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Tout le bruit du Guéliz

Publié le 08 août 2025 par Adtraviata
Tout bruit Guéliz

Présentation de l’éditeur :

Dans le quartier du Guéliz à Marrakech, un mystérieux bruit hante et tourmente, nuit et jour, une vieille dame. Inquiets, sa fille et son petit-fils quittent Paris pour mener l’enquête. Sur place, ils guettent, épient, espèrent, mais aucun bruit ne se fait entendre…

Tout le bruit du Guéliz ne nous livre pas une mais mille histoires : celles des exodes, des traditions, des liens qui se font et se défont, des origines perdues.

À la violence et au vacarme assourdissant de notre époque, ce premier roman aux allures de conte, à la fois tendre, drôle et bouleversant, oppose un bruit. Le bruit du Guéliz. Celui d’un temps révolu, où l’on vivait ensemble.

J’ai lu ce premier roman parce qu’il était recommandé par une de mes libraires à la rentrée de septembre 2024. Avec Ruben Barrouk, qui signe sans doute une histoire aux accents autobiographiques, on est transporté dans un monde différent, bien qu’il ne soit qu’à quelques heures de vol. Le narrateur et sa mère se rendent donc à Marrakech, dans le quartier du Guéliz, où vit leur grand-mère et mère, perturbée par un bruit qui la poursuit à longueur de jour et de nuit. Mais les deux visiteurs n’entendent rien du tout. Ils vont en profiter pour faire un pèlerinage dans différents lieux du Mellah, l’ancien quartier juif de Marrakech, et à quelques heures de voiture, conduits par un chauffeur berbère très respectueux, dans le cimetière du Miaara, au mausolée du Rav Hanania Hacohen : ils rendent hommage aux membres de la famille disparus et prient pour que le bruit cesse. Et c’est ainsi que la fille et le petit-fils se rendent compte que le fameux bruit est celui de tous ces Juifs disparus de Marrakech (ils sont partis quand la Guerre des Six jours a éclaté entre Israël et les pays arabes voisins, en 1967), famille et amis dont la grand-mère est seule à porter la présence-absence. Le petit-fils écrit cette souffrance de façon à la fois sobre et déchirante. A travers son récit, on apprend, on vit des coutumes, des rituels juifs en compagnie d’une vieille femme aimante, fatiguée mais toujours droite dans son chagrin. Ce premier roman sensible est donc hautement recommandable.

« Il ne reste plus rien des hommes du Guéliz. La mer les a tous emportés. Elle n’a laissé derrière elle que ces sillons creusés où la peau s’amollit, où nos yeux attendris de compassion oublient. Je voudrais les toucher, ces mains-là, peut-être même les soulager, partager un instant leur vulnérabilité. »

« Car les juifs sont des gens qui ne savent pas où aller. Et c’est à ça qu’on les reconnaît. Depuis que l’enfant sait le nommer, le juif est perdu. Il cherche quelque chose. Il va quelque part. Il fouille le monde. Le monde, lui, a fini par perdre le juif. Il y a tellement de ruelles, que le juif a décidé de toutes les emprunter pour trouver ce qu’il cherche. »

« – Je me souviens, dit-elle, c’était en 67. Pendant la guerre des Six Jours. J’avais six ans. J’étais avec ma grand-mère, ton arrière-grand-mère. Nous allions au Mellah, en taxi. Les informations passaient à la radio et disaient que les avions israéliens bombarder l’Égypte. Le chauffeur en roulant jusqu’à Mellah, se tournait vers nous pour nous cracher dessus. Il criait : « Sales juifs ! ». Il nous crachait dessus et il criait. Nous étions morts de peur à l’arrière.
Je l’ai regardée essuyer de sa main une larme précipitée sur sa joue. Il n’y a pas de haine. Il n’y a que la tristesse d’une enfant de six ans, résignée au regret et à l’évidence que rien ne renaîtra jamais. Que la peur a laissé dans les coeurs l’irréparable. Ce matin là de mars, c’est un recueillement sur la petite stèle blanche d’un amour disparu. Je l’ai serrée dans mes bras. Ma grand’mère elle, ne peut y prendre part. Il y a trop de douleur. »

« C’est le silence ou Marrakech. Et comme le Monde est indécis, et sage peut-être, il a donné le silence à la nuit, et Marrakech au jour. Car Marrakech elle-même est un bruit. Un bruit, le jour, auquel tous participent. Chaque voix est une pierre posée, sur une tour de bruit qui ne cesse de s’élever. Chacun est appelé à l’oeuvre collective. Chacun doit apporter sa pierre, fût-elle brute ou polie, claire ou confuse, légère comme le rire ou lourde comme l’ennui. Ainsi, lorsque ces vies s’affirment, alors le bruit se forme. Qu’importe ce qu’il dit ou s’il ne dit rien. Chaque vérité, en rejoignant une autre, parvient à créer une chose comme qui leur ressemble tous, où la vie qui regarde n’y voit que son reflet. Marrakech n’est qu’un bruit, où toutes les voix se mêlent pour créer l’harmonie. »

Ruben BARROUK, Tout le bruit du Guéliz, Albin Michel, 2024


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