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Bilguissa Diallo : Transhumances

Par Gangoueus @lareus
Bilguissa Diallo, aux Lectures de Gangoueus

J’ai lu le nouveau roman de Bilguissa Diallo quasiment dès sa sortie. J’ai préparé une émission littéraire autour de ce roman il y a un mois et j’ai eu le plaisir de l’écouter de nouveau à l’occasion de Rive Noire Littérature...


Bilguissa Diallo, romancière engagée.

Il est passionnant d’écouter l’écrivaine d’origine guinéenne s’exprimer sur l’histoire récente du pays de ses ancêtres, sans aucune concession quant aux formes violentes d’expression du pouvoir en Guinée Conakry. Elle est la fille d’un opposant qui a participé à une action spectaculaire contre le régime de Sékou Touré, l’opération Mare Verde. Il est important de comprendre à partir de quel carburant, la flamme, la verve d’une auteure nourrit le sujet qu’elle traite. Une révolte profonde, un désir de restituer au plus près une réalité, mieux une vérité,  Ici, l’événement fondateur est le massacre du 28 septembre 2009 au stade de Conakry. Cet épisode funeste a été mené par les troupes du Capitaine Dadis Camara. Meurtres en série, viols…


Au commencement, un massacre.

Adama s’est formé en France et il est rentré à Conakry. Il est le leader d’un groupe de jeunes cadres guinéens. Sadou est un ingénieur des mines, il oeuvre dans ce domaine. Adama a du mal avec la corruption qui gangrène le ministère de la justice. Lamine est quant à lui plus discret. Dalanda fait des études en droit et Awa est également étudiante... Une manifestation se prépare au stade de la capitale guinéenne. Elle va rassembler toutes celles et tous ceux qui espèrent la fin de la transition imposée par le Capitaine Dadis Camara et ses acolytes. Bilguissa Diallo nous décrit la ferveur, l’enthousiasme de cette jeunesse africaine, aspirant au meilleur, souhaitant prendre réellement part à la construction. La désillusion sera grande  quand, dans cet espace fermé que peut être un stade, les troupes de Camara vont s’abattre sur ces opposants politiques certes, mais surtout sur ces jeunes. L’écrivaine nous fait vivre cette scène d’épouvante, de détresse, de folie avec une efficacité redoutable. Dans le mouvement de foule, des groupes se forment. Certains s’extirpent tant bien que mal du stade, pour être cueillis par les balles des assaillants. Les filles du groupe se retrouvent prises au piège dans les vestiaires du stade, face à des militaires qui ont basculé en mode prédateurs sexuels. 


“Entre deux viols, les soldats leur signifient ainsi qu’elles ne sont plus rien, qu’on peut piétiner leurs vies, que la réclamation  de leur droit  est une insolence, car leur ethnie justifie cette punition. Elles paient le fait d’être nées peules dans un pays où on a toujours considéré les leurs comme des êtres à part, enviables, beaux, nobles et très dangereux.” (p.28)

  

Le ciblage ethnique est une composante de la répression des troupes de Camara comme l’indique l’extrait ci-dessus. 


Parallèle

Je m’arrête là d’abord. Je fais une pause. Cette scène est terrifiante, sidérante. Elle n’est pas nouvelle dans les nombres cycles de violence qui obscurcissent les soleils des indépendances. Mais le talent, l’implication de l’auteur nous immerge dans ce que de nombreuses personnes survivantes à cet événement ont subi. De plus, la sidération pour moi provient du décalage entre l’information que j’avais de ces heurts par les médias internationaux : un meeting politique qui a mal tourné, un mouvement de foule comme il y a souvent dans des stades. Sans plus. Aujourd’hui, je dirai que je n’avais pas assez creusé le sujet. De plus, Dadis Camara a tout au long de son aventure au pouvoir a été décrit par les médias internationaux comme un guignol sympathique, un militaire atypique qui faisait penser à une mauvaise version de Sankara. D'ailleurs Bilguissa Diallo le rappelle au début de son roman :

"- Ce mec a quand même réussi l'exploit de nous rendre célèbres avec ses Dadis shows. Avant personne ne pouvait situer notre pays sur une carte, maintenant, à cause de ce débile, on est connus !" (p.17)

Je pense encore au roman d'Olivier Rogez, L’ivresse du Sergent Dida (éd. Les passages). Une perception erronée ou juste. En cela, la littérature a un rôle important en nous donnant une perspective plus large, plus précise sur une catastrophe.  Parce que la question qui me taraude encore l’esprit est le pourquoi une ignoble traîtrise de celles et ceux qui exercent le pouvoir à l'endroit de "son peuple"...


Hakim Bah, je comprends mieux Tâchetures

Oui, cette scène qui inaugure le roman vous marquera. Elle a été une clé de lecture nouvelle pour moi du recueil de nouvelles de l’homme de théâtre Hakim Bah. Dans ce texte dont j’ai produit une critique il y a quelques années, j’avais été marqué par le regard, il y a cette incompréhension d’une jeunesse africaine en rupture avec des élites au pouvoir, peu soucieuses de son avenir. Je pense que le massacre du 28 septembre 2009 a participé à construire le propos d’Hakim Bah. Toutefois les conclusions de Bilguissa Diallo et Hakim Ba, ne sont pas vraiment les mêmes. 


Transhumances.

Les mots ont leur sens. En fonction de qui les prononcent, notre focale variera. Quand on est pasteur, de génération en génération, la transhumance nous renvoie à une réalité profonde : la recherche d’un vert pâturage pour le cheptel dont on doit prendre soin. En cela, c’est l’une des forces de ce roman, la justesse du propos. Le massacre du stade de Conakry est le départ pour plusieurs transhumances. En cela, il convient de s’intéresser de plus près aux différents personnages. L’un d’entre eux est abattu aux abords du stade. Sadou. Les jeunes femmes