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La roue du silence

Publié le 01 août 2025 par Adtraviata
roue silence

Quatrième de couverture :

Une promesse à tenir, une robe rouge, une attente venue de l’enfance, et tout à coup tout se fait ou se défait pour Emma, Patrick, Laure, Étienne et les autres. Pour ces personnages, seuls face à un moment clé de leur histoire, il suffirait peut-être d’un mot, attendu ou prononcé, pour sortir du silence et que tout arrive, que le rêve se réalise, que la vie bascule… ou ne bascule pas. Tout ou rien… tout puis rien… rien et peut-être tout, enfin… La roue tourne sans bruit, inlassablement, traversant la vie, passant ici et repassant là, entrainant avec elle rêves, souvenirs et espoirs, vibrants sous le silence.

Pour mon Quadrature du mois, j’ai sorti un livre qui date de 2012 et qu’est-ce que j’ai aimé cette Roue du silence ! On pourrait penser à la roue de la fortune – et en effet, plusieurs des personnages, maltraités depuis l’enfance, maltraités par le destin, par les accidents de la vie, attendent de retrouver argent, travail, considération, ou un être cher. Mais cette expression, la roue du silence, qui clôt la nouvelle La petite, cristallise le silence, l’invisibilité, l’oubli, la souffrance lancinante qui marque les personnages du recueil, hommes, femmes, enfants. Quelques exemples : dans Vingt minutes à tout casser, Patrick compte et recompte les maigres euros de son portefeuille pour faire plaisir à son fils. Le narrateur de Une si longue route travaille dans un restoroute et attend désespérément le retour de son père, qui a abandonné sa famille il y a très maintenant sur cette même aire de services. Le vieil homme de La dernière lettre, lui, est en fin de vie et attend son fils sur son lit d’hôpital tout en ressassant ses souvenirs de violences familiales. Dans Redevenir quelqu’un, en plein hiver, un homme qui vit dans sa voiture répète fiévreusement les mots de l’entretien d’embauche qu’il a décroché et assiste à une agression sans réagir. Car oui, certains de ces personnages sont parfois tellement au bout du rouleau que leur jugement est affecté, qu’ils ont du mal à se représenter la douleur des autres, à y réagir « correctement ». Mais ils sont tellement seuls, tellement abîmés par la vie qu’on se sent proche d’eux. La couleur rouge (une riche symbolique) ponctue certains textes et en relie deux.

Parmi mes nouvelles préférées, Princesse !, qui met en scène une petite fille, harcelée par son frère à l’insu de tous, qui se réfugie dans son amour de l’école et de la lecture et qui trouve du réconfort dans le vernis posé sur ses ongles rongés par sa grand-mère. L’hibiscus où une vieille dame, qui accepte à contre-coeur de soigner l’hibiscus pourpre de sa voisine, partie en voyage, et se trouve alors – grâce à cette plante ensorcelante – des points communs avec cette femme si proche et pourtant inconnue, la suite le lui révélera brutalement. Dimanche nous fait suivre une vieille dame qui rend sa visite hebdomadaire à son mari, placé en maison de retraite et qui, au long du trajet en bus, se souvient de leur jeunesse, de leur amour si profond, toujours présent. La dernière nouvelle Hôtel des deux Palmiers laisse entrevoir l’espoir d’une vie meilleure, plus libre, pour deux femmes.

Les histoires contées par Dominique Vautier sont souvent tristes, parfois à la limite du sordide, mais elles sont toutes poignantes, écrites sur le fil du coeur, attentives à toutes ces vies cachées, malmenées, pleines d’u espoir souvent déçu. Elles sont tellement pleines d’amour, d’humanité, de douleur, de douceur, elles ouvrent et affinent notre regard et nos émotions, je l’espère profondément.

Le début de la première nouvelle Vingt minutes à tout casser :

« Perchée sur son stand la fille sourit. Autour d’elle des sachets multicolores, des sodas, des spots qui clignotent. Et cette odeur de caramel chaud, envie de s’en fourrer plein la bouche. Le stand de confiseries et boissons est en sous-sol, à l’entrée des salles de cinéma et quand Patrick s’en approche, ses semelles ne font aucun bruit sur la moquette bleu nuit.

Il s’insère dans la file. Il a laissé Sébastien à sa place. En se tordant le cou il voit par les portes ouvertes de la salle les cheveux en épi qui dépassent du siège là-bas. Il a failli répondre Non quand le môme lui a demandé du popcorn. Failli lui dire : « Tu sais ce que ça me coute le ciné déjà, plus ce qui va suivre après au fastfood, fais le compte ».

Le regard de Laura tout à l’heure, quand il est passé chercher le gosse : « Fais-lui plaisir montre-lui que tu l’aimes que tu es son père. Déjà que…»

Déjà que.

Il entend les commandes des gens devant lui. Fou ce qu’ils achètent juste pour le temps d’un film.

– Deux cocas un sachet de MMS, le grand format s’il vous plait, et puis tiens un ice tea

– Les popcorns, tu veux le grand modèle ou le moyen, mon chéri ?

Dans sa poche, ses doigts froissent le billet de vingt euros, allez je peux bien faire ça, au pire je mangerai pas demain soir ou alors des tartines et du café au lait. »

Dominique VAUTIER, La roue du silence, Quadrature, 2012

Quadrature fête ses 20 ans cette année.


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