Magazine Culture

Comment une chanson de George Harrison a sauvé David Bowie

Publié le 30 mai 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

David Bowie, figure légendaire du rock, a traversé une période sombre marquée par la dépendance à la cocaïne. Pourtant, une chanson de George Harrison, Try Some, Buy Some, a joué un rôle clé dans sa prise de conscience et son chemin vers la sobriété. Initialement perçue comme étrangère à son univers, cette chanson a progressivement pris un sens profond pour Bowie, l’aidant à envisager un renouveau. En 2003, il lui rend hommage en l’incluant dans son album Reality, témoignant ainsi de l’impact insoupçonné de la musique sur la rédemption.


La légende de David Bowie se résume souvent à un triptyque flamboyant : son audace artistique, ses innovations créatives et son rôle d’avant-gardiste culturel, tant sur le plan musical que social. Pourtant, au-delà de ces dimensions glorifiées, se profile un versant plus sombre de sa trajectoire : sa relation tourmentée avec la drogue. Pour une génération en quête de repères, Bowie fut à la fois un démiurge intempestif et un expérimentateur forcené. Cette dualité a nourri une mythologie riche en anecdotes, un univers parallèle dans lequel la quête d’expressions musicales extrêmes s’est parfois muée en descente aux enfers. Aujourd’hui, avec le recul que l’on peut avoir sur la longue carrière de Bowie, il apparaît qu’une chanson de George Harrison a joué un rôle intime et déterminant dans le processus de rédemption de la star britannique :

Sommaire

  • “Try Some, Buy Some.”
  • Le contexte des années 1960 : premiers pas et premières tentations
  • De Ziggy Stardust à l’obsession de la cocaïne : l’ascension fulgurante et la descente aux enfers
  • “The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars,”
  • George Harrison : itinéraire d’un Beatle spirituel
  • La genèse de “Try Some, Buy Some” : un morceau à la symbolique complexe
  • Un déclic psychologique : la force cachée de “Try Some, Buy Some”
  • La lente reconquête de Bowie : du chaos à la maturité des années 1980
  • La rencontre artistique entre deux univers : Bowie et le “son” Harrison
  • Le choix symbolique de la reprise : “Try Some, Buy Some” sur l’album Reality (2003)
  • La signification profonde pour les fans des Beatles
  • L’héritage de David Bowie : une sobriété assumée et une créativité intacte
  • Un exemple de rédemption dans l’histoire du rock
  • La permanence de l’œuvre de George Harrison
  • Un pont entre deux mythes : la postérité de ce lien singulier
  • Perspectives sur la longévité de l’inspiration
  • L’exemple d’une résonance universelle
  • Une inspiration toujours vivante pour les nouvelles générations
  • Une rédemption par la musique : le sens ultime de l’héritage de Bowie et Harrison

“Try Some, Buy Some.”

Au fil des ans, dans la culture populaire comme dans la presse spécialisée, l’histoire de la dépendance de Bowie a maintes fois été évoquée, disséquée et, il faut bien le dire, parfois romancée. Mais l’influence que George Harrison a pu exercer, à travers une œuvre au carrefour de la spiritualité et de la pop, demeure un aspect moins médiatisé. Loin d’être un simple fait divers jeté en pâture, ce point de contact inattendu entre deux géants de la musique illustre la force insoupçonnée qu’une chanson peut avoir sur la vie d’un artiste. Et c’est précisément dans cette articulation, entre la profondeur philosophique de l’ancien Beatles et l’esprit insatiable du “Starman”, que l’on peut prendre la mesure de la portée réelle de ce titre sur l’existence de Bowie.

Le contexte des années 1960 : premiers pas et premières tentations

Avant que David Bowie ne devienne le caméléon légendaire capable de réinventer son identité musicale à chaque album, il fut un adolescent comme tant d’autres dans l’effervescence londonienne des années 1960. A cette époque, le rock envahissait les ondes, la mode Carnaby Street triomphait et les groupes britanniques s’emparaient de la scène internationale. Les Beatles, fraîchement propulsés sur la rampe de lancement de la gloire mondiale, ouvraient la voie à une nouvelle forme d’expression qui ne se limitait plus seulement à la musique, mais englobait un art de vivre, un style et une idéologie en opposition aux normes conservatrices d’après-guerre.

