Magazine Culture

« I Call Your Name » : le cri silencieux de John Lennon dévoilé

Publié le 06 juin 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Derrière l’apparente légèreté de « I Call Your Name » se cache une profonde douleur de John Lennon, liée à la perte de sa mère Julia. Écrite avant la formation des Beatles, cette chanson exprime un cri silencieux que Paul McCartney ne comprit que bien plus tard, réalisant que les paroles reflétaient une souffrance intime que Lennon n’avait jamais vraiment surmontée.


À première écoute, I Call Your Name pourrait aisément passer pour l’un de ces morceaux secondaires qui peuplent les faces B ou les albums moins commentés de l’âge d’or des Beatles. Rythmique enlevée, refrain entêtant, cowbell insistant : tout y semble simple, presque anodin. Et pourtant, comme souvent chez Lennon, la vérité affleure sous la surface. Il aura fallu des années, sinon des décennies, pour que Paul McCartney, l’ami, le frère d’armes, le complice de toujours, se rende compte que derrière cette mélodie sautillante se cachait en réalité une douleur muette : celle d’un enfant abandonné, d’un adolescent brisé, d’un homme jamais vraiment consolé.

Sommaire

Aux origines du mythe : Lennon, McCartney et l’ombre des absents

Avant que les Beatles ne deviennent les Beatles, avant même les premières notes de Love Me Do, il y avait les Quarrymen. En 1956, dans les ruelles industrielles de Liverpool, un adolescent de 16 ans nommé John Lennon rassemble quelques camarades de classe du lycée Quarry Bank pour former un groupe de skiffle, ce style hybride et populaire chez les jeunes britanniques de l’après-guerre. Une aventure musicale encore incertaine, bricolée, qui portera brièvement le nom de The Blackjacks avant de céder à celui, plus scolaire, des Quarrymen.

C’est dans ce contexte quasi anonyme qu’a lieu, en juillet 1957, la rencontre fondatrice. Lors d’une fête paroissiale à Woolton, dans l’enceinte de l’église St Peter, Lennon croise la route d’un jeune garçon de 15 ans : Paul McCartney. Le courant passe immédiatement. McCartney impressionne Lennon par sa capacité à accorder une guitare — une compétence que John n’a pas encore — et par sa connaissance précise du répertoire rock’n’roll américain. Très vite, Paul est intégré aux Quarrymen, et l’alchimie qui allait redéfinir la musique populaire mondiale commence à opérer.

Une chambre, deux guitares, une amitié

Dans Many Years From Now, biographie de Paul McCartney écrite par Barry Miles, l’ex-Beatle évoque avec tendresse ces longues après-midi passées dans la chambre de Lennon, chez sa tante Mimi. Les deux adolescents y écoutaient en boucle Chuck Berry, Fats Domino, ou encore Jerry Lee Lewis. Mais plus que la musique, c’est l’ambiance qui transparaît dans le souvenir de Paul : une chambre modeste, un refuge d’adolescence, avec ses bougies, ses guitares, ses livres. Un monde clos, mais ouvert sur tous les possibles.

Il y a aussi, dans ces évocations, une vérité presque comique : la gêne physique d’être côte à côte sur un petit lit, les manches de guitare qui s’entrechoquent. Mais cette promiscuité dit aussi quelque chose de la proximité émotionnelle entre les deux garçons. L’union Lennon-McCartney n’est pas née dans les studios d’Abbey Road, mais dans cette chambre exiguë, dans le bruissement des vinyles américains, dans la maladresse partagée de deux orphelins de mère.

Le traumatisme initial : la disparition de Julia Lennon

Pour comprendre la charge émotionnelle latente dans certaines compositions de John Lennon, il faut revenir sur son passé familial. En 1945, alors qu’il n’a que cinq ans, John est retiré à sa mère Julia. Celle-ci, jugée trop légère, trop instable, par sa propre sœur Mimi — la célèbre tante Mimi — se voit privée de la garde de son fils. John grandit alors chez Mimi et son mari George Smith, dans un foyer rigide mais stable, à Menlove Avenue. Julia, pourtant présente en périphérie, ne disparaît jamais tout à fait de la vie de son fils. Ils se voient, s’aiment, se reconnaissent. Mais cette relation est condamnée à rester partielle, périphérique, imparfaite.

Le drame surviendra en 1958. John a 17 ans lorsqu’un policier ivre, au volant, renverse et tue Julia. Le choc est absolu, irréversible. Ce n’est pas seulement la perte d’une mère, c’est la perte de l’espoir d’un retour, d’une réconciliation, d’un amour retrouvé. Ce traumatisme hante Lennon toute sa vie. On le retrouve dans Julia, cette ballade sublime de l’album blanc, où il mêle le souvenir de sa mère et l’amour pour Yoko Ono. On le retrouve dans Mother, déchirante confession de son album solo Plastic Ono Band. Mais on le retrouve déjà, bien avant tout cela, dans I Call Your Name.

