de Sylvia Aguilar ZélenyRoman - 250 pages
Editions Le bruit du monde -
Editions poche Pocket - juin 2024
A Ciudad Juarez, au Mexique à la limite avec les Etats Unis, s'étend une immense métropole qui se confond avec sa jumelle, El Paso. S'étend également l'une des plus grandes décharges au monde, et elle n'attire pas que les mouches. Trois femmes y viennent régulièrement. La très jeune Alicia y retourne et s'y installe quand sa mère l'abandonne et qu'elle sait qu'avec le tri elle pourra trouver des poubelles de fortune pour survivre. Griselda, elle, est médecin à El Paso, et traverse la frontière pour mener une étude sur le rapport des pathologies à l’environnement, en allant à la rencontre des personnes, des femmes pour la plupart, qui gravitent sur cette ville d'ordures. Et enfin, à proximité, il y a Reyna qui tient une maison close de trans et de femmes, accueillant de nouvelles recrues en permanence, et qui ne serait pas gênée par les effluves pestilentielles du voisinage. Trois femmes liées par un territoire, et peut-être davantage....
C'est une immersion sans concession que nous livre l'autrice, sans pour autant tomber dans le pathos et le trash. Au fil des chapitres, elle fait alterner les récits de chacune des trois femmes, des dialogues effrénés pour Reyna, des avalanches de malchance pour Alicia, et enfin l'expérience de Griselda qui tente à la fois de prendre du recul sur la situation de sa tante et sur ce microcosme, la décharge, son sujet d'étude qui ne s'appréhende pas sans difficulté.
Extrait :
"Chela habitait dans un autre quartier, pas loin d’ici. Elle était femme au foyer. Son mari subvenait aux besoins de la famille, jusqu’à ce qu’un jour il ne revienne pas de la maquiladora, l’usine où il travaillait. Elle a d’abord signalé sa disparition, puis est allée interroger les gens de l’usine, mais elle a fini par comprendre qu’elle ne le retrouverait pas et qu’elle risquait plutôt de mettre en danger ses enfants, alors elle a arrêté de poser des questions. Elle a travaillé dans une boucherie, puis dans un supermarché, jusqu’à ce qu’elle rencontre Alicia, qui l’a emmenée à la décharge : « Pour moi, la poubelle, c’est comme de l’argent. Ca ne me dégoûte même plus, vous voyez, je viens même avec mes gosses quand ils n’ont pas école, parce qu’ensemble on ramasse plus de trucs. Tout ce que vous voyez, ce n’est pas de la poubelle, c’est de la nourriture, c’est une maison, c’est des vêtements, c’est des meubles, c’est la vie. La misère est galopante, mais ici on peut s’en sortir."
J'ai beaucoup aimé cette langue très vivante, et ces projecteurs braqués sur trois femmes qui, à leur manière, s'en sortent en exploitant ce qui peut l'être dans leur univers : les déchets du consumérisme, les corps des femmes, la réalité de la misère sociologique. On a froid dans le dos à la lecture de ce qui prend souvent des airs de réalisme contemporain, notamment quand il est question de fermer les yeux sur les cadavres - entiers ou partiels - qui régulièrement sont déversés sur la décharge. On n'oubliera pas que le Mexique compte plusieurs enclaves d'extrême violence et de main mise des barons du narcotrafiquants, et on comprendra que cela s'immisce directement ou indirectement dans le quotidien de millions de femmes.
Un très beau roman. J'ai compris les liens qu'il fait entre Reyna et Alicia, moins ceux qui pourrait unir Griselda et Reyna.
La critique de Florence Olivier - En attendant Nadeau
"Ciudad-Juarez, la ville où meurent les jeunes filles" - Grands reporters
