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« L’Inondation » d’Evgueni Zamiatine

Par Etcetera
L’Inondation d’Evgueni Zamiatine

Cela faisait longtemps que j’entendais parler d’Evgueni Zamiatine (1884-1937) comme d’un écrivain très important, ayant beaucoup influencé la littérature du 20e siècle – surtout avec son roman dystopique « Nous » qui est précurseur de « 1984 » ou du « Meilleur des mondes« .
Comme je voulais tenter une première approche de cet auteur avec un livre assez court, j’ai opté pour « L’inondation« , datant de 1929, c’est à dire une œuvre plutôt tardive.

Je participe avec cet article au défi « Un classique par mois » créé par Etienne Ruhaud du blog Page Paysage.

Note pratique sur le livre

Editeur : Actes Sud – Babel
Date de publication initiale : 1929
Traduit du russe par Barbara Nasaroff
Nombre de pages : 80

Résumé du début de l’histoire (par l’éditeur)

À quarante ans, Sophia n’a toujours pas d’enfant. Pour sauver le couple qu’elle forme avec Trofim Ivanytch, elle décide de recueillir Ganka, une orpheline de treize ans. Mais Trofim Ivanytch va bientôt nouer une relation bien plus intime avec l’adolescente…
Au cœur d’une ville noire de poussière de charbon soudain submergée par les eaux de la Néva, Evgueni Zamiatine raconte, avec ce texte vif tout en silences contenus, l’effondrement d’une femme trahie qui se noie dans sa souffrance. Et ce que cette violence-là abîme en nous, jusqu’à ce qu’un jour la digue cède et laisse l’inondation tout recouvrir.

Mon avis

Je suis persuadée que ce roman est de très haute qualité, que son écriture est ciselée avec une précision et un talent merveilleux, que sa construction est remarquable, qu’il est proche de la perfection du point de vue technique. Mais ça n’a pas suffi à m’émouvoir. J’ai été mal à l’aise pendant presque toute ma lecture, dérangée et refroidie par ces personnages sans âme, qui n’ont l’air de fonctionner que par instincts, un peu comme des animaux. Je me suis rendu compte que Zamiatine avait sûrement influencé pas mal d’écrivains contemporains, qui ont ce même genre de style – l’éditeur le qualifie de « dépouillé » mais je dirais plutôt glacé. Même pendant les nombreux passages consacrés aux émotions, je n’ai rien ressenti ou alors plutôt de l’effroi que de la compréhension. Il m’a semblé que l’auteur cherchait à susciter la peur chez son lecteur et, plus généralement, des sentiments négatifs. Ce n’est pas que je ne  désire lire que des livres agréables, positifs et charmants – loin de là – mais ce côté glacé, dur, laconique, destiné à faire peur au lecteur tout en malmenant les personnages, n’est pas fait pour moi. Je pense cependant que cela peut plaire à de nombreux lecteurs actuels, par exemple à des amateurs de thrillers ou de polars, pour l’atmosphère, la noirceur et un certain mystère.
J’essaierai sans doute de lire son fameux roman d’anticipation «Nous », mais pas dans l’immédiat.
Bref, je reconnais volontiers la haute qualité littéraire de cette œuvre mais cette vision du monde et de l’être humain est trop éloignée de ma perception. Ca m’est étranger et peu agréable.
Il faut cependant souligner la grande modernité de ce style et l’influence qu’il a pu avoir sur les générations d’écrivains qui ont suivi.

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Un extrait page 27


Sophia contourna la maison. Elle avait vu juste, la fenêtre n’était pas attachée. Sophia l’ouvrit aisément et pénétra à l’intérieur de la cuisine. Elle pensa : n’importe qui pourrait s’introduire ainsi dans la maison – et peut-être est-ce déjà fait ? Il lui sembla entendre un léger bruit dans la pièce voisine. Sophia s’immobilisa. Tout était calme, on entendait seulement le tic-tac de la pendule sur le mur, qui résonnait aussi à l’intérieur de Sophia, qui résonnait partout. Sans trop savoir pourquoi, Sophia se mit à avancer sur la pointe des pieds. Sa robe accrocha la planche à repasser rangée contre la porte, la planche tomba par terre avec fracas. Dans la chambre on entendit aussitôt un bruit de pieds nus sur le sol. Sophia étouffa un cri et recula vers la fenêtre : se sortir de là, appeler à l’aide…
Mais elle n’en eut pas le temps : dans l’embrasure de la porte apparut Ganka, pieds nus, vêtue seulement d’une chemise rose toute froissée. Ganka se figea sur place, ouvrit tout rond la bouche et les yeux, fixant Sophia. Puis elle se recroquevilla comme un chat que l’on menace, cria : «Trofim Ivanytch !» et fila de nouveau dans la chambre. (…)


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