Magazine Culture

Bangla Desh : L’appel humanitaire de George Harrison

Publié le 30 mai 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

En 1971, un événement musical marqua non seulement l’histoire de la musique, mais également celle de l’engagement social. George Harrison, l’ex-guitariste des Beatles, lança un single destiné à un but noble, celui de venir en aide aux réfugiés du Bangladesh, un pays alors ravagé par la guerre de libération et les conséquences du cyclone Bhola. Bangla Desh n’est pas seulement un morceau de musique, c’est un appel à l’aide, un cri de solidarité mondiale face à la souffrance humaine. À travers cette chanson, Harrison se fait l’ambassadeur de la douleur d’un peuple, tout en utilisant son immense popularité pour attirer l’attention du monde sur une crise humanitaire.

Sommaire

La genèse d’un projet ambitieux

L’histoire de Bangla Desh commence bien avant sa sortie, dans les discussions entre George Harrison et son ami, le célèbre sitariste indien Ravi Shankar. C’est en 1971, lors de l’enregistrement de l’album Raga, que Ravi évoque à Harrison son désir d’organiser un concert pour récolter des fonds destinés à venir en aide aux victimes de la guerre de libération du Bangladesh et aux survivants du cyclone Bhola, qui avait frappé le pays en 1970. L’idée initiale était de réunir 25 000 dollars, une somme qui semblait colossale à l’époque pour un événement de cette envergure. Harrison, touché par la détresse de la population bangladaise, accepte de s’impliquer, et ce fut l’amorce d’un projet beaucoup plus vaste.

Dans ses mémoires, Harrison raconte comment, à force de lire des articles dans les journaux et magazines, il a pris conscience de l’étendue de la tragédie. Le pays subissait les ravages de la guerre, et la presse mondiale semblait ne pas rendre justice à la réalité du terrain. « J’en avais assez que les gens me disent ‘Mais que puis-je faire ?’ », expliquait Harrison dans I Me Mine, ajoutant que la presse avait largement ignoré les détails du conflit. Il ressentit alors le besoin d’agir, non seulement par l’organisation d’un concert, mais aussi par la création d’une œuvre musicale qui attirerait l’attention du public sur cette tragédie.

Une chanson pour l’urgence

Ainsi, Bangla Desh voit le jour dans l’esprit de Harrison comme une chanson de soutien et de sensibilisation. Dès sa première écoute, il est évident que ce morceau dépasse le simple cadre d’une chanson de protestation. Bangla Desh incarne l’urgence et la sincérité, une sorte de lettre ouverte à la planète entière. La chanson commence par une introduction lente, comme l’a suggéré Leon Russell, un ami et musicien qui participa à l’enregistrement du morceau. L’introduction, bien que modifiée par Harrison, véhicule une idée simple : « Mon ami est venu vers moi, avec de la tristesse dans les yeux… » Harrison se fait la voix de Ravi Shankar, un ami dévasté par la situation de son pays natal, mais aussi celle de millions de personnes qui souffrent dans l’indifférence générale.

La réalisation en studio : un travail d’équipe

L’enregistrement de Bangla Desh a lieu les 4 et 5 juillet 1971 aux studios Record Plant West à Los Angeles, sous la production de George Harrison lui-même et de Phil Spector, le producteur légendaire des Beatles. Les sessions d’enregistrement sont marquées par la participation de plusieurs musiciens de talent. Parmi eux, on retrouve des anciens compagnons de Harrison : Klaus Voormann, le bassiste des Beatles, Billy Preston à l’orgue, et Ringo Starr, le batteur des Fab Four. Un autre batteur, Jim Keltner, est également de la partie, doublant ainsi la batterie de Starr pour ajouter de la profondeur et de la texture à la chanson.

