La relation entre les Beach Boys et les Beatles fut une rivalité artistique féconde. Brian Wilson, inspiré par Rubber Soul, répondit avec Pet Sounds, influençant à son tour Sgt. Pepper. Sean Lennon, ému par cette filiation, voit en Wilson un maître visionnaire.
L’histoire du rock est jalonnée de confrontations mythiques, parfois surjouées, souvent exagérées, mais rarement aussi stimulantes que celle qui lia les Beach Boys aux Beatles. Contrairement à d’autres « rivalités » aux relents commerciaux ou médiatiques, celle-ci fut nourrie d’un respect artistique profond et d’une admiration réciproque. Brian Wilson, bien que parfois qualifié d’ermite pop ou de génie tourmenté, n’a jamais caché combien les Beatles l’avaient inspiré, autant qu’il les avait influencés.
Dans une déclaration remontant à l’an 2000, Wilson reconnaissait sans détour : « Il y avait cette rivalité avec les Beatles et les Beach Boys — un peu, oui, mais pas trop. Pas assez pour effrayer qui que ce soit. » Des propos teintés d’humilité, mais qui disent beaucoup sur la manière dont cette relation s’est inscrite dans une forme d’émulation artistique plutôt que de compétition belliqueuse.
Sommaire
- Une émulation qui fit progresser la pop vers son âge d’or
- Une admiration sincère et partagée
- SMiLE : l’ambition dévorante née d’un dialogue à distance
- Le respect personnel derrière l’estime professionnelle
- Une absence qui se fait déjà sentir
Une émulation qui fit progresser la pop vers son âge d’or
L’un des moments clefs de cette rivalité créative se cristallise autour de la sortie de Rubber Soul en décembre 1965. Cet album des Beatles, aux ambiances plus introspectives et aux textures plus complexes, fit l’effet d’un électrochoc sur Brian Wilson. Il y vit l’annonce d’une nouvelle manière de concevoir l’album comme œuvre d’art totale. Sa réaction fut immédiate et décisive : il s’enferma dans son studio pour composer Pet Sounds, déterminé à « créer le plus grand album jamais réalisé ».
Mission accomplie, diront certains — et Paul McCartney en premier, qui ne cessera de répéter combien God Only Knows l’émeut aux larmes. Lors de son discours d’intronisation de Brian Wilson au Songwriters Hall of Fame en 2000, McCartney avoua : « Il a écrit de la musique qui, quand je la jouais, me faisait pleurer. Je ne sais pas exactement pourquoi. Ce n’était pas forcément les paroles ni la musique. Il y avait quelque chose de si profond là-dedans que seules quelques œuvres peuvent provoquer cela en moi. »
Cet aveu ému du « Cute Beatle » révèle l’ampleur de l’impact psychique et émotionnel que Wilson a exercé, même sur ses plus brillants contemporains.
Une admiration sincère et partagée
Si Wilson ne s’en défendait pas d’un brin de jalousie à l’égard de la Beatlemania, il n’en demeurait pas moins admiratif du phénomène. « Ils ont juste semblé tout à coup prendre le dessus. Ils étaient partout. Je pensais que leurs chansons étaient vraiment bonnes », confiait-il en évoquant l’année 1964, lorsque les Beatles envahirent les États-Unis et firent chavirer l’Amérique.
Mais loin de se sentir supplanté, Brian Wilson choisit la voie de la surenchère créative. Le résultat fut un sommet : Pet Sounds, sorti en mai 1966, qui propulsa la pop vers une sophistication harmonique, mélodique et orchestrale sans précédent. Une œuvre que les Beatles étudieront à la loupe pour concevoir leur propre chef-d’œuvre : Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band, paru un an plus tard.
SMiLE : l’ambition dévorante née d’un dialogue à distance
Poussé par les fulgurances psychédéliques de Sgt. Pepper’s, Wilson se lança dans son projet le plus ambitieux : SMiLE. Album mythique, jamais abouti à l’époque, il devint la chimère qui hanta Wilson pendant des décennies. Le dialogue artistique entre les deux groupes avait franchi un seuil quasi métaphysique : il ne s’agissait plus de pop, mais de pure création sonore, de langage visionnaire.
Mike Love, chanteur des Beach Boys, confirmait cette dynamique : « Brian était toujours à l’écoute des Beatles. Il voulait toujours savoir ce qu’ils faisaient, et il se mesurait à eux. » Mais cette émulation ne masquait en rien la chaleur humaine qui liait les deux formations. En 1968, Mike Love accompagne même les Beatles en Inde, à Rishikesh, pour suivre les enseignements du Maharishi Mahesh Yogi. « Nous nous aimions bien. Et nous aimions notre musique mutuellement. »
Le respect personnel derrière l’estime professionnelle
Wilson n’a jamais manqué d’exprimer son admiration pour Paul McCartney. Lors de son intronisation en 2000, il avoua que cette soirée l’avait profondément ému : « Je pleurais. J’ai passé un moment merveilleux. Je ne l’oublierai jamais. » Les deux hommes évoquèrent même la possibilité de collaborer, mais Brian, avec son humour à froid si caractéristique, déclara : « Je pense que je serais trop poule mouillée. Nous sommes tous des poules mouillées, en fait. »
Ce trait d’esprit cache sans doute une forme de vénération mêlée de timidité. Car dans l’esprit de Wilson, les Beatles — et McCartney en particulier — occupaient une place unique. La complexité des lignes mélodiques, la finesse des arrangements, l’inventivité rythmique des Beatles constituaient pour lui une source d’émerveillement renouvelé.
Une absence qui se fait déjà sentir
Alors que Ringo Starr et son épouse Barbara ont rapidement publié un message de condoléances — « God bless Brian, peace and love to all the family, peace and love » — Paul McCartney, au moment où nous écrivons ces lignes, n’a pas encore réagi publiquement. Mais il ne fait guère de doute que la perte de Brian Wilson laissera chez lui une empreinte émotionnelle considérable.
La disparition de Wilson marque plus qu’un deuil musical. Elle signifie la fin d’un chapitre où l’ambition artistique, la quête de beauté et l’expérimentation sonore étaient au cœur du langage pop. Elle nous rappelle que sans cette rivalité feutrée, sans ce ballet d’influences croisées entre Londres et la Californie, le rock n’aurait peut-être jamais atteint de tels sommets de poésie sonore.
L’histoire retiendra que les Beach Boys et les Beatles ne se sont jamais affrontés. Ils se sont regardés, admirés, parfois défiés, mais toujours avec ce mélange d’amour et d’exigence qui fait les plus grandes révolutions artistiques. Brian Wilson n’est plus, mais son œuvre continue de résonner comme un diapason secret dans le cœur de tous ceux qui, comme Sean Lennon, savent que certaines musiques ne meurent jamais.
