Du 4 au 6 juillet, le Seytou Africa Festival est revenu à Paris pour une nouvelle édition consacrée au cinéma documentaire africain et afro-diasporique. Fidèle à son ambition de visibiliser les regards minorés, le festival poursuit son exploration d’un cinéma de l’intime et du politique, qui interroge autant qu’il répare, et met à l’honneur des récits pluriels venus du continent et de ses diasporas.
Un espace de contre-regards

Trois jours, trois lieux, une constellation de récits
La programmation 2025 s’ouvre au Majestic Bastille avec Kouté Vwa de Maxime Jean-Baptiste, un film-manifeste sur la transmission de la mémoire, à la croisée de l’essai visuel et de la performance. La séance, suivie d’un échange avec le réalisateur et d’une batucada militante, donne le ton d’un festival où cinéma et engagement ne font qu’un. Le samedi, cap sur L’Archipel, où une soirée entière est consacrée à une rétrospective FESPACO. Les quatre films dont deux sont des courts-métrages ont été présentés au Seytou Festival le samedi, et tous ont été primés au FESPACO à l’exception de Where My Memory Began, coup de coeur de l’équipe ; Omi Nobu (The New Man), Le Médaillon et L’Homme-Vertige ont, eux, reçu des distinctions. Ces quatres œuvres déploient une cartographie sensible de la création contemporaine africaine, entre mémoire traumatique, corps diasporiques et recherche formelle. Enfin, la clôture au Reflet Médicis le dimanche, propose une relecture du patrimoine ivoirien avec Mouna ou le rêve d’un artiste (Henri Duparc, 1969), l’un des premiers films à fictionner le processus de création au sein d’un contexte panafricain. Cette séance patrimoniale, enrichie par des lectures de Kimberley Kipré, s’inscrit dans une carte blanche à Archives.Ivoire, qui œuvre à la redécouverte et à la sauvegarde du cinéma d’Afrique de l’Ouest. La co-organisatrice souligne « une volonté de faire dialoguer patrimoine et création contemporaine », en évoquant notamment « la causerie » à Chop Chop, organisée cette année pour la première fois afin de créer « un espace de discussion plus libre, comme entre amis autour d’une table ».
Un geste esthétique et politique
Plus qu’un festival, Seytou Africa est un espace de légitimation pour des films souvent invisibilisés. Chaque projection est suivie de discussions, non pas comme simples annexes didactiques, mais comme moments de transmission, de conflit fécond, de pensée collective. Concerts, lectures, et discussions prolongent l’expérience : “Pour nous, dans le festival, il y a fête” le souligne Ibee Ndaw. Tous ces moments hors projections permettent de “proposer aussi de discuter avec le film sans passer uniquement par la parole, mais par autre chose”. Ici, l’image ne se suffit pas à elle-même : elle appelle le verbe, le lien, le contrechamp. À travers ses choix curatoriaux, le festival interroge ce que peut encore le documentaire aujourd’hui : créer du commun sans lisser la différence, formuler des résistances formelles, convoquer l’archive comme matrice d’émancipation, et réinventer l’écoute. Car faire entendre des voix, c’est aussi leur offrir un espace d’écoute, loin du folklore ou du misérabilisme.
Pour une écologie des récits
Dans un contexte où l’économie du cinéma africain reste précaire, et où la place accordée aux documentaires dans les salles reste marginale, Seytou Africa agit comme un îlot nécessaire, porteur d’une autre écologie culturelle. Le documentaire selon la co-organisatrice “demande une réelle réflexion sur comment est-ce qu’on filme, qu’on exprime, et qu’on protège en fonction du récit que l’on raconte”. Il dessine des lignes de fuite, relie des géographies de lutte et d’imaginaire, et affirme qu’il existe une autre manière de voir : par le bas, par les marges, par la mémoire. Du cinéma comme lieu de conscience, à la salle comme espace de partage, le festival continue de tisser une toile fragile mais tenace : celle de cinéastes qui filment l’Afrique depuis l’intérieur, sans surplomb, sans assignation, mais avec une lucidité vive et une volonté de transmission.
Faire vivre un festival hors des circuits dominants
Si la programmation impressionne par sa richesse et sa cohérence, une autre réalité se dessine en coulisses : celle des moyens limités et des ressources souvent précaires. Organiser un festival indépendant, porté par une équipe bénévole engagée mais sans grosses structures derrière, soulève inévitablement la question des financements. Grâce au soutien de la ville de Paris, Seytou Africa est passé de simple ciné–club du nom de Baatou Africa avec Cinewax à festival, rappelle Ibee Ndaw.
La coordinatrice du Centre Yennenga de Dakar explique que “ce qui était important c’était de se dire qu’on va faire voyager ces films dans des salles parisiennes, intra muros, mais aussi pour l’accessibilité ”. Mais la centralité parisienne est un atout qui peut se révéler discriminant pour les périphéries. L’ampleur du festival a permis à ses organisatrices de penser à des perspectives d’ailleurs, que ce soit en Ile de France comme à Ivry ou encore Montreuil” mais aussi “dans les Caraïbes ou sur le continent”. Un ancrage qui laisse entrevoir de nouvelles perspectives pour le festival, entre consolidation de son identité, ouverture à de nouveaux publics et affirmation d’une place singulière dans le paysage culturel.
Kady Sy
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