Il y a quelque chose qui me rend triste dans ce diagnostic d’autisme qui se précise et se rapproche.
Jusqu’ici, j’attribuais mes souffrances à une maladie. Je n’ai jamais considéré que c’était injuste, je ne me suis jamais dit Pourquoi moi ? Car l’injustice, pour moi, c’est ce que se font les hommes entre eux. La maladie, elle existe, c’est juste un fait, et je n’ai jamais considéré que j’étais meilleure qu’une autre personne pour être épargnée par une chose si commune qu’une maladie chronique. Je ne me disais pas Pourquoi moi mais plutôt Pourquoi pas moi ? Ça ne m’empêchait bien entendu pas de vivre des souffrances extrêmes, de voir ma jeunesse gâchée, perdue dans ces moments de solitude et de le regretter infiniment ou de vouloir mourir. Ça ne m’empêchait pas non plus d’être révoltée contre l’injustice: l’injustice d’être maltraitée par certains soignants, l’injustice du labyrinthe des soins qui est un véritable parcours du combattant qu’on t’impose au moment où tu n’as plus de force, l’injustice des choix d’un système politique qui a du sang sur les mains.
Mais voilà, quand on a une maladie, il est impossible d’échapper à la souffrance, même si des choses peuvent être mises en place pour la rendre un peu plus supportable.
Mais là, je me dis que si tout cela découle bien d’un autisme non diagnostiqué, eh bien les choses sont différentes. Ça aurait pu être évité. Toutes ces souffrances, ces incompréhensions, ces reproches, ces décompensations psychotiques, je ne les ai vécues que parce que j’ai évolué dans une société qui ne connaît rien à l’autisme, et encore moins à l’autisme sans déficience intellectuelle, et encore moins chez les femmes. Ça commence à faire beaucoup de méconnaissance, et beaucoup de dégâts.
Toute ma vie, j’ai dû entendre que j’étais trop ceci ou pas assez cela. Trop solitaire, trop enfermée dans ma chambre, ne participant pas assez en classe, pas assez soigneuse, trop maladroite, à trop remettre les évidences en question, trop intense dans mon intérêt pour les livres, etc. Et en même temps, tout les signes sont là depuis longtemps : le mutisme sélectif, les automutilations, les crises qui avec le recul sont clairement des shutdowns et des meltdowns, le stiming plus ou moins discret qu’on m’a toujours reproché (arrête de t’arracher la peau des lèvres, les cheveux, etc).
Et moi-même, dans cette société qui ne connaît l’autisme qu’à travers des préjugés, je suis complètement passée à côté de mon fonctionnement. Quand j’allais mal, je me souviens que je me disais que je me balançais comme une autiste (mais jamais je n’ai pris conscience que peut-être je l’étais aussi). Je culpabilisais de passer du temps à m’arracher les fourches, malgré le bien être que ça m’apportait. J’ai dit de ma licorne anti stress que je tripotais tout au long de la journée que c’était une nouvelle addiction. Je m’en voulais beaucoup de ne pas savoir comment fonctionnait la plupart des outils de base de la vie quotidienne, qui ne posaient aucun problème aux autres. Je disais de moi que je n’étais pas sympa, parce que je suis incapable de faire du small talk.
Il y en aurait des dizaines encore, des exemples comme ça, des reproches qu’on m’a faits ou que je me suis faits à moi-même.
Et si, bien sûr, c’est un soulagement de comprendre enfin comment on fonctionne, il y a quelque chose d’assez tragique à le faire à seulement 47 ans, même si je sais que je ne suis pas la seule, loin de là, mais justement. Se dire que ces années de souffrance auraient pu être évitées, ou en tout cas bien atténuées, si l’on vivait dans une société plus inclusive, une société qui ne nie pas l’existence d’une personne sur trente-six (c’est la prévalence de l’autisme selon une étude récente).
Et là, pour le coup, oui, je le ressens comme une grande injustice, que tant de personnes doivent souffrir, qu’on leur demande de faire des efforts alors que leur fonctionnement neurologique fait qu’ils ne peuvent tout simplement pas agir comme les autres, qu’on nie leurs besoins juste parce que personne ne s’intéresse réellement au sujet de l’autisme, sauf à travers des visions pathologisantes et réductrices.
Se dire que tout cela aurait pu être évité, ou au moins adouci, oui, ça fait mal.