Mais l’élément qui fait de cette chanson une œuvre particulière est l’ajout de cuivres, grâce à la collaboration du saxophoniste Jim Horn. Ce dernier se souvient de son entrée dans le studio, où il se retrouva face à Harrison, un homme qu’il admirait profondément. Horn, qui avait déjà une carrière bien remplie à l’époque, raconte qu’il était tout à fait conscient de l’importance historique de ce projet : « C’était un véritable tournant pour moi, car nous faisions quelque chose pour une cause importante, et c’était à travers l’un des Beatles. »

Une sortie fracassante

Le single Bangla Desh est officiellement lancé par Apple le 28 juillet 1971 aux États-Unis, puis deux jours plus tard au Royaume-Uni. L’impact est immédiat. La chanson connaît un succès retentissant dans les charts. Aux États-Unis, elle atteint la 23e place du Billboard Hot 100, tandis qu’au Royaume-Uni, elle grimpe jusqu’à la 10e place. Ce succès est aussi partagé à l’international, avec des performances notables dans des pays comme le Canada, la Norvège, la Suède et la Suisse. Pour Harrison, ce single n’est pas une recherche de gloire personnelle, mais un moyen efficace de collecter des fonds et de sensibiliser le public à la situation au Bangladesh.

En effet, tous les bénéfices de la vente du single sont reversés au George Harrison–Ravi Shankar Special Emergency Relief Fund, un fonds destiné à aider les victimes de la guerre et du cyclone, en partenariat avec l’Unicef. Ce geste symbolique de la part d’un artiste d’une telle stature montre à quel point Harrison voulait utiliser sa notoriété pour soutenir des causes humanitaires urgentes.

Bangla Desh à la postérité

La chanson Bangla Desh est un jalon dans l’histoire de la musique, non seulement par son engagement, mais aussi par le fait qu’elle marque la première chanson de rock charitable. Harrison, en tant qu’artiste, devient l’un des pionniers d’une pratique qui, bien que fréquente aujourd’hui, était alors encore novatrice. Son travail ne s’arrête pas à ce single, puisqu’il organisera également un concert légendaire, The Concert for Bangladesh, au Madison Square Garden de New York le 1er août 1971. Ce concert rassemblera des figures musicales comme Bob Dylan, Eric Clapton, Ringo Starr et Billy Preston, et deviendra un modèle pour d’autres événements humanitaires à venir.

Si Bangla Desh ne se classe pas parmi les plus grands succès commerciaux de Harrison, il demeure un exemple poignant de l’engagement d’un musicien en dehors de la sphère musicale. La chanson fait partie de la compilation The Best Of George Harrison en 1976 et une version remixée apparaît sur la réédition de l’album Living In The Material World en 2014, témoignant de sa place importante dans l’héritage du musicien.

L’héritage d’un geste

L’impact de Bangla Desh dépasse de loin sa simple carrière musicale. En agissant de la sorte, George Harrison a su faire comprendre à ses fans et au grand public que la musique pouvait être un outil de transformation sociale, qu’elle pouvait servir à faire entendre des voix en détresse et, peut-être, à changer le monde. Ce geste marque également la fin de l’époque des Beatles, où les membres du groupe, chacun à leur manière, commençaient à s’éloigner de la dynamique collective pour embrasser des causes personnelles. Mais, contrairement à d’autres artistes, Harrison n’a jamais cherché à se mettre en avant. Il a toujours été celui qui utilisait la musique pour véhiculer des messages de paix, d’amour et de solidarité.

Aujourd’hui, Bangla Desh reste un exemple brillant de la manière dont un artiste peut utiliser sa célébrité pour redonner un peu d’humanité à un monde qui en manque cruellement. Plus de 50 ans après sa sortie, la chanson résonne encore comme un appel à l’aide, un message intemporel de compassion qui trouve encore aujourd’hui un écho dans les combats humanitaires contemporains.

La chanson Bangla Desh, loin de se contenter d’être une simple œuvre musicale, incarne ainsi la vision d’un homme – George Harrison – qui, par son art, a cherché à faire la différence dans un monde bouleversé par des crises humanitaires. Un geste audacieux et visionnaire qui, avec le recul, prend toute sa dimension, nous rappelant l’importance de l’engagement des artistes au service de causes universelles.


Retour à La Une de Logo Paperblog