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Bon anniversaire « RAM » !

Publié le 17 mai 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Sorti en 1971, « Ram » de Paul et Linda McCartney, d’abord décrié, est aujourd’hui célébré comme l’œuvre fondatrice de l’indépendance artistique post-Beatles de Paul. Enregistré dans un climat de rupture et d’isolement, ce disque audacieux mêle surréalisme, tendresse et expérimentation. Il marque une déclaration d’indépendance musicale, le rejet des conventions et l’affirmation d’un style unique, bien au-delà des querelles Beatles.


Le 17 mai 1971 sortait aux États-Unis un disque singulier, qui divisa les critiques autant qu’il ravit les auditeurs : « Ram », crédité non seulement à Paul McCartney, mais également à Linda McCartney. Cinquante-cinq ans plus tard, ce disque longtemps méprisé est aujourd’hui considéré comme l’une des œuvres majeures de McCartney, le véritable acte de naissance de sa liberté artistique post-Beatles. Retour sur un album déconcertant, passionné, libre, et désormais culte.

Sommaire

Un couple contre tous

Derriere « Ram » se cache un contexte de tensions : la rupture des Beatles, la dépression nerveuse de Paul, les querelles juridiques avec ses anciens partenaires, les attaques de la presse et le regard moqueur d’une industrie qui ne comprenait pas l’émergence de Linda à ses côtés. C’est dans ce climat orageux que Paul et Linda se réfugient dans la création, choisissant de s’éloigner de Londres pour aller enregistrer à New York.

Contrairement à l’épure domestique de l’album McCartney, Paul s’entoure ici de musiciens chevronnés comme David Spinozza, Hugh McCracken et Denny Seiwell. Il embauche, audite, expérimente. Avec Linda, il compose, arrange, structure un univers pastoral et foutraque, joyeusement désordonné. Loin de chercher à plaire, McCartney se livre. Sans filet.

« Too Many People » : la déclaration d’indépendance

L’ouverture de l’album donne le ton : « Too Many People », que McCartney admettra plus tard comme un tacle voilé à Lennon, déroule ses piques avec une fausse légèreté. « Preaching practices », « you took your lucky break and broke it in two » : autant d’allusions que Lennon ne manquera pas de relever. Il répondra avec une violence rare dans « How Do You Sleep? ». Le dialogue à distance entre les deux anciens frères ennemis s’ouvre donc ici, et se poursuivra durant plusieurs années.

Mais « Ram », c’est bien plus qu’une vengeance. C’est un patchwork ébouriffé, mêlant le surréalisme potache (« Monkberry Moon Delight »), la ballade champêtre (« Heart of the Country »), l’hymne familial (« Eat at Home ») ou encore l’épopée symphonique à tiroirs (« Uncle Albert/Admiral Halsey »). Le tout culmine dans « The Back Seat of My Car », sorte de « Goodnight » revisitant l’idée de l’adieu avec défiance.

Un laboratoire sonore

L’écriture de « Ram » est à la fois instinctive et minutieuse. McCartney joue de tout, ou presque : guitare, basse, piano, ukulélé. Linda l’accompagne au chant, avec des harmonies imparfaites mais touchantes. Le son est clair, les arrangements luxuriants mais jamais pesants. Paul démontre qu’il peut faire sans George Martin, sans Lennon, sans EMI. Il construit une nouvelle alchimie, artisanale et instinctive.

Le mix final, confié à Eirik Wangberg, parachève le projet. C’est lui qui suggère d’assembler « Uncle Albert » et « Admiral Halsey ». C’est lui encore qui ajoute des effets sonores, comme le tonnerre, transformant un medley brinquebalant en hit absolu. L’alchimie opère : le single devient numéro 1 aux États-Unis.

Critiques assassines, réhabilitation tardive

À sa sortie, Ram est démoli. Rolling Stone parle d’album « monumentalement insignifiant », Playboy juge le disque vain. Ringo Starr se dit triste pour Paul, George Martin regrette l’absence de Lennon. Lennon, lui, se moque ouvertement.

Mais à l’opposé des critiques, le public répond présent : « Ram » se classe n°1 au Royaume-Uni, à la première place au Canada, aux Pays-Bas, dans les charts espagnols, norvégiens, suédois, et atteint la 2e place aux États-Unis, freiné par l’énorme succès de Tapestry de Carole King.

Les années passant, le disque est redécouvert. Les critiques changent de ton. Mojo parle d’un album « essentiellement McCartneyen », Pitchfork le note 9,2/10, Uncut le décrit comme « brillant par moments et fascinant historiquement ». Le Rolling Stone l’intègre à sa liste des 500 plus grands albums de tous les temps.

Un héritage vivace

Les rééditions successives de « Ram » (éditions mono, Thrillington, coffrets deluxe) ont contribué à raviver l’aura du disque. En 2021, à l’occasion de son cinquantenaire, un tribute collectif Ram On a réuni plus de 100 musiciens autour des morceaux du disque, dont des membres des sessions originales comme Denny Seiwell et David Spinozza.

Aujourd’hui, « Ram » incarne la renaissance d’un artiste. Un homme accablé, moqué, mais porté par son instinct créatif. Il annonce les ailes de Wings, l’indépendance d’un McCartney libre, prêt à s’affranchir de l’ombre des Beatles.

Ce n’est pas un simple disque pop. C’est un manifeste d’artiste. Un plaidoyer pour l’expérimentation, l’amour conjugal, l’évasion rurale, et la liberté retrouvée. Ram est une œuvre à part, déconcertante hier, lumineuse aujourd’hui. Elle est aussi, sans doute, l’album le plus sincère jamais enregistré par Paul McCartney.


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