Bowie, alors encore connu sous son véritable nom, David Jones, se nourrit de cet univers en pleine effervescence. L’air du temps était à la contestation, à la libération des mœurs et à l’expérimentation. Dans ce bouillonnement culturel, Bowie découvrit tôt l’attrait des drogues, en particulier les amphétamines et la cocaïne, bien avant de s’essayer à la marijuana. Il le confia, des années plus tard, dans une interview accordée au magazine Playboy en 1976 : sa première expérience avec l’herbe remonte à l’adolescence et il l’avait partagée avec un certain John Paul Jones, futur membre de Led Zeppelin qui, à l’époque, jouait comme musicien de session. Ce témoignage rétrospectif laissait déjà entrevoir un musicien avide de sensations, désireux de tout explorer, y compris les tréfonds de la conscience.

Dans les coulisses de la scène londonienne, Bowie se rapprochait alors d’autres figures musicales, d’artistes plus âgés, de batteurs ou bassistes de passage, bref, de toute une faune de musiciens de session, de personnalités bohèmes qui gravitaient autour des clubs de Soho. Ses premières incartades avec la cocaïne, parfois avant même une simple bouffée de marijuana, témoignent d’une réalité : l’ordre chronologique des expérimentations n’avait pas vraiment de logique chez Bowie. Il s’agissait avant tout d’une curiosité effrénée, d’une soif de sensations fortes, d’un désir de se jouer des interdits.

De Ziggy Stardust à l’obsession de la cocaïne : l’ascension fulgurante et la descente aux enfers

Il est impossible de dissocier l’époque Ziggy Stardust de la vie personnelle de Bowie. En 1972, lorsqu’il sort l’album

“The Rise and Fall of Ziggy Stardust and the Spiders from Mars,”

il devient à lui seul un personnage de science-fiction, un androgyne venu d’une planète lointaine, investi de la mission de sauver la Terre par la musique. Le succès, spectaculaire, rejaillit sur chaque aspect de son existence : Bowie est sur toutes les lèvres, il fascine autant qu’il inquiète. Il symbolise à la fois la destruction des codes traditionnels et l’essor d’un nouveau monde, inconnu et flamboyant.

Dans l’euphorie de ce triomphe, Bowie plonge plus avant dans la consommation de cocaïne, au point d’en faire un véritable carburant créatif. La suite logique, “Aladdin Sane”

(1973), en porte la marque : le disque est souvent décrit comme plus sombre, plus torturé, reflet d’un artiste déjà en proie à ses démons. A cette période, Bowie se nourrit de son propre chaos intérieur pour alimenter son inspiration. Cette spirale descendante s’amplifie lorsqu’il entreprend, en 1974, une tournée pour la promotion de l’album “Diamond Dogs.”

Les témoignages de l’époque décrivent un chanteur d’une maigreur extrême, affaibli, tenaillé par des crises de paranoïa. Bien loin de l’image flamboyante de Ziggy, on découvre un Bowie hanté par la peur, au bord de l’épuisement physique et nerveux.

Le rock, dans sa dimension la plus extrême, est alors aussi synonyme de survie dans un milieu où les tentations sont légion. Les années 1970 ne manquent pas d’exemples tragiques : entre morts prématurées et déchéances médiatisées, la génération post-Woodstock a laissé bien des artistes sur le carreau. Pourtant, si Bowie tangue dangereusement, il parvient à se maintenir à flot, tant son talent – et, sans doute, une part de chance – lui assure un soutien massif de la critique et du public. Il incarne ainsi la quintessence du rock star invincible, quand bien même la réalité de son corps et de son esprit aurait réclamé un répit.

George Harrison : itinéraire d’un Beatle spirituel

Pendant que Bowie triomphe et sombre tout à la fois, George Harrison connaît une trajectoire différente. Ex-membre des Beatles, il a déjà derrière lui la formidable aventure de Liverpool, la Beatlemania, et une discographie qui a révolutionné la musique populaire. Après la séparation du groupe en 1970, Harrison se lance dans une carrière solo auréolée de succès : l’album “All Things Must Pass” (1970) marque une sorte de libération artistique, tandis que son implication dans le concert pour le Bangladesh (1971) et son exploration de la spiritualité hindoue l’installent dans un rôle plus contemplatif que celui de rock star débridée.

