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Hiver à Sokcho

Publié le 02 juin 2025 par Adtraviata
Hiver Sokcho

Quatrième de couverture :

À Sokcho, petite ville portuaire proche de la Corée du Nord, une jeune Franco-coréenne qui n’est jamais allée en Europe rencontre un auteur de bande dessinée venu chercher l’inspiration depuis sa Normandie natale. C’est l’hiver, le froid ralentit tout, les poissons peuvent être venimeux, les corps douloureux, les malentendus suspendus, et l’encre coule sur le papier, implacable : un lien fragile se noue entre ces deux êtres aux cultures si différentes. Ce roman délicat comme la neige sur l’écume transporte le lecteur dans un univers d’une richesse et d’une originalité rares, à l’atmosphère puissante.

J’ai choisi ce roman pas du tout de saison pour participer à la Lecture commune organisée aujourd’hui en l’honneur des 50 ans des éditions Zoé, et bien sûr, pour découvrir la plume d’Elisa Shua Dusapin. Et je n’ai pas été déçue.

C’est un roman délicat malgré les rigueurs de l’hiver dans cette petite ville située non loin de la frontière avec la Corée du Nord. Beaucoup d’implicite et de non-dit entre les lignes : à travers la narratrice, jeune femme franco-coréenne qui travaille dans une pension miteuse de Sokcho, on comprend un peu la culture coréenne, la place de la femme qui doit être mariée et belle (la chirurgie esthétique impose des exigences que refuse la narratrice, malgré ses complexes), l’attrait de la capitale Séoul sur les jeunes gens. Et voilà qu’arrive à la pension Yan Kerrand, un Normand dessinateur de bandes dessinées. Ils s’observent en catimini, elle l’épie à travers sa porte et le mur mitoyen de leurs chambres, elle l’emmène en excursion, elle devine à travers lui un peu de ses origines françaises, il semble peiner à donner sa confiance.

C’est un roman d’ambiance, un roman d’attente, une attente étouffée dans le froid de l’hiver qui fige les paysages et les sentiments. L’écriture est belle, poétique et précise à la fois. Elisa Shua Dusapin évoque à merveille les traits de l’encre sur une feuille de papier, la ligne d’une cicatrice, la griffe des barbelés d’une guerre interminable entre les deux Corée, la solitude d’un hiver à Sokcho.

« Suintant l’hiver et le poisson, Sokcho attendait.
Sokcho ne faisait qu’attendre. Les touristes, les bateaux, les hommes, le retour du printemps. »

« – Vos plages, la guerre leur est passée dessus, elles en portent les traces mais la vie continue. Les plages ici attendent la fin de la guerre qui dure depuis tellement longtemps qu’on finit par croire qu’elle n’est plus là, alors on construit des hôtels, on met des guirlandes mais tout est faux, c’est comme une corde qui s’enfile entre deux falaises, on y marche en funambules sans jamais savoir quand elle se brisera, on vit un entre-deux, et cet hiver qui n’en finit pas! »

« Ses doigts glissaient avec timidité sur le papier. Le pinceau balbutiait sur les proportions du corps. Du visage surtout. Elle prenait un accent oriental. Il ne devait pas avoir l’habitude de représenter des femmes, j’en avais peu vu parmi ses personnages. Lentement, ses traits se sont faits plus sûrs. Elle s’est mise à tournoyer dans une robe. Tantôt maigre tantôt voluptueuse, bras étendus ou ramassés, tordue toujours, elle se modelait sous ses doigts. De temps à autre, Kerrand arrachait un morceau de feuille pour le mâchonner. »

Elisa Shua DUSAPIN, Hiver à Sokcho, Editions Zoé, 2016


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