Une chanson ancienne, un chagrin ancien

Écrite par Lennon dès le tout début des années 1960, I Call Your Name fait partie de ces premiers essais du duo Lennon-McCartney. Paul la décrit comme une composition essentiellement de John, sur laquelle il l’a aidé à structurer quelques éléments musicaux. Le titre, sorti en 1964 sur un EP britannique et sur l’album américain The Beatles’ Second Album, n’a pas connu un grand retentissement commercial, mais il incarne une forme de bascule : c’est l’un des premiers morceaux où Lennon laisse affleurer un malaise plus profond que les bluettes adolescentes du début.

Sur le moment, McCartney n’y voit qu’un exercice de style, une chanson d’amour classique sur l’absence de l’être aimé. Mais bien des années plus tard, à la lumière de la vie brisée de Lennon, il relit les paroles autrement : « I call your name, but you’re not there… » Et il s’interroge : s’agissait-il vraiment d’une amante ? Ou bien d’une mère absente ? D’un père fuyant ? D’un appel désespéré à une figure parentale disparue ?

McCartney, qui connaît lui aussi la douleur du deuil maternel — sa mère Mary meurt d’un cancer alors qu’il n’a que 14 ans — comprend a posteriori que cette chanson était peut-être le premier signal d’alarme de son ami. Une demande d’aide que, sur le moment, il n’a pas su entendre.

La pudeur des garçons du nord

Ce malentendu émotionnel n’est pas une trahison. Il est le reflet d’une époque, d’un lieu, d’une culture. Dans le Liverpool prolétaire des années 1950, on ne parle pas de ses émotions. On les enfouit, on les maquille, on les canalise dans la musique, dans l’humour, dans le silence. Lennon et McCartney, comme des millions d’autres garçons britanniques, ont appris très jeunes à ne pas pleurer, à ne pas se plaindre, à « encaisser ».

Ce n’est que plus tard, dans les années psychédéliques, que ces verrous sauteront peu à peu. Lennon, aidé par la psychanalyse criée d’Arthur Janov, par l’amour radical de Yoko Ono, osera enfin dire ce qu’il avait tu pendant vingt ans. Mais en 1964, en plein tumulte de la Beatlemania, il n’en est pas encore là. Il crie, mais il chante. Il saigne, mais en secret.

L’amitié comme ancrage

Dans ce chaos émotionnel, un lien subsiste pourtant, puissant, indéfectible : celui qui unit John et Paul. Plus que des partenaires artistiques, ils furent des frères de substitution. Chacun avait perdu sa mère ; chacun cherchait une forme de repère, de miroir, de main tendue. Leur amitié, parfois orageuse, parfois tendre, fut le socle de l’empire Beatles.

Même au plus fort de leurs disputes, au cœur de la séparation du groupe, cette connexion originelle ne s’efface jamais complètement. Elle transparaît dans les interviews, dans les regards, dans les non-dits. Et après la mort de Lennon, en 1980, McCartney passe le reste de sa vie à lui rendre hommage, à entretenir sa mémoire, à revisiter leur œuvre commune avec une ferveur quasi religieuse.

Quand la pop devient psychanalyse

À l’aune de cette histoire, I Call Your Name change de statut. Ce n’est plus seulement un titre mineur, mais un document intime, un témoignage. Il faut y entendre non ce qu’elle prétend dire, mais ce qu’elle trahit malgré elle. Comme souvent chez Lennon, la vérité se glisse dans la faille, dans le vertige, dans ce que les mots n’osent pas tout à fait nommer.

Ce phénomène est d’ailleurs emblématique du génie des Beatles : leur capacité à faire passer des émotions complexes dans des formes simples. À transformer des douleurs indicibles en refrains que des millions de gens chantent sans savoir ce qu’ils signifient réellement. En cela, I Call Your Name est aussi un avertissement : toute chanson a son revers, tout couplet joyeux peut contenir une larme.

Un héritage d’ambivalence

La postérité a parfois la mémoire sélective. On célèbre les chefs-d’œuvre, on cite Hey Jude, Let It Be, Strawberry Fields Forever. Mais il est essentiel de ne pas oublier ces morceaux plus discrets, où s’esquissent déjà les failles, les faiblesses, les cris étouffés. Lennon était un homme blessé, et sa musique, même dans sa légèreté apparente, porte la marque de cette blessure.

McCartney, en revisitant les paroles de I Call Your Name des années plus tard, offre une forme de réparation posthume. Il reconnaît n’avoir pas compris, à l’époque, la profondeur du message. Mais c’est aussi cela, l’amitié : apprendre à lire, longtemps après, entre les lignes, et tendre la main, même quand il est trop tard.


Retour à La Une de Logo Paperblog