Le parcours de Harrison est teinté d’une forme de mysticisme et d’introspection. Son intérêt pour la méditation transcendantale, sa rencontre avec Ravi Shankar, sa fascination pour la culture indienne et la quête d’une paix intérieure transparaissent dans ses compositions. On pourrait citer “My Sweet Lord,” emblématique de cet engagement spirituel et de cette recherche d’élévation au-delà du simple divertissement musical. Cette dimension plus profonde devient la marque de fabrique de Harrison, qui incite son public à regarder au-delà des apparences et à s’interroger sur le sens de la vie.

La genèse de “Try Some, Buy Some” : un morceau à la symbolique complexe

Composée par George Harrison, “Try Some, Buy Some” est, à l’origine, une chanson conçue pour Ronnie Spector, l’ex-chanteuse des Ronettes. Enregistrée au début des années 1970, elle bénéficie de la production conjointe de Harrison et du célèbre Phil Spector, dont l’approche orchestrale, le “Wall of Sound,” a marqué l’histoire de la pop. Harrison finit par inclure sa propre version de la chanson sur l’album “Living in the Material World” (1973).

Aux premiers abords, “Try Some, Buy Some” peut sembler à contre-courant des tubes plus évidents de Harrison. C’est un morceau au tempo lent, empreint d’une forme de gravité. Les paroles évoquent la découverte d’une vérité, ou d’une révélation, comme une sorte de quête spirituelle qui se matérialise par étapes. Dans l’univers de Harrison, pétri de références religieuses et de philosophie orientale, la chanson se charge d’un symbolisme particulier : celui de l’expérience mystique, du lâcher-prise et de la transition d’un état d’aveuglement à un état de clarté.

Loin de l’énergie rock’n’roll à laquelle Bowie était habitué, “Try Some, Buy Some” se situe dans un registre contemplatif. Pour Bowie, qui a entendu ce morceau pour la première fois en 1974, lors de sa propre tournée où la cocaïne dictait le tempo de ses nuits, la chanson a d’abord eu une résonance décalée, presque étrangère à sa réalité. Pourtant, des années plus tard, il admettra avoir ressenti dans cette composition une puissance insoupçonnée, comme le pressentiment d’un message qu’il n’était pas encore prêt à accueillir.

Un déclic psychologique : la force cachée de “Try Some, Buy Some”

Le parcours de Bowie dans les années 1970 est marqué par une accélération inouïe de sa notoriété et de son style de vie, souvent résumé comme “sexe, drogues et rock’n’roll.” S’il y a eu chez lui des tentatives de s’éloigner du précipice, ces velléités de sevrage restaient fragiles, toujours compromises par l’engrenage de la scène et les nouvelles expérimentations musicales. Pourtant, dans une interview accordée en 2003 au journaliste Paul Du Noyer, Bowie confie que “Try Some, Buy Some” a fini par symboliser, pour lui, la rupture entre deux mondes : celui de la dépendance et celui de la sobriété retrouvée.

Dans cette interview, il déclare avoir ressenti a posteriori la portée de ce morceau qui, sur le moment, ne lui apparaissait pas sous un angle aussi salvateur. En 1974, il n’avait pas encore conscience de la gravité de son addiction, ni de l’impact que celle-ci aurait sur sa santé physique et mentale. Or, revenir plus tard sur les paroles de Harrison, c’était pour lui comprendre qu’il existait une issue, un chemin à emprunter vers un nouvel équilibre. Bowie avoue que la chanson est devenue le symbole d’une “consolation,” comme s’il s’agissait d’un mantra lui permettant de se raccrocher à quelque chose de plus grand que lui.

Cette révélation tardive en dit long sur la manière dont la musique peut exercer une influence insidieuse, plantant des graines dans l’esprit d’un artiste qui ne les verra germer qu’au moment propice. “Try Some, Buy Some” n’est donc pas simplement un beau titre de la discographie solo de Harrison, c’est, pour Bowie, un point de connexion avec l’idée d’un renouveau possible, l’amorce d’une introspection sur ses propres choix de vie.

