Dans la diversité des films proposés à la 15ème édition du Festival international de films de la diaspora africaine (Paris, du 5 au 7 septembre 2025), une thématique revient souvent : quels héritages porte-t-on ? De quels héritages se réclame-t-on ? Comme gérer les héritages que l’on n’a pas désiré ? Comme chaque année, une sélection de qualité, riche de films invisibles à découvrir. Cet article suit chronologiquement le programme du festival.
Que le FIFDA fasse son ouverture avec Breaking Boundaries de Dina Burlis n’est pas un hasard en ces temps mouvementés. Festival des films de la diaspora, c’est avec celle des Etats-Unis qu’il débute. Le parcours de Nastasya Generalova, seule adolescente noire de l’équipe nationale américaine de gymnastique rythmique, est typique des obstacles à surmonter et des défis à affronter. Fille d’un père africain-américain et élevée par sa mère célibataire, Olga, d’origine russe et blanche, Nastasya est initiée à la gymnastique rythmique dès l’âge de quatre ans afin de renouer avec les racines culturelles de sa mère. Elle est incroyablement déterminée et ambitieuse pour réussir les impressionnantes figures de style de cette discipline terriblement exigeante qui mêle performances physiques, adresse et danse. Elle vise les jeux olympiques malgré les préjugés auxquels sa couleur de peau la soumet et le manque de ressources face au prix des costumes et des tournois. Un psychologue analyse ce qu’elle doit subir pour repousser les limites dans un sport encore largement dominé par les normes blanches. Tourné sur la durée et utilisant des documents plongeant jusque dans son enfance, le film constitue un témoignage cinglant de la difficulté à briser le plafond de verre et un touchant exemple de détermination. Il n’en engage pas moins une réflexion sur le poids de l’héritage culturel maternel et la question de la pertinence de l’intégration dans un milieu hostile.
Afrique du Sud : quel héritage ?

Etonnamment, le film que Mika Kaurismäki a consacré en 2011 à Miriam Makeba (1932-2008) n’est jamais sorti en salles. Il s’agit pourtant d’un hommage sensible et extrêmement documenté que ce globe-trotter du documentaire musical a consacré à la grande chanteuse et activiste. Frère aîné du célèbre cinéaste Aki Kaurismäki, il a passé beaucoup de temps au Brésil où il a notamment tourné Brasileirinho (sorti en 2005). Mama Africa: Miriam Makeba retrace l’impressionnante carrière musicale et la lutte politique de cette icône, mais centre aussi son portrait sur son exil forcé et le drame humain qu’elle a vécu. Avec moult extraits de concerts et photos, il adapte le rythme du film à la voix de la chanteuse et ses ondulations sur scène. Revendiquant de ne pas seulement chanter la politique mais aussi la vérité, elle a largement contribué à faire connaître le destin des Noirs en Afrique du Sud. Son retour au pays sur invitation de Nelson Mandela en 1990 est un grand moment d’émotion dans un film qui la rend singulièrement présente.

Inédit en France, présenté à la Semaine de la critique du Fespaco 2025, Héritage: L’Histoire décolonisée de l’Afrique du Sud revisite l’histoire officielle sud-africaine à travers des témoignages d’historiens, d’activistes et de citoyens, à la recherche des racines de l’inégalité instaurée comme principe, et qui persiste malgré de démantèlement de l’apartheid en 1994. Il s’agit pour la Blanche Tara Moore de déconstruire les récits hérités du passé, en mettant en avant des figures oubliées ou marginalisées. 50 heures d’interviews, 30 mois de travail, de très nombreuses archives : le film est un résumé historique très complet qui pose aussi la question de l’héritage, avec le constat de la pérennisation de la suprématie blanche qui détient encore 80 % des terres. Il en appelle à la conscientisation des milieux blancs.
Les héritages de l’Histoire

Egalement encore inédit en France mais méritant bien une sortie en salles, Diya du Tchadien Achille Ronaimou était lui aussi en compétition au Fespaco. La « diya », c’est le « prix du sang » – une compensation financière traditionnelle versée par l’auteur d’un homicide (volontaire ou involontaire) à la famille de la victime. Dane (Ferdinand Mbaïssané, prix de la meilleure interprétation masculine au Fespaco) est chauffeur dans une ONG mais se retrouve licencié après avoir renversé accidentellement un enfant. C’est le début d’un engrenage que la diya démultiplie, jusqu’à ce qu’il comprenne qu’il y a anguille sous roche et que la tradition peut cacher des serpents. S’appuyant sur cette trame bien ficelée et un récit soigné, Achille Ronaimou développe un film captivant qui met à jour les extorsions et corruptions que subit un être fragilisé, surtout quand la tradition du diya qui était à l’origine destiné à éviter les représailles et rétablir une forme de justice sociale est pervertie alors qu’elle pourrait être un héritage positif.

