Couverture chez Motifs
Il n’avait encore jamais été question de littérature africaine sur ce blog et je suis contente que notre cercle de lecture nous ait proposé ce livre de l’écrivaine sénégalaise francophone Aminata Sow Fall (née en 1941), qui est son deuxième roman, intitulé La grève des bàttu ou les déchets humains. Elle a obtenu pour celui-ci le Grand prix Afrique.
Il est à noter que le « bàttu » est un petit récipient tendu par les mendiants vers les passants, afin d’y recevoir une aumône. Cela n’a rien à voir avec le verbe battre ou avec l’éventualité que ces mendiants pourraient être souvent battus, comme je l’imaginais au début, à la seule vue du titre.
Note pratique sur le livre
Editeur : Collection motifs
Année de publication initiale : 1979
Nombre de pages : 168
Résumé du début de l’histoire
Mour Ndiaye est directeur du service de la salubrité publique et il a décidé de faire la chasse aux mendiants dans toute la ville. Car la mendicité importune les touristes et les dissuade de venir en masse dans le pays. Mour et son adjoint Kéba Dabo, qui n’aime pas plus les mendiants que son chef, entreprennent une mise à l’écart définitive de tous ces indigents. La police est lancée à leurs trousses et leur mène la vie dure. Mais les mendiants décident de s’organiser autour de leur cheffe, Salla Niang, et de faire grève tous ensemble, dans leur maison à l’écart de la ville, sans plus demander l’aumône.
Mes impressions de lecture
C’est une histoire qui ressemble un peu à un conte ou à une fable. La morale finale pourrait être : « On a toujours besoin d’un plus pauvre que soi. » La nécessité de faire l’aumône, dans la religion musulmane, comme précepte impératif, est l’un des rouages principaux de l’intrigue. D’ailleurs, il est intéressant de voir comment la croyance aux marabouts et celle dans la religion musulmane semblent se mélanger très étroitement. Les marabouts, justement, jouent un rôle important dans ce roman et, dès que Mour Ndiaye a un problème ou que ses ambitions politiques se réveillent, il court consulter celui qui lui a toujours porté chance ou même certains autres, plus réputés mais aussi plus retors !
J’ai trouvé dans ce roman un tableau savoureux de la société sénégalaise, avec les questions compliquées posées par la polygamie, les rapports entre les jeunes générations éprises de liberté et les plus anciennes, adeptes des traditions, les droits des femmes qui commencent à vouloir s’affirmer malgré les mœurs en usage.
Les personnages sont également très bien campés, avec des caractères assez entiers mais qui ne tournent pas à la caricature, alors que le sujet aurait pu nous faire tomber dans le manichéisme. Mour Ndiaye est, si on veut, le « méchant » de l’histoire mais on n’arrive pas à le détester, il nous paraît surtout pitoyable et pas très fûté ni très prévoyant. C’est son ambition dévorante qui va le perdre, ce qui est un juste retour des choses.
Un roman très agréable, plaisant, bien raconté, et à l’écriture fluide et précise.
**
Un Extrait page 103
Kifi Bokoul s’est enfermé pendant sept jours et sept nuits chez Lolli, dans un studio réservé aux hôtes, ne se nourrissant que de couscous arrosé d’eau tiède et déposé chaque soir, juste avant le coucher, à la porte du studio, car personne ne devait voir le marabout pendant cette période de retraite. Au bout de sept jours et de sept nuits qui parurent à Mour aussi longs que des siècles, Kifi Bokoul a donné son verdict :
– Ce que tu veux, tu l’auras, et très bientôt. Tu seras vice-président. Pour cela tu devras sacrifier un taureau dont la robe sera d’une couleur unique, de préférence fauve. La terre devra s’abreuver du sang de ce taureau ; tu l’abattras ici, dans la cour de cette maison ; tu en feras ensuite soixante-dix-sept parts, que tu distribueras à des porteurs de bàttu.
– Qu’est-ce que c’est, les porteurs de bàttu ? a demandé Mour.
– Ce sont les mendiants qui courent la rue. Cette charité doit aller à sa véritable destination, sinon, tout risque de se gâter. Elle doit aller à des miskin, c’est-à-dire à de vrais pauvres, des gens qui n’ont rien, absolument rien, et qui sans le bàttu qu’ils tendent aux passants mourraient de faim. Tu as bien entendu mes paroles ?
– J’ai bien entendu ; j’ai tout compris ; tout sera fait comme tu as dit.
(…)
**