La lente reconquête de Bowie : du chaos à la maturité des années 1980

Le Bowie des années 1980 est bien différent de celui des années 1970. L’album “Scary Monsters (and Super Creeps)” (1980) amorce une nouvelle ère : tout en conservant une modernité sonore, il semble plus ancré dans une réalité tangible. Au cours de cette décennie, Bowie se rapproche de stratégies musicales plus accessibles, loin de la folie furieuse qui avait caractérisé certaines de ses périodes précédentes. Son succès planétaire avec le tube “Let’s Dance” (1983), produit par Nile Rodgers, parachève sa transformation en superstar pop, flamboyante mais en apparence plus apaisée.

Dans ce nouveau chapitre, Bowie prend conscience de la nécessité d’une meilleure hygiène de vie. Son addiction à la cocaïne, qui avait atteint des sommets inquiétants, se voit peu à peu jugulée. On relate souvent qu’il s’installe un temps à Berlin à la fin des années 1970 pour se ressourcer et fuir le tourbillon hollywoodien. Accompagné par Brian Eno, il y produit la fameuse “trilogie berlinoise” : “Low” (1977), “Heroes” (1977), et “Lodger” (1979).

S’il n’a pas complètement laissé la drogue derrière lui durant ces enregistrements, cette parenthèse allemande lui permet de redéfinir son art et de prendre un certain recul.

L’impact de George Harrison, par le biais de “Try Some, Buy Some,” se fait probablement sentir davantage sur le long terme, comme une prise de conscience discrète qui finit par éclore quand l’esprit est mûr. Il est intéressant de noter que, dans son témoignage de 2003, Bowie insiste sur le fait qu’il est devenu profondément las de lire dans la presse les “récits de rockers ayant enfin renoncé aux drogues.” Selon lui, ce parcours de désintoxication demeure un chemin intime, dont la banalisation médiatique peut lasser. Il n’en demeure pas moins que sa propre trajectoire, intimement liée à ce titre de Harrison, offre un témoignage éloquent de la manière dont la musique peut participer à une renaissance.

La rencontre artistique entre deux univers : Bowie et le “son” Harrison

Si George Harrison est souvent célébré pour ses contributions profondes à la discographie des Beatles, il l’est tout autant pour son cheminement spirituel et les nuances philosophiques de ses textes en solo. Bowie, de son côté, était un adepte de la théâtralité, un maître de la mise en scène qui n’hésitait pas à s’envelopper dans les atours de la science-fiction, du glam rock ou des expérimentations les plus radicales. A priori, tout semblait opposer l’ex-Beatle mystique et le créateur de Ziggy Stardust. Pourtant, à y regarder de plus près, leur point commun résidait dans une même quête de transcendance : l’un tourné vers l’élévation spirituelle, l’autre vers la transformation permanente de l’identité.

Dans les années 1970, alors que la renommée de Bowie explose, Harrison poursuit sa route solo avec une certaine discrétion. Il ne recherche plus le devant de la scène comme à l’époque des Beatles. Il sort néanmoins des albums importants, tels que “Dark Horse” (1974) et “Extra Texture (Read All About It)” (1975), avant de revenir sur le devant de la scène avec “Thirty Three & 1/3” (1976). Dans chacun de ses disques, Harrison continue de distiller une conscience spirituelle, abordant la question de la foi, de la compassion, et de la nécessaire prise de recul face à la célébrité et aux tentations. Tout cela rejoint, au fond, les interrogations que Bowie, en proie à l’excès, finit par se poser à un moment ou à un autre.

Le choix symbolique de la reprise : “Try Some, Buy Some” sur l’album Reality (2003)

Lorsque Bowie sort l’album “Reality” en 2003, il inclut une reprise de “Try Some, Buy Some.” C’est un geste hautement significatif. A ce moment-là, George Harrison est décédé depuis deux ans (novembre 2001), victime d’un cancer. Bowie, désormais sexagénaire, revient d’un long chemin personnel et artistique, marqué par des succès planétaires, des transformations continues, des excès et un sevrage progressif qui l’a amené à réévaluer ses priorités.

