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Quand George Harrison ne supportait plus les chansons de McCartney

Publié le 03 juin 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Derrière l’harmonie apparente des Beatles, George Harrison exprimait une réelle exaspération envers certaines chansons légères de McCartney. Ob-La-Di, Ob-La-Da et Maxwell’s Silver Hammer cristallisent une tension artistique et humaine au sein du groupe.


Parmi les innombrables chapitres qui composent la saga légendaire des Beatles, certains sont plus discrets, enfouis sous l’éclat des tubes immortels et des tournées hystériques. Pourtant, ces pages-là racontent des vérités bien humaines, tissées de jalousie, d’épuisement, de vision artistique divergente — et, parfois, d’une profonde irritation. L’histoire de George Harrison face à certaines chansons de Paul McCartney en fait partie. Deux titres en particulier incarnent à la perfection ce tiraillement : Ob-La-Di, Ob-La-Da et Maxwell’s Silver Hammer.

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Quand le « troisième homme » observe, apprend… et s’agace

George Harrison est souvent présenté comme le « quiet Beatle », discret, effacé derrière le tandem Lennon-McCartney. Mais sous les sourcils broussailleux et le regard contemplatif, se cachait une intelligence musicale en éveil, une sensibilité raffinée et un instinct artistique en constante maturation. Dans les premières années, Harrison regardait et écoutait. Lennon et McCartney composaient, dominaient, dirigeaient. Harrison, lui, s’imprégnait.

Ce positionnement de spectateur ne l’a jamais satisfait totalement. Il faut relire certaines de ses déclarations pour comprendre qu’en lui grondait un feu créatif contenu, souvent étouffé par les egos plus bruyants de ses camarades. Il faudra attendre Rubber Soul pour qu’Harrison commence à glisser quelques-unes de ses compositions dans les disques du groupe. Et il faudra The White Album puis Abbey Road pour que le monde réalise qu’un compositeur de génie était resté dans l’ombre, attendant son heure.

Mais ce cheminement n’a pas été sans friction. L’hostilité latente que Harrison nourrissait vis-à-vis de certaines compositions de McCartney est le reflet d’une tension artistique palpable au sein du groupe. Et lorsque McCartney cédait à ses penchants les plus légers, George réagissait — parfois avec humour, souvent avec une ironie mordante.

Ob-La-Di, Ob-La-Da : la bluette qui exaspère

Composée par Paul McCartney dans une veine pseudo-reggae, Ob-La-Di, Ob-La-Da est souvent considérée comme l’un des morceaux les plus légers — pour ne pas dire futiles — de l’œuvre des Beatles. Sur The White Album, déjà vaste kaléidoscope de styles et de tempéraments, la chanson tranche par son apparente insouciance. Mais derrière ses airs de comptine joviale, elle fut le théâtre d’une véritable épreuve de patience pour George Harrison.

McCartney, perfectionniste forcené, exigea des prises répétées, des arrangements précis, une orchestration millimétrée. Un acharnement qui exaspéra les autres membres du groupe, déjà tendus par les dynamiques interpersonnelles complexes. Harrison, en particulier, trouva dans cette session l’exemple parfait de ce qu’il rejetait chez McCartney : la recherche d’un « hit » aux dépens de la sincérité.

La réponse de George ne se fit pas attendre. Sur Savoy Truffle, morceau funky et grinçant inspiré d’un excès de chocolats de leur ami Eric Clapton, Harrison glissa ces paroles sans ambiguïté :
« But what is sweet now, turns so sour / We all know Ob-La-Di, Ob-La-Da / But can you show me, where you are? »

Ce vers, sarcastique à souhait, est un missile déguisé en friandise. Harrison y règle ses comptes, pointant l’artificialité du titre de McCartney tout en exprimant sa frustration croissante quant à sa place dans le groupe. Ce n’est pas seulement la chanson qui le dérange, c’est ce qu’elle symbolise : une forme de légèreté creuse, de tyrannie mélodique.

Maxwell’s Silver Hammer : le supplice du marteau d’argent

Si Ob-La-Di, Ob-La-Da a irrité Harrison, Maxwell’s Silver Hammer, issue de Abbey Road, provoqua un rejet quasi unanime de la part de tous les Beatles — à l’exception, bien sûr, de Paul McCartney lui-même.

