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Coline Pierré – Le Silence est à nous

Par Yvantilleuil

Coline Pierré Silence nousLe silence est tout d’abord celui de Leo, une élève de deuxième qui assiste à l’agression sexuelle de Maryam par son petit ami dans les couloirs de son lycée. Trop timide, trop discrète, trop invisible, trop solitaire suite à des années de harcèlement, Leo n’ose pas intervenir. Honteuse d’être restée sans voix, rongée par la culpabilité, elle décide cependant de se rapprocher de la victime, de mettre des mots sur son silence et de les faire entendre… même à ceux qui ne veulent pas écouter !

Si le silence pouvait se permettre d’utiliser des mots, il choisirait probablement ceux de Coline Pierré, qui leur octroie ici une totale liberté en choisissant de s’exprimer en vers libres. Dès le titre de ce roman pour adolescents, le silence affirme sa présence, puis continue à le faire avec brio entre les lignes de ce récit qui nous plonge dans les doutes, dans les pensées et surtout dans les silences de cette jeune lycéenne. En suivant les états d’âme de Leo, les mots se bousculent au fil des pages, s’allongent, hésitent et disparaissent parfois, laissant des blancs et toute la place au silence, à celui qui demeure quand les mots ne suffisent plus.

Adepte de polars qui se construisent généralement en respectant à la lettre les codes bien précis du genre, tout en tentant d’insuffler un rythme de lecture soutenu afin de tenir le lecteur en haleine, je suis donc sortis de mes sentiers battus en m’attaquant à ce petit ovni qui, en mettant la forme au service du fond, m’aura séduit dès la couverture avant de m’ensorceler après seulement quelques pages. J’ai été immédiatement conquis par la maîtrise du rythme, par cette gestion de l’espace, des mots et des silences, qui ne m’incitait pas forcément à dévorer le livre à toute allure, mais à régulièrement le déposer, afin de remonter à la surface, de respirer… et de prendre le temps de profiter encore quelques instants des silences qui émanaient encore du texte.

Et c’est là, dans ces petits instants suspendus, que jaillit toute la force du texte, que le mal-être d’une génération qui s’inquiète du réchauffement climatique et des tensions internationales s’installe, que l’autrice donne voix à une colère silencieuse finalement plus bruyante que les mots. C’est dans les silences qu’elle trouve ces choses que les gens n’expriment pas, ces non-dits et ces regards qui véhiculent les émotions, cette légère fumée qui dissimule le véritable feu, ce silence terrible qui brûle tout de l’intérieur, qui consume l’âme, surchauffe les pensées, détruit tout.

J’ai adoré la première partie du roman, celle où les mots n’osent pas encore s’imposer, ne parviennent pas encore à percer ce mur de doutes et d’hésitations, restent coincés dans la gorge, voire même plus loin, confinés à jamais dans l’esprit. Une paralysie vocale qui ravale la colère, faite de mots laissés en suspens, de phrases rarement entamées, jamais terminées, alors qu’elles gonflent, poussent, cherchent désespérément à sortir, à expulser la rage, à libérer ce flux de pensées emprisonnées. Les adolescents ont besoin de se faire entendre !

Si la deuxième partie du roman laisse certes la place à une intrigue légèrement plus banale, dévoilant la lutte silencieuse d’une jeunesse confrontée à l’immobilisme de l’éducation nationale, elle nous plonge également dans une quête d’identité émouvante, qui voit l’héroïne évoluer au fil des pages et progressivement revendiquer sa liberté. Cette éclosion catalysée par des amitiés salvatrices permet d’aborder des thèmes particulièrement actuels, allant du harcèlement aux agressions sexuelles, en passant par les inégalités de genre.

« Le Silence est à nous » est finalement une ode à la liberté qui donne voix aux silences d’adolescents à qui l’on avait pourtant jadis appris à parler, avant de leur apprendre à se taire, à faire moins de bruit, à ne pas faire de vagues… juste au moment où ils ont le plus besoin de se faire entendre. Une lecture qui ralentit le temps, vous invitant à suivre les pensées d’adolescents condamnés à taire leur mal-être, trop jeûnes pour être écoutés, pour être pris au sérieux, mais pas pour souffrir en silence…

Le Silence est à nous, Coline Pierré, Flammarion, 448 p., 19,90€

Elles/ils ont également mis des mots sur le silence : Lirado, Lucie, Floriane, Sophie 

Le silence est à nous par Coline Pierré
Le silence est à nous Coline Pierré  

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