L’actrice noire québécoise Ayana O’Shun (alias Tetchena Bellange) est également réalisatrice de documentaires et le FIFDA avait présenté en 2020 son film-enquête Les Mains noires – Procès de l’esclave incendiaire sur le procès de Marie-Josèphe Angélique, une esclave rebelle qui fut accusée en 1734 d’avoir incendié Montréal. Inédit en Europe, son nouveau film La Fête des Pères porte sur le phénomène des pères absents dans les communautés noires en Amérique du Nord. Elle parle d’elle-même et va à la rencontre de femmes québécoises et guadeloupéennes pour pouvoir remonter le fil du temps et chercher les racines historiques de cette absence et de la souffrance qu’elle entraîne. C’est ainsi une fois de plus en termes d’héritage que sont posés les termes du problème. Le film a reçu une mention spéciale du jury au Festival Vues d’Afrique à Montréal pour sa capacité à ouvrir le dialogue intergénérationnel : il propose de dépasser la question des stéréotypes qui réduisent l’homme noir (violent, baiseur, paresseux, irresponsable, etc.) pour voir la réalité en face de familles brisées durant quatre siècles. Il s’agit de progresser vers une évolution de cet héritage et cela passe par envisager aussi la difficulté d’aimer alors même que se multiplient les familles monoparentales.

Yambo Ouologuem est connu pour son premier roman, couronné du prix Renaudot en 1968 : Le Devoir de violence. Alors que ce livre est aujourd’hui considéré comme un des monuments de la littérature africaine, il fit scandale à l’époque car accusé de plagiats. Il fut également critiqué du côté africain, notamment par Senghor qui avait accusé l’auteur de nier ses ancêtres. Récemment, Mohamed Mbougar Sarr a reçu le prix Goncourt en 2021 pour La Plus secrète mémoire des hommes qui se réfère sous la forme d’un roman au destin de Yambo Ouologem. Il ne voit derrière ces plagiats qu’une intertextualité de la part d’un auteur qui se nourrissait de grands textes et les réécrivait subtilement, les reformulant pour raconter sa propre histoire. Si le film de Kalidou Sy s’appelle Yambo Ouologuem, la blessure, c’est que les jugements à l’emporte-pièce de la critique ne cherchaient pas à comprendre la singularité de sa démarche et se joignaient à son éditeur pour l’exclure de sa qualité d’écrivain. Il le vécut comme une trahison et se retira au Mali après un forte dégradation de sa santé mentale. Remarquablement documenté, le film donne la parole à divers écrivains et personnalités du monde littéraire pour montrer comment celui qui dérangeait fut ramené au statut de brebis galleuse alors qu’il était visionnaire.

Lui aussi inédit en Europe, Le Dernier Repas de Maryse Legagneur convoque la mémoire haïtienne de la dictature Duvaliériste. « Le bourreau tue toujours deux fois, la seconde par l’oubli » : cet insert d’Elie Wiesel en début de film rappelle combien cette mémoire importe. Son père étant insupportablement violent, Vanessa ne l’a pas vu depuis 20 ans, mais voilà qu’il est hospitalisé, mourant d’un cancer de l’estomac. Des récits fictionnels en flashbacks rendent palpables son arrestation et les rudes moments qu’il a passés en prison. Avec l’aide de sa tante haïtienne qui ne voulait plus entendre parler de lui, Vanessa finit par s’initier à la cuisine de ses ancêtres et lui préparer des plats typiques pour compenser le quotidien de l’hôpital. Chacun de ces mets raconte un bout d’histoire haïtienne, la souffrance d’un peuple. Une complicité nouvelle naît entre Vanessa et son père… Les reconstitutions ont été tournées en République dominicaine. Elles illustrent la perpétuation de la violence, encore un héritage… Et le film est dédié à la mémoire des personnes assassinées et torturées à la prison de Fort Dimanche, et de leurs descendants qui portent encore les séquelles.
Héaritages de l’Harlem Renaissance : Zora Neale Hurston & Claude McKay