Cette reprise s’inscrit dans un cadre particulier : “Reality” est un album contemplatif, où Bowie se penche sur sa propre histoire, ses peurs, ses doutes, sa relation avec le temps et la mortalité. Choisir “Try Some, Buy Some” revient à faire un clin d’œil à son propre passé, à reconnaître publiquement le rôle que la chanson de Harrison a pu jouer dans son cheminement vers la sobriété. C’est également un hommage à l’ancien Beatles, un témoignage de respect pour un artiste qui, lui aussi, a connu une forme de plénitude spirituelle après les tumultes de la gloire.

Le fait que Bowie n’ait pas choisi de reprendre un titre plus célèbre de Harrison, comme “My Sweet Lord” ou “What Is Life,” indique à quel point “Try Some, Buy Some” possède une valeur personnelle, quasi confidentielle, dans son parcours. C’est une chanson moins immédiatement associée à l’ex-Beatle, plus énigmatique, et qui n’a pas la notoriété de certains titres phares. Cette décision en dit long sur la sincérité de la démarche.

La signification profonde pour les fans des Beatles

Collaborant moi-même avec le plus grand site internet francophone dédié aux Beatles, j’ai souvent pu constater que les admirateurs de George Harrison apprécient tout particulièrement ses morceaux les plus introspectifs. S’il est indéniable que “Something” ou “Here Comes the Sun” représentent des sommets de sa contribution au sein du quatuor légendaire, ses compositions post-Beatles recèlent de joyaux qui ne demandent qu’à être redécouverts. “Try Some, Buy Some” illustre cette facette plus discrète, plus réflexive, de la personnalité musicale de Harrison.

Pour le public des Beatles, la reprise de ce titre par Bowie a été perçue comme une passerelle inattendue entre deux univers qui n’avaient pas souvent l’occasion de se croiser. Cette rencontre entre le rock théâtral de Bowie et la profondeur méditative de Harrison n’est certes pas la collaboration directe de deux artistes en studio, mais c’est un hommage vibrant, presque un dialogue posthume que Bowie entreprend avec la mémoire de George. Les fans y voient la confirmation de l’empreinte persistante que le Beatle spirituel a laissée dans la culture populaire.

En outre, il ne faut pas sous-estimer l’impact que ce type de reprise peut avoir sur de nouvelles générations d’auditeurs : au-delà du cercle des inconditionnels de Bowie, certains découvrent, par ce biais, des pans entiers de la discographie d’Harrison. Ils se laissent surprendre par l’originalité du morceau, sa couleur orchestrale, ses accents philosophiques. C’est, en somme, un va-et-vient entre deux légendes du rock, qui se répondent à travers les décennies et s’enrichissent mutuellement.

L’héritage de David Bowie : une sobriété assumée et une créativité intacte

David Bowie a continué d’explorer, jusqu’à la fin de sa vie, de nouveaux territoires musicaux. Ses albums ultérieurs, comme “The Next Day” (2013) ou “Blackstar”

(2016), témoignent d’un artiste lucide sur le temps qui passe, conscient de la fragilité de l’existence et désireux de transcender les genres. Le Bowie du nouveau millénaire, s’il reste mystérieux et insaisissable, n’a plus besoin de recourir à l’excès pour nourrir son art. Il suffit de repenser à l’aura de sagesse qu’il dégageait dans certaines interviews tardives : derrière son regard perçant, on devinait une force intérieure retrouvée, une maîtrise de soi acquise au fil des épreuves.

Loin de la mythologie de l’autodestruction, l’exemple de Bowie ouvre la voie à un modèle différent : celui de l’artiste qui, après s’être brûlé les ailes, revient à l’essentiel. Dans la mythologie rock, on a souvent mis en avant les tragédies et les destins brisés. Bowie, lui, nous montre qu’il est possible de renaître, de reprendre le contrôle de sa vie tout en continuant à innover musicalement. Dans cet itinéraire, la chanson de George Harrison demeure l’un de ces petits cailloux brillants semés sur sa route, quelque chose d’apparemment anodin, mais qui recèle une force symbolique immense.

Un exemple de rédemption dans l’histoire du rock

La presse a souvent été fascinée par les grands “renoncements” du rock : Eric Clapton, Steven Tyler, et bien d’autres figures ont connu des combats contre la dépendance et ont fini par s’en sortir. Pourtant, il est rare de voir un artiste mettre en avant une chanson précise qui aurait servi de déclencheur ou de catalyseur dans son processus de guérison. En cela, l’aveu de Bowie concernant “Try Some, Buy Some” se singularise, car il ne s’agit pas d’un simple discours de circonstances, mais d’un dialogue intime qu’il a noué avec une œuvre de George Harrison.

