Phil Collins, l’éternel incompris ?

La réception de Three By Three met en lumière une problématique plus vaste : la difficulté de Phil Collins à se faire accepter pleinement, que ce soit au sein des fans de Genesis ou dans la sphère musicale plus large. Remplaçant Peter Gabriel en 1975, Collins hérite d’un rôle ingrat. Gabriel, personnage charismatique et avant-gardiste, laisse une empreinte indélébile sur le groupe. Son départ aurait pu signifier la fin de Genesis, mais le groupe s’adapte et évolue sous la houlette de Collins, qui parvient à insuffler une nouvelle énergie à la formation.

Cependant, cette transition s’accompagne d’une polarisation marquée. D’un côté, Genesis atteint des sommets commerciaux jamais égalés auparavant ; de l’autre, les puristes du rock progressif crient à la trahison, accusant Collins d’avoir transformé le groupe en une machine à tubes aseptisée. Le musicien, déjà pris pour cible en solo avec des morceaux plus pop et accessibles comme In the Air Tonight ou Against All Odds, se retrouve en permanence dans une posture défensive.

L’humour de Collins : un pari risqué

En tentant de désamorcer les critiques par l’humour, Phil Collins s’expose davantage. Dans la même interview, il confie : « Je tente de désamorcer toute forme de pompe ou de prétention qui pourrait nous être associée. » Une intention louable, mais qui se heurte à la rigidité des critiques. L’humour dans la musique est un art délicat. Les Beatles eux-mêmes en ont souvent joué avec brio, que ce soit à travers des morceaux loufoques (Yellow Submarine, Ob-La-Di, Ob-La-Da) ou des interviews pleines d’ironie. Cependant, dans le cas de Genesis, un groupe bâti sur des structures narratives complexes et des compositions ambitieuses, cette tentative de légèreté est perçue comme un faux pas plutôt qu’un trait d’esprit.

Ce n’est pas la première fois que Collins se heurte à ce mur d’incompréhension. Son incursion dans le cinéma avec Buster (1988), où il interprète un criminel au grand cœur, est accueillie froidement. De même, son apparition dans le clip de I Can’t Dance en 1991, où il pastiche les stéréotypes des mannequins masculins, divise : certains y voient un moment de dérision bienvenu, d’autres un geste forcé et maladroit. Collins est un musicien instinctif, sincère dans son approche, mais son humour semble souvent manquer de naturel aux yeux du public.

L’ombre des Beatles et l’influence sous-jacente

La référence aux Beatles dans Three By Three n’est pas anodine. Genesis, bien que profondément ancré dans le rock progressif des années 1970, a toujours été influencé par le quatuor de Liverpool. Tony Banks, le claviériste du groupe, a maintes fois exprimé son admiration pour leur capacité à fusionner des mélodies accrocheuses avec une réelle innovation musicale. Pour Collins, batteur au groove précis et amateur de pop, l’empreinte des Beatles est encore plus marquée.

En solo, Phil Collins a d’ailleurs multiplié les hommages à ses idoles. Son interprétation de Tomorrow Never Knows sur son premier album Face Value en est un exemple éloquent. Plus tard, en 2002, il collabore avec Paul McCartney sur Driving Rain, consolidant son lien avec l’univers des Fab Four. Pourtant, malgré cette filiation évidente, il semble que tout ce qui touche aux Beatles doive être manié avec précaution, tant leur héritage est sacralisé.

Un bilan contrasté

Avec le recul, Three By Three apparaît comme un projet symptomatique des tensions qui entourent Phil Collins et Genesis à cette époque. Loin d’être un simple exercice de style, l’EP révèle les contradictions inhérentes à la carrière de Collins : un artiste à la croisée des chemins, tiraillé entre ses ambitions pop et son héritage progressif, entre son humour bon enfant et une perception publique souvent sévère.

Aujourd’hui, la réhabilitation critique de Genesis et de Collins est en marche. De nombreux musiciens citent son influence, et son rôle dans la modernisation du son rock et pop est désormais reconnu. Pourtant, l’épisode Three By Three demeure un rappel que l’autodérision, bien que louable, n’est pas toujours comprise, surtout lorsqu’elle émane d’un artiste dont le succès a trop souvent été perçu comme un affront par les puristes.

L’histoire retiendra-t-elle Three By Three comme un hommage raté ou comme un geste sincère mal interprété ? Peut-être un peu des deux. Mais ce qui est sûr, c’est que Phil Collins, dans sa quête de légitimité, n’a jamais cessé d’être fidèle à lui-même – et c’est peut-être là son plus grand mérite.


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