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Chronique d’une étrange étrangère épisode 1: Souleymane Seye Ndiaye en masterclass

Publié le 13 juillet 2025 par Africultures @africultures

Africultures vous présente la première chronique d’Astou Coly, franco-sénégalaise doctorante en sociolinguistique qui nous partagera ses réflexions d’étrange étrangère à Dakar.

Je m’appelle Astou, j’ai 31 ans. Je suis franco-sénégalaise et doctorante en sociolinguistique. Il y a un an et demi, j’ai quitté la France pour m’installer à Dakar. Ce départ, je le portais en moi depuis longtemps. J’y voyais un prolongement de mes études à l’INALCO, mais surtout une tentative de réconciliation : guérir, me reconnecter à mes origines, et vivre enfin dans le pays dont je suis originaire.

Sur ce chemin, certains lieux et certaines rencontres ont compté. Parmi eux, le hub des Artistes du Daanu – “l’artiste ne tombe pas”, comme le dit la chanson de Moussa Ngom dont le collectif tire son nom. Avant même de les rencontrer, j’avais écrit un poème devenu slam : Réminiscences de violence. En explorant les scènes de slam de Dakar, je suis tombée sur ce collectif. J’y ai vécu des soirées vibrantes, à la croisée de la musique, du théâtre, du stylisme et de l’écriture. Mais après un an de stages, j’ai eu besoin de ralentir. J’ai quitté la frénésie de la capitale pour m’installer en banlieue, dans la maison familiale. Une pause. Un retrait. Pas une coupure.

Souleymane Seye Ndiaye ©Babsdigitaliste

En mai dernier, en apprenant que Souleymane Seye Ndiaye revenait à Dakar pour la sortie de Valdiodio et pour une master class, j’ai senti que c’était le bon moment pour ressortir de ma grotte. Le cinéma africain a toujours été une boussole pour moi : il m’a aidée à réfléchir à ma propre histoire, à apprendre le wolof à travers les séries, à imaginer le village avec Idrissa Ouedraogo, à comprendre l’exil avec Moussa Touré, ou encore à voir l’immigration de façon cyclique avec Dyana Gaye. Quant à Souleymane Seye Ndiaye, il fait partie de ces figures rares : il incarne des rôles puissants, enracinés dans les réalités sociales, les silences collectifs, les mémoires enfouies. Un héros des temps modernes.

Revenir dans cet espace après plusieurs mois d’absence a été un vrai plaisir. J’y ai retrouvé Lucie, styliste prometteuse et animatrice de la master class – une présence précieuse dans mon parcours dakarois. Elle avait travaillé avec Oumou Sy, a habillé ma sœur pour son mariage, et incarne ce pont subtil entre tradition et audace contemporaine. Il y avait là aussi Ibaaku, Alibeta, et d’autres visages familiers. J’arrive pile à l’heure du repas. J’essaie de me faire discrète, mais personne ne me laisse échapper sans goûter au délicieux ceebu jën. Une fois les ventres pleins, les shootings reprennent. Je m’installe, j’observe, je discute, je me laisse doucement happer par l’atmosphère.

Autour de moi, des créations textiles, des sculptures, des coiffures anciennes remises au goût du jour et des accessoires. Sur l’estrade, Souleymane et d’autres posent avec les vêtements du talentueux Doulsy Djagal. Grande timide et introvertie, j’ai toujours été fascinée par les professionnels de l’image : leur capacité à jouer avec leur corps, à changer d’attitude, de vêtements, d’expression, sans transition, et toujours avec assurance. Avant même que la master class ne commence, nous étions déjà au cœur du sujet : le costume, la mise en scène, la narration par l’image.