Bien entendu, ce serait réducteur d’imaginer qu’un seul morceau a, à lui seul, sauvé Bowie de la spirale de la drogue. Le chemin vers la sobriété est long, complexe, et suppose un ensemble de prises de conscience, de soutiens, de décisions médicales et psychologiques. Toutefois, il est touchant de constater qu’une chanson peut agir comme un signe, un point de repère dans la tempête, quelque chose qui vous murmure à l’oreille : “Il existe un autre mode de vie possible, plus lumineux.”

La permanence de l’œuvre de George Harrison

Même après sa disparition, George Harrison continue d’exercer une influence profonde dans le monde de la musique. Ses albums, marqués par un subtil équilibre entre pop occidentale et sonorités indiennes, ont inspiré de nombreux artistes désireux de transcender les frontières culturelles. Son engagement pour des causes humanitaires et sa quête spirituelle ont offert une autre vision de la célébrité, moins tapageuse, plus tournée vers l’altérité.

Aujourd’hui, lorsque l’on écoute “Try Some, Buy Some,” on est frappé par l’atmosphère singulière de cette composition. La production de Phil Spector, mêlée à l’empreinte spirituelle de Harrison, crée une ambiance à la fois majestueuse et introspective. Les paroles invitent à un changement de perspective, à l’idée que l’existence recèle des trésors insoupçonnés, pour peu que l’on accepte de poser un regard neuf sur ce qui nous entoure. C’est précisément cette dimension introspective et méditative qui a résonné, des années plus tard, dans l’esprit d’un Bowie en quête de salut.

Un pont entre deux mythes : la postérité de ce lien singulier

Au-delà de l’impact direct sur la vie personnelle de Bowie, l’évocation de “Try Some, Buy Some” nous rappelle que le rock n’est pas seulement affaire de riffs endiablés et de postures scéniques. Il recèle un pouvoir quasi mystique, capable de toucher l’âme de ceux qui l’écoutent et, parfois, de les aider à franchir des étapes décisives dans leur existence. Dans ce cas précis, l’ancien Beatles offre à la rock star excentrique un écho spirituel. C’est une main tendue à travers la musique, un témoignage qui transcende les styles et les générations.

En écoutant la version que Bowie enregistre pour “Reality” en 2003, on perçoit une forme d’humilité et de gratitude envers Harrison. Il ne s’agit pas d’une reprise pompeuse ou ostentatoire. Bien au contraire, la voix de Bowie semble presque fragile par instants, comme s’il laissait entrevoir la vulnérabilité de l’homme derrière le personnage. Chaque note résonne comme un hommage à la fois pudique et sincère, une confession faite à la mémoire de Harrison, et plus largement à tous les auditeurs qui ont, eux aussi, cherché un jour un renouveau spirituel ou moral.

Perspectives sur la longévité de l’inspiration

Les carrières de George Harrison et de David Bowie sont souvent étudiées séparément, tant leur univers paraît différent. L’un, issu du plus grand groupe de pop-rock de l’histoire, s’est tourné vers la musique indienne et la spiritualité, quand l’autre, touche-à-tout aux identités multiples, a façonné l’avant-garde rock et pop sur plusieurs décennies. Pourtant, l’exemple de “Try Some, Buy Some” montre que des ponts existent entre ces deux icônes. Les influences dans le monde de la musique ne se limitent pas à ce qui est immédiatement audible ou commercial. Elles peuvent prendre la forme d’échos souterrains, de messages laissés dans une chanson qui resurgit au détour d’une écoute, dans un moment de vulnérabilité ou de remise en question.

De fait, de nombreux artistes se disent encore inspirés par l’honnêteté du travail d’Harrison, cette capacité à mettre en musique ses convictions, tout comme ils admirent la créativité sans bornes de Bowie, ce génie capable de remodeler la culture pop à volonté. On pourrait penser que la rencontre de ces deux sensibilités n’aurait jamais pu exister si ce n’était la force universelle de la musique, qui relie les âmes au-delà des genres, des époques et des modes de vie.

