Couverture chez Gros Textes
Thierry Roquet (né en 1968) est un poète et écrivain dont j’ai plusieurs fois parlé ici, pour ses livres « Promiscuités » (ma chronique ici), « Sans timbre ni adresse » (voir ici le lien).
Récemment, nous avons échangé certains de nos autres recueils et il m’a dit que « Tournée d’adieu » était, de tous ses écrits publiés jusqu’ici, son préféré. Aussi, je l’ai lu avec une attention toute particulière.
Paru chez Gros Textes en 2020, « Tournée d’adieu » compte 96 pages.
Voici le lien vers le site de l’éditeur :
https://grostextes.fr/publication/tournee-dadieu/
Mon Avis
Ce recueil mêle réalisme et imaginaire. Nous avons ici, en tant que lecteurs, un pied dans le quotidien le plus terre-à-terre et l’autre pied dans un monde étrange, décalé, ironique, surprenant. Parfois, c’est le portrait psychologique d’un personnage (comme dans « Je m’appelle Inès » ou « Le temps s’égrène, nos cœurs se traînent« , « Presqu’une possession« , etc.) : quelqu’un nous confie ses angoisses, ses obsessions, ses doutes. Dans ces portraits, écrits tantôt à la première tantôt à la troisième personne, des fragilités, une difficulté d’être, un certain isolement se perçoivent tour à tour. Mais aussi une fantaisie, de l’ironie et cette pointe d’étrangeté qui donne au livre sa résonance poétique. Bien sûr, on peut hésiter, se demander si ces textes sont plutôt des proses poétiques ou bien des micronouvelles, mais ce n’est peut-être pas très important de les caser dans des genres prédéfinis. L’essentiel c’est qu’ils recèlent émotion et profondeur, et qu’ils nous parlent de la vie telle qu’elle est, avec une étincelle en plus.
Un certain nombre de ces petites proses abordent la question de la mort et/ou du deuil et elles se révèlent très fortes et poignantes, notamment lorsque l’auteur évoque ses grands-parents.
Les questions psychologiques, philosophiques ou encore les problèmes de société trouvent ici des expressions insolites, à travers des situations plausibles.
Un excellent livre : je recommande chaudement !
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Choix de trois textes
Habits de résidence
Je ne devrais pas me justifier d’être ce que je suis. C’est-à-dire ce que je laisse paraître, portant la marque de l’animal social, et son sens de la jonglerie.
On ne se distingue des autres, après tout, que par d’infimes détails, lesquels, dans l’infiniment petit, prennent les proportions de l’infiniment grand.
Les mots que l’on prononce devraient faire choc. Ils ne dévoilent que le strict minimum vital. Ils achoppent sur des incompréhensions initiales, au seuil de l’Humain.
On ne cherche rien d’autre, après tout, qu’à vivre d’abord en paix avec soi-même. Une fois qu’on a appris à survivre à l’inconnu, au complexe, à l’équivoque, une fois qu’on peut se dire « je suis », même s’il s’agit d’un autre : chien fou qui ne trouverait plus son identité, qu’une identité de repli, perdu hors de la niche, sans dieux, ni maîtres.
On porte en soi un territoire de combat.
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(Page 54)
Visite au cimetière, avec un photographe
Il photographie les pierres tombales, les inscriptions, les souvenirs laissés là, les herbes envahissantes. Je lui demande pourquoi il ne photographie pas plutôt les jolies femmes. Il me répond que je suis vraiment CON et SEXISTE, que dans les cimetières personne ne le fait chier avec des questions aussi débiles, que de toute façon les cimetières sont pleins de jolies femmes. Elles l’étaient avant d’être mortes. L’imagination c’est bien plus que la vie :
– Tu devrais savoir ça, non ?
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D’un peu plus près, en ligne de fuite
J’approche d’un homme paisible assis sur un banc. J’aimais aussi m’asseoir sur les bancs sans rien dire.
L’homme paisible lit son journal et, aux gros titres, sait bien que la situation ici et là empire. J’aimais croire que tout irait mieux plus tard. Je lui souris vaguement.
L’homme paisible replie son journal, regarde l’heure, soupire, s’étire, se lève posément et s’en va sans un regard. J’aimerais, parfois, être un de ces hommes et disparaître paisiblement à l’horizon.
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