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« Something » : George Harrison et la naissance de sa plus belle mélodie

Publié le 17 mai 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

En 1969, George Harrison compose Something, ballade d’une pureté rare et première reconnaissance majeure de son génie au sein des Beatles. Avec une mélodie limpide et un texte empreint de mystère, il signe une déclaration d’amour universelle, humble et bouleversante. Une chanson saluée par Lennon, McCartney et Sinatra, qui incarne toute la grâce discrète d’Harrison.


Pendant des années, George Harrison fut considéré comme le « troisième homme » des Beatles. Le discret, le silencieux, l’élève appliqué derrière les deux géants que formaient Lennon et McCartney. Et pourtant, au fil du temps, une vérité s’est imposée : la lumière d’Harrison ne brillait pas moins fort – elle le faisait simplement avec plus de pudeur. Lorsqu’il composa Something, en 1969, il ne signait pas seulement l’une des plus grandes chansons d’amour du XXe siècle : il dévoilait enfin, au monde entier, l’étendue de sa grâce mélodique.

Des décennies plus tard, interrogé sur cette œuvre, Harrison déclara simplement :

« C’est probablement la plus jolie mélodie que j’ai jamais écrite. »
Une phrase d’une humilité désarmante, comme si l’auteur lui-même peinait à croire à la hauteur de son propre génie. Et pourtant, Something demeure, encore aujourd’hui, une œuvre aussi parfaite que bouleversante.

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Le moment Harrison : l’éclosion d’une voix longtemps tue

Jusqu’à Abbey Road, la place de George Harrison au sein du groupe était celle d’un compositeur en retrait. Non pas par manque d’idées, mais parce que le tandem Lennon-McCartney, tout simplement, occupait tout l’espace. Chaque album des Beatles ne laissait que quelques précieuses fenêtres à Harrison, souvent relégué à une ou deux chansons par disque. Il faut attendre Revolver (1966) pour voir émerger, avec Taxman et Love You To, une véritable signature.

Mais c’est avec While My Guitar Gently Weeps en 1968 puis Something l’année suivante qu’il atteint sa pleine maturité. Harrison cesse d’être un complément : il devient un pilier. Un égal.

Et Abbey Road, leur dernier enregistrement commun (même si Let It Be sortira ensuite), devient le théâtre de cette réévaluation. Sur la face A de ce disque légendaire, deux chansons d’Harrison viennent encadrer et même, selon certains, surpasser celles de ses partenaires. Here Comes the Sun, joyau lumineux et rassurant, et Something, ode à l’amour profond et mystique.

Une chanson née du cœur, pas du concept

Contrairement à d’autres titres des Beatles nés dans l’expérimentation ou l’intellectualisation, Something semble émerger d’un endroit plus simple : le cœur. Harrison le dit lui-même :

« Quand je l’ai écrite, j’imaginais quelqu’un comme Ray Charles la chanter. »
Il pensait gospel, soul, émotion pure. Il pensait voix chaude, main sur le piano, vérité nue. Et pourtant, parce qu’il n’était pas Ray Charles, la chanson prit une autre forme. Plus fragile, plus britannique peut-être, mais tout aussi émouvante.

C’est sans doute cela qui fait la force de Something. Elle ne cherche pas l’éclat. Elle ne cherche même pas à séduire. Elle se contente d’être sincère. Et cette sincérité transperce.

Une mélodie d’une élégance absolue

Le secret de Something réside dans sa mélodie. Elle ne s’impose pas – elle s’insinue. Elle suit une courbe douce, naturelle, presque parlée, mais toujours précise. Il n’y a aucun effet de manche. Juste une ligne mélodique qui épouse les mots, les amplifie, les éclaire.

Le texte, lui aussi, joue sur cette ambiguïté. Le « Something in the way she moves » dit tout, et rien. Ce « quelque chose » est une abstraction, une émotion vague, une intuition. Et c’est cela qui rend la chanson universelle. Tout le monde peut s’y reconnaître. Chacun peut y projeter son propre amour, son propre mystère.

Les Beatles eux-mêmes furent conquis

Lorsque Harrison présenta Something aux autres Beatles, il se produisit un phénomène rare : l’unanimité. Lennon lui-même déclara que c’était la meilleure chanson de l’album, et McCartney, pourtant concurrent de plume, ne tarit pas d’éloges.

Frank Sinatra, jamais avare de superlatifs, ira plus loin :

« C’est la plus grande chanson d’amour jamais écrite. »
Ironie de l’histoire : il la présentait parfois en concert comme une composition de Lennon et McCartney… une confusion révélatrice du retard avec lequel Harrison fut reconnu à sa juste valeur.

Une chanson entre dévotion et détachement

L’autre subtilité de Something, c’est sa capacité à éviter la mièvrerie. L’amour qu’elle évoque n’est pas possessif, ni impérieux. Il est mystérieux, contemplatif, presque spirituel. À la fin du morceau, Harrison écrit :
« You’re asking me will my love grow / I don’t know, I don’t know »
Pas de promesse. Pas de serment. Juste une interrogation ouverte. Comme un écho à sa quête intérieure, à son cheminement spirituel naissant. À cette époque, Harrison plonge dans l’étude des philosophies orientales, découvre la pensée védique, explore les enseignements du Bhagavad Gita. Et cela se ressent : son amour n’est pas égotique. Il est observation, admiration, confiance.

Une guitare qui chante

La beauté de Something, c’est aussi sa guitare. Cette ligne de solo, fluide, chantante, presque vocale, est l’une des plus sublimes de toute la discographie des Beatles. Elle ne se veut pas démonstrative, elle épouse la mélodie comme une seconde voix.

Harrison, qui avait souvent vécu dans l’ombre de Clapton ou d’autres grands guitaristes de l’époque, prouve ici qu’il n’a besoin ni de vitesse, ni de virtuosité tapageuse. Il lui suffit de quelques notes bien placées pour faire pleurer le silence.

Une postérité incontestable

Depuis 1969, Something a été reprise par des dizaines d’artistes, d’Elvis Presley à Shirley Bassey, d’Andy Williams à Joe Cocker. Chacun y a vu un terrain d’émotion à explorer. Pourtant, la version originale reste inégalée, car elle contient quelque chose d’unique : l’humilité de son auteur.

George Harrison n’a jamais revendiqué cette chanson comme un sommet. Il en parlait toujours avec une distance tendre, presque étonnée. Comme si elle lui avait été soufflée. Comme si elle ne lui appartenait pas tout à fait.

Aujourd’hui, dans la grande fresque de l’œuvre des Beatles, Something est plus qu’une chanson : c’est une justification silencieuse, une preuve éclatante que George Harrison n’était pas un simple accompagnateur, mais un créateur à part entière, un compositeur d’élégance, un mélodiste rare.

Et peut-être, effectivement, le plus pur des Beatles.


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