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Imèn Moussa, la poétesse de l’altérité

Publié le 07 août 2025 par Africultures @africultures

Lire la poésie d’Imèn Moussa, née à Bizerte (Tunisie), c’est s’immerger dans une expérience à la fois sensorielle et intellectuelle.

Ses poème, tantôt murmures intimes, tantôt éclat de révolte traversent l’être et bousculent nos conventions les plus ancrées. Chercheuse en littérature francophone, autrice de livre audio pour enfants et performeuse, ses œuvres et l’auteure sont incontestablement indissociables. L’élégance naturelle de la poétesse s’accorde harmonieusement à l’éloquence de son verbe. Son vers libre, fluide et sans rimes ennuyantes, coule avec évidence. La légèreté de son langage très inspiré de moralité qu’elle revendique, épouse la grâce d’un être en perpétuel mouvement. Ses mots en « français tunisien » comme elle le qualifie, s’égrènent avec assurance.

Femme de son époque, elle est l’une des premières poétesses tunisiennes contemporaines à se faire connaître sur la toile en 2019 grâce à la diffusion de ses capsules de vidéo-poésie tournées pour certaines à Paris. C’est une façon pour elle de démocratiser la poésie et la rendre plus accessible. Tout en partageant ses expériences de voyage sur Instagram, elle entame l’aventure de l’édition.

Le parcours d’Imèn Moussa révèle progressivement un engagement humain profond qui sublime aussi sa féminité. Avec sa chevelure rousse flamboyante, ses robes fleuries aux couleurs vives, et son corps souple en mouvement, elle incarne une féminité assumée et rayonnante. Mais, cette apparence est le miroir d’une poésie qui, bien loin de se limiter au sensible, s’ancre dans le vécu, dans le réel, dans le combat. Elle écrit pour soutenir, pour transmettre, pour éveiller ses sœurs d’âme et ses frères de tous horizons. À l’écoute de son monde, investie dans la vie associative, farouchement opposée aux comportements misogynes et racistes, Imèn Moussa poursuit sa quête d’elle-même sur les routes qu’elle arpente.

Qu’il s’agisse de ses essais Les représentations du féminin chez Maissa Bey et Genre et émancipation des femmes dans la fiction maghrébine contemporaine, ou de ses recueils de poèmes, son œuvre s’inscrit dans une démarche de réalisation de soi, d’exploration, teintée d’un souffle spirituel qui questionne l’actualité. Dans son premier recueil Il fallait bien une racine ailleurs, publié en 2020 aux Éditions L’Harmattan, avec une couverture signée par la plasticienne Dorra Mahjoubi, la poétesse écrit : « Ce recueil se veut comme une terre de rencontres entre toutes les rives des mondes qui me font… ». Elle y aborde des thèmes brûlants comme le sort des migrants clandestins en Europe, le mariage des filles mineures, l’exploitation du corps féminin par l’excision, le tasfih ou le viol conjugal. Elle parle aussi de la richesse des différences, de la force du lien humain et de l’amour. Globetrotteuse insatiable, elle dépasse les frontières, loin des sentiers battus, elle nourrit sa curiosité des terres, des cultures et des visages. Photographe amateur, elle prolonge son regard poétique à travers ses clichés publiés dans diverses revues européennes telles que La Kainfristanaise, Les Embruns ou encore L’Imagineur.

Imèn Moussa revendique pleinement ce mode de vie nomade : « Voyager, cest être à l’écoute du monde ; écrire, cest lui parler. » Ses poèmes s’imprègnent des identités plurielles, des coutumes étrangères accueillies comme des trésors, des villes et villages habités au fil de ses pérégrinations. D’Isphahan à Santa Clara, de Samarcande à Hanoï, de Negombo à Chicago, de Harar à Sibiu, elle se découvre à travers les autres. Portée par un regard profondément humain elle observe, échange, partage sourires et embrassades. De ces rencontres naissent ses images poétiques, nourries de réel et de rêve, d’altérité et d’intimité comme ce poème :

Elle a un rêve

Une fille amoureuse de la terre s’est mise à tourner / Sur elle-même et dans chaque coin de l’univers / Les mondes ont tremblé / Les eaux ont débordé / Les couleurs ont fusionné / Une fille amoureuse de la terre s’est mise à tourner / Sur elle-même et dans les replis de chaque sphère / Ronde ou plate / Demi-lune ou demi-soleil / Peu importe puisqu’elle tournait à bras ouvert / Tournait à souffle rivières / À cœur prière / À cœur lumière / Elle tournait, tournait / Tournait pour dissiper les frontières / Tournait, amoureuse d’une terre dans la terre / Elle tournait / Les cheveux aux vents / Les hanches aux firmaments / Tournait /Tournait / Portée par l’amour des autres / La fille a fait naître un sixième continent (Lahidj, Juillet 2017)

Un second recueil d’Imèn Moussa voit le jour en 2024 aux éditions Constellations intitulé Nos coutures apparentes, avec en couverture un tableau de peinture de la plasticienne Najet Dhahbi. Comme à son habitude, Imèn Moussa n’a pas froid aux yeux quand elle écrit. C’est pourquoi, elle aborde des thèmes qui ne dissimulent pas nos lacunes, nos handicaps, nos traumatismes, les guerres de nos sociétés modernes, nos défaillances en terme de gouvernance, etc. En promeneuse solitaire, confrontée à des rencontres fortuites sur des questions du moment, la poétesse observe et dénude le caché, le tu et le dissimulé. La métaphore des coutures visibles employée dans le titre du recueil est forte, parce qu’elle pourrait signifier que nos apparences de civilisés sont trompeuses. Il est préférable qu’on regarde l’envers des choses pour faire l’état des lieux et tenter de réparer nos faiblesses, remédier à nos défauts, réviser nos injustices, gérer nos guerres en vue de mieux avancer dans la vie.

Dans la préface du recueil signée par la romancière et poétesse Cécile Oumhani, la métaphore du titre du recueil Nos coutures apparentes est interprétée comme la trace des blessures et souffrances subies que nos cicatrices racontent. Ces marques décèlent notre solitude intérieure, le tumulte qui s’agite en nous et notre fragilité, tel que le poème : Les papillons aussi se brisent. L’altruisme d’Imèn Moussa se traduit jusque dans ses poèmes d’amour comme dans le poème Confessions des éternels dans lequel le sentiment amoureux devient une forme de résistance. Ces créations ancrées dans le vécu, débordent d’altérité, parce que son regard orienté sur l’autre, le différend, a la dimension d’une vision humaniste, comme ce début de poème :

Les enfants vivent la nuit

Comme une traversée décousue / fillette va de rue en rue / les mains dans les poches / les rêves boiteux / la fatigue au coin des yeux / l’angoisse l’emporte sur sa patience / … / Son corps va lâcher / … /(…)

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