La master class : entre mode, cinéma et transmission

La séance débute dans une ambiance chaleureuse, presque familiale. Lucie, coiffée de tresses Koroba, ouvre la discussion. Le thème est posé : interroger les liens entre cinéma et mode, deux univers souvent cloisonnés, mais intimement liés dans la construction des personnages et des récits. Souleymane Seye Ndiaye entre dans la salle avec cette élégance calme et ce charisme sans effort qui le caractérisent. Très vite, il donne le ton. La discussion commence en français, puis il interrompt :

« Je ne vois pas d’étrangers ici. Parlons wolof. »

Le passage au wolof est fluide, naturel. Il parle en enfant du pays, celui de Kaolack, nourri de films burkinabè, français, américains, mais surtout des célèbres “théâtres sénégalais” des années 1990. Il raconte que son amour pour le cinéma remonte à l’enfance, mais qu’il pensait que ce rêve était réservé à ceux nés “de l’autre côté”

Il se souvient de ses débuts au collège, dans un club de théâtre. Lors d’une compétition scolaire, il propose un sketch qui fait un tel effet qu’il est intégré à toutes les représentations suivantes. En parallèle de son métier de mécanicien, il rejoint la troupe du Baobab Théâtre au Centre Blaise Senghor. C’est là qu’un jour, Alibeta l’observe longuement et lui dit :

« Je te verrais bien au cinéma. » Souleymane répond, un peu surpris :

« Comment tu sais, c’est mon rêve?

Le mannequinat devient son premier tremplin : il apprend à travailler l’image, la posture, le costume. Et puis vient la bascule. Moussa Touré le repère dans un clip de Youssou Ndour et le caste pour le rôle principal dans La Pirogue. Le film marque le début d’une carrière. Et dans ce parcours, la mode joue un rôle déterminant.

« Le costume est le prolongement silencieux du scénario », cite Lucie.

Souleymane le confirme : « Costume dafay raconter » – le costume parle.

Il partage des souvenirs de tournage, parfois drôles : « Dans La Pirogue, je portais un pantalon en laine. Quand on est entrés dans l’eau, il est devenu si lourd qu’il m’est tombé aux chevilles ! »

Mais à travers ces anecdotes, il fait passer un message : chaque élément compte. Le costume, le décor, la lumière, le son. Le cinéma, c’est une œuvre collective. Il connaît tous les maillons de la chaîne, respecte chaque métier, du scripte à la costumière. Il insiste sur l’importance de la formation, surtout dans un secteur en pleine effervescence. Il note aussi les dérives : certaines boîtes de production, plus intéressées par les profits que par la création, négligent le travail des personnes qui font le film ou la série, notamment des stylistes. Pourtant, rappelle-t-il, tout ce qu’on fait est le prolongement de notre culture qui est pleine de performances : on joue tous des rôles, en famille, en couple, avec les parents… mais il faut apprendre à maîtriser cette énergie, à la canaliser et surtout à la travailler.

« Les jeunes se forment de plus en plus, et ça se voit : la qualité s’améliore. »

Son rêve? Continuer à incarner des figures fortes, comme Kocc Barma, peut être même devenir producteur, et transmettre une parole enracinée dans la culture sénégalaise.

« Combat la. C’est un combat. »

Échanges, conseils et transmission

Il s’adresse ensuite aux jeunes présents dans la salle :

« Il n’y a aucun mal à vouloir faire du cinéma et s’en donner les moyens, mais il y a des façons de faire».

« Quand tu veux te mettre dans le marché du cinéma, le plus important est de garder ta personnalité ».

« Un agent ça peut beaucoup servir ».

« Et surtout, creusez votre culture. Surtout vous, les réalisateurs. »

Puis vient le moment des questions du public :

  • Son élégance remarquée lors des matchs de la Basketball Africa League de juin dernier : une manière de soutenir l’équipe nationale tout en donnant de la visibilité aux artistes.
  • A-t-il déjà été confronté à des rôles contraires à ses valeurs dans le cinéma international ?
  • Comment garder une voix propre au Sénégal, sans chercher à copier ?
  • Comment répondre à la précarité des carrières ?

Souleymane répond sans détour. Il parle de rigueur, de cohérence, de respect. Il insiste : il faut structurer l’industrie, protéger les artistes, valoriser les techniciens, renforcer la formation. La séance se termine dans la même ambiance qu’elle avait commencée : bienveillante, joyeuse. Photos, échanges de contacts, conversations en petits groupes. Souleymane prend le temps avec chacun, il me demande même si j’ai besoin qu’il me traduise ce qu’il a dit en wolof. Un dernier repas partagé, et l’impression de repartir plus riche, à la fois inspirée, écoutée, et renforcée.

Astou Coly

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