Le morceau, sous ses apparences de bluette vaudevillesque, raconte l’histoire d’un étudiant qui assassine ses professeurs à coups de marteau. L’idée est saugrenue, l’ambiance volontairement décalée, et la production — encore une fois — excessivement travaillée. McCartney y voyait un exemple d’absurdité anglaise à la Monty Python, teintée de noirceur humoristique. Harrison, lui, voyait surtout un cauchemar de studio.

Dans une interview ultérieure, George déclara :
« Sometimes Paul would make us do these really fruity songs. I mean, my God, Maxwell’s Silver Hammer was so fruity. »
Puis il ajouta, à moitié moqueur :
« After a while we did a good job on it, but when Paul got an idea or an arrangement in his head… » — laissant la phrase en suspens, comme un aveu d’épuisement.

L’anecdote la plus célèbre à ce sujet vient peut-être de McCartney lui-même, qui se souvient du regard désabusé de George, accompagné de cette phrase assassine :
« You’ve taken three days; it’s only a song. »

Trois jours pour une chanson que personne ne voulait vraiment jouer. Trois jours à répéter, peaufiner, réenregistrer, alors que le groupe approchait de l’implosion. Maxwell’s Silver Hammer, malgré ses clochettes joyeuses et sa ligne mélodique impeccable, est en réalité l’un des symboles les plus puissants de la lassitude grandissante entre les membres du groupe.

Les failles sous la surface de l’harmonie

Ce que révèlent ces deux chansons, ce n’est pas uniquement une divergence de goûts. C’est un gouffre qui s’est creusé entre les intentions de chacun. McCartney, obnubilé par le travail bien fait, par l’architecture harmonique parfaite, poussait le groupe dans ses retranchements. Harrison, lui, aspirait à plus de liberté, de sincérité, de spiritualité.

Alors que Lennon glissait doucement vers l’avant-garde et l’introspection brutale, Harrison se tournait vers la musique indienne, la méditation transcendantale et une forme d’expression plus intérieure. Il ne pouvait que s’irriter de ces morceaux « fruity », qui lui semblaient superficiels, déconnectés de l’urgence existentielle qui animait désormais son art.

Cette tension n’est pas unique à The Beatles. Elle traverse l’histoire de la musique. Les groupes majeurs sont souvent fondés sur un équilibre fragile entre les forces opposées. La friction engendre l’étincelle créative, mais elle finit presque toujours par consumer le tout.

Le paradoxe de la discorde créatrice

Ironiquement, c’est peut-être cette irritation, cette lassitude même, qui donna naissance aux plus belles chansons de George Harrison. En réaction à l’emprise du tandem Lennon-McCartney, Harrison composa While My Guitar Gently Weeps, Here Comes The Sun, Something. Autant de pièces qui surpassent aujourd’hui, pour beaucoup de critiques et de fans, les compositions de ses célèbres comparses.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que Harrison ne haïssait pas McCartney. Il haïssait une certaine tendance de McCartney à privilégier le contrôle sur la spontanéité, l’efficacité pop sur la sincérité. Et au fond, McCartney le savait. La relation entre les deux hommes n’a jamais été de franche camaraderie, mais plutôt un tango de respect mêlé d’agacement.

Leur collaboration post-Beatles en témoigne : rare, distante, mais jamais totalement rompue. Comme si, malgré tout, une corde invisible les liait encore à jamais.

Ce que nous dit encore, soixante ans plus tard, cette tension musicale

En revisitant Ob-La-Di, Ob-La-Da et Maxwell’s Silver Hammer à la lumière du ressentiment de Harrison, on comprend mieux les tensions internes qui habitaient les Beatles dans leurs dernières années. Ces chansons sont devenues, malgré elles, des marqueurs d’un groupe au bord de l’explosion. Elles incarnent le trop-plein, l’obsession, l’étouffement — mais aussi la brillance, le risque, l’expérimentation.

C’est dans cette contradiction que réside le génie des Beatles. Chaque chanson, même la plus décriée, fait partie d’un tout. Un tout fragile, parfois douloureux, mais toujours fulgurant.

Et peut-être, au fond, est-ce pour cela que nous continuons à en parler, soixante ans plus tard. Parce que même dans le rejet, même dans le désamour, se cache un éclat de vérité musicale — un éclat qui, grâce à Harrison, ne s’est jamais éteint.


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