Pour notre cercle de lecture, j’ai proposé cette œuvre de Pierre Michon, avec l’idée qu’une fiction historique mêlant peinture, personnages de la Révolution française, littérature et imagination pouvait être intéressante. Et puis, connaissant la belle plume de cet écrivain, cela vaut toujours la peine de le lire.
Quatrième de Couverture
Les voilà, encore une fois : Billaud, Carnot, Prieur, Prieur, Couthon, Robespierre, Collot, Barère, Lindet, Saint-Just, Saint-André. Nous connaissons tous le célèbre tableau des Onze où est représenté le Comité de salut public qui, en 1794, instaura le gouvernement révolutionnaire de l’an II et la politique dite de Terreur.
Mais qui fut le commanditaire de cette œuvre? À quelles conditions et à quelles fins fut-elle peinte par François-Élie Corentin, le «Tiepolo de la Terreur»?
Mêlant histoire et fiction, Michon fait apparaître, avec la puissance d’évocation qu’on lui connaît, les personnages de cette «cène révolutionnaire», selon l’expression de Michelet qui, à son tour, devient l’un des protagonistes du drame.
Mon Avis
J’avais déjà lu et apprécié deux livres de cet auteur : « Vies minuscules » et « Rimbaud le fils « . C’est pour cette raison que j’ai proposé à notre Cercle de lecture « Les Onze « , sachant aussi qu’il avait reçu un prix littéraire assez prestigieux – il me semble que c’est celui de l’Académie Française. Une autre raison qui me donnait envie de lire ce livre c’est qu’il a un rapport avec l’histoire de l’art – sujet qui m’intéresse.
Est ce que « Les Onze » a été à la hauteur de mes attentes ? Oui et non. J’ai bien aimé retrouver le style très baroque et fougueux de Michon. Une écriture qui part un peu dans tous les sens et qui est très éloignée du minimalisme contemporain. Avec des phrases très longues et rythmées par des espèces de petits motifs qui reviennent sans cesse (« les lys et les roses », « les Limousins », etc.) Du point de vue du fond, j’ai préféré la deuxième partie à la première. J’ai été un peu déçue du fait qu’il n’y a finalement pas beaucoup de pages consacrées à la Révolution ou à l’histoire de l’art du 18e siècle.
Ce qui m’a le plus intéressée c’est quand il dit que tous les révolutionnaires peints sur ce tableau sont en fait, à l’origine, des écrivains ou des poètes ratés. Ce lien qu’il fait entre la création artistique et le goût du pouvoir et/ou la violence et/ou le désir de changer le monde par n’importe quel moyen m’a paru quand même très passionnant.
La question que je me posais pendant presque toute ma lecture c’était : est-ce que finalement ce peintre, ce François-Élie Corentin, a été guillotiné à la chute de Robespierre ou… qu’est-ce qu’il lui est arrivé ensuite ? Et là encore Michon m’a laissée en plan. Plutôt que de répondre à cela il préfère nous parler de Michelet…. une diversion qui n’est peut-être pas si farfelue, à la réflexion, et qui cadre avec le thème général !
Je dirais que « Les Onze » m’a souvent prise à contre-pied et donc qu’il m’a étonnée. Il n’a pas répondu à mes attentes, tout en répondant à des questions intéressantes que je ne me posais pas auparavant, ce qui est bon signe.
Comme j’avais lu il n’y a pas très longtemps « Les dieux ont soif » d’Anatole France, qui abordait lui aussi la période de la Terreur et dont le personnage principal était également un peintre au service de la Révolution, il m’est arrivé pendant ma lecture d’y penser. Bien sûr, les différences entre ces deux livres sont nombreuses, mais on peut se demander si Michon avait ce roman dans un coin de sa tête quand il a écrit celui-ci.
Même si ça n’a pas été la franche passion, j’ai bien aimé ce livre !
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Un extrait page 108
C’était un joker, comprenez-vous ? Cette peinture était un joker à jouer dans un moment crucial : si Robespierre prenait définitivement le pouvoir on produirait le tableau au grand jour comme preuve éclatante de sa grandeur et de la vénération qu’on avait toujours eue pour sa grandeur ; on dirait hautement qu’on avait commandé en secret le tableau pour en faire hommage à sa grandeur, et au grand rôle qu’on lui destinait ; et on lui dirait clairement qu’on était avec lui, qu’on avait même été représenté avec lui, qu’on avait tenu à honneur d’apparaître à ses côtés. On ferait jouer l’alibi fraternel. Si au contraire Robespierre chancelait, s’il était à terre, on produirait aussi le tableau, mais comme preuve de son ambition effrénée pour la tyrannie, et on prétendrait effrontément que c’était lui, Robespierre, qui l’avait commandé en sous-main pour le faire accrocher derrière la tribune du président dans l’Assemblée asservie, et être idolâtré dans le palais exécré des tyrans. Ainsi cette peinture, le Grand Comité de l’An II siégeant dans le Pavillon de l’Égalité, comme elle devait originellement s’appeler, soudain publiée serait un flagrant délit de pouvoir – une scène du crime, si vous voulez. Voilà le pourquoi des Onze. Eh oui, Monsieur, le tableau le plus célèbre du monde a été commandé par la lie de la terre avec les plus mauvaises intentions du monde, il faut nous y faire. (…)
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