Zora Neale Hurston (1891-1960) est l’auteure africaine-américaine la plus lue de son temps. En tant qu’anthropologue, elle fut aussi l’une des premières à documenter les cultures afro-descendantes du Sud des États-Unis et des Caraïbes. Avec son documentaire de 2008, Zora Neale Hurston : Saute vers le soleil, Sam Pollard insiste sur son rejet de la victimisation, que cette rebelle que l’on appellera « reine de la Harlem Renaissance », manifestera toute sa vie, soucieuse d’éviter toute récupération idéologique. Inspirée par les expressions populaires et attentive aux gens tels qu’ils sont, elle mit leur langue en avant, à l’encontre des notabilités noires qui cherchaient à s’intégrer. Son style indirect libre qui retranscrit la voix collective de la communauté, de même que ses ambiguïtés politiques à la fin de sa vie, sont analysés dans ce film qui rassemble de magnifiques archives et des témoignages passionnants.

Les recherches à l’occasion du centenaire de la naissance de Sembène Ousmane en 2023 ont remis en lumière les œuvres de Claude McKay, poète et romancier jamaïcain-américain qui a influencé avec son roman Banjo, une histoire sans intrigue le futur cinéaste lorsqu’à Marseille dans les années 50, il s’essayait à la littérature. Le remarquable documentaire de Matthieu Verdeil de 2021 Claude McKay : De Harlem à Marseille est le premier à être consacré à sa vie tumultueuse dans les années 20. Citoyen du monde, il pérégrine de Marseille à Harlem, en passant par la Jamaïque, la Russie et le Maroc. Le film est au rythme du swing et ponctué d’images d’archives sur les avant-gardes artistiques du début du siècle que McKay côtoie à New-York avec la Harlem Renaissance puis en Europe. Il s’intéresse également aux mouvements sociaux qu’il chronique en Angleterre et aux figures politiques qu’il rencontre comme Trotsky. Il en ressort un McKay exilé volontaire, marxiste flirtant avec l’anarchisme, précurseur de la littérature et de la cause noire, en quête d’appartenance mais profondément libre. Un must !
Lutter contre les héritages nocifs

Dans Débrouya, des Guyanais Thaïzen Ringuet et Hector Pindard, le problème de Tyler est d’être d’origine haïtienne, ce qui lui vaut la précarité et les déboires de l’étranger. Sa mère est malade, il faudrait l’argent de son opération qui ne peut se faire qu’en métropole. En tant qu’étrangère, elle n’a pas droit à la mutuelle. Animé par un fort sentiment d’injustice, il va tenter le tout pour le tout… Cette trame de thriller de débrouille cherche à dénoncer l’injustice sociale et la corruption. On ne croit pas un instant à ce récit improbable mais qu’importe : c’est peu à peu la réalité guyanaise qui s’impose, et ce n’est pas brillant !

Film de clôture inédit en France, Les Fourmis du Marocain Yassine Fennane, clairement issu de la télévision, avait pour titre de travail L’intermédiaire, la Cigale et la Fourmi. Il est en effet construit en trois parties, suivant les trois personnages du film : Félicité, Hamid et Kenza. Ornée d’un proverbe japonais ou arabe sur des fourmis, chaque partie suit plus particulièrement l’un de ces protagonistes d’une même histoire. Félicité est une immigrée africaine très chrétienne qui voudrait pouvoir organiser des funérailles correctes à son amie noyée durant la traversée en mer. Elle est employée par la bourgeoise Kenza via l’agence d’aides ménagères où travaille Hamid. Ce sont donc, chacun à leur place, trois fourmis dans la grande fourmilière sociale de la société marocaine, sachant que les fourmis envahissent aussi la maison de Kenza. La confrontation dramatique des trois fourmis les obligera à se redéfinir humainement pour ne plus se mépriser…
Les héritages ne sont ainsi pas aussi figés qu’ils ne paraissent, si on veut bien en être conscients et les faire bouger. C’est là une des fonctions du cinéma.
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