L’exemple d’une résonance universelle

Si l’on souhaite appréhender la portée réelle de ce lien, il faut se replacer dans la notion d’héritage culturel. David Bowie et George Harrison, chacun à sa manière, ont contribué à élargir les horizons artistiques de leur époque. Harrison a introduit dans la pop britannique des éléments de musique orientale et une quête spirituelle inédite, tandis que Bowie a poussé la scène rock vers des terrains théâtraux, électroniques et conceptuels jusqu’alors inexplorés. La reprise de “Try Some, Buy Some” par Bowie est donc un symbole fort : celui de la reconnaissance mutuelle de deux pionniers, pour qui la musique est plus qu’une forme de divertissement.

En définitive, ce dialogue implicite entre Bowie et Harrison témoigne d’une dynamique propre à la culture rock : l’héritage se transmet, se réactualise, se transforme au gré des sensibilités. De la même manière que la musique de Bob Dylan a trouvé écho chez les Beatles, ou que la soul de James Brown a influencé les Rolling Stones, “Try Some, Buy Some” a tracé un sillon dans l’âme de Bowie, l’aidant à se souvenir que derrière les projecteurs, les fans et l’ivresse de la scène, il y a l’humain qui cherche un sens à sa vie.

Une inspiration toujours vivante pour les nouvelles générations

Les jeunes musiciens qui se lancent aujourd’hui dans l’aventure du rock, du pop ou même d’autres genres plus modernes (electro, hip-hop, etc.) auraient sans doute beaucoup à apprendre de cette histoire singulière. D’abord, qu’il est vain de croire que l’art se nourrit exclusivement de destruction. Ensuite, que l’on peut trouver des alliés insoupçonnés dans un répertoire qui ne nous est pas immédiatement familier. Bowie est allé puiser chez Harrison un élément de réponse à ses propres problématiques, alors même qu’il évoluait dans un univers esthétique quasi opposé.

Ce rapprochement nous enseigne aussi l’importance de s’ouvrir à la diversité musicale : les trésors artistiques ne se cachent pas seulement dans les tubes qui caracolent en tête des hit-parades. Parfois, c’est en fouillant dans les recoins moins médiatisés de la discographie d’un artiste que l’on déniche un joyau aux vertus inattendues. “Try Some, Buy Some” n’est pas le titre le plus célèbre de Harrison, mais il a touché Bowie de manière profonde, déclenchant une prise de conscience réelle.

Une rédemption par la musique : le sens ultime de l’héritage de Bowie et Harrison

En tant que journaliste de rock ayant suivi la carrière de Bowie depuis ses premiers succès jusqu’à ses derniers albums, j’ai constaté combien ce chapitre de sa vie demeure essentiel pour comprendre l’ensemble de son œuvre. Bowie est l’archétype de l’artiste qui s’est réinventé à chaque décennie, qui a connu les dérives de la célébrité et qui a su, contre toute attente, se reconstruire pour évoluer vers un art plus sage, mais non moins inventif.

Quant à George Harrison, son legs va bien au-delà des frontières du rock. Sa musique, mâtinée de spiritualité, continue d’agir comme un baume apaisant dans un monde souvent agité. Même après sa mort, ses chansons accompagnent de nombreuses personnes dans leurs moments de doute ou de recherche intérieure. Apprendre que Bowie a trouvé dans l’une de ces chansons un élan pour s’extraire des ténèbres est, en soi, un magnifique hommage rendu à la capacité de la musique à guérir, à inspirer et à relier les individus, quelles que soient leurs différences.

Ainsi, à travers l’histoire de “Try Some, Buy Some,” c’est toute une réflexion sur la place de la spiritualité, de la sobriété et de la création artistique qui se déploie. Derrière les feux du succès, derrière la gloire et l’excès, il existe toujours cette part d’humanité prête à s’éveiller au contact d’une note, d’un accord, d’un texte inspiré. George Harrison et David Bowie, dans cette rencontre a priori improbable, incarnent la force de la musique : capable de transcender les époques, de bouleverser les destins et de rappeler à chacun qu’il est toujours possible d’espérer, de se relever et d’ouvrir une nouvelle page de son existence.


Retour à La Une de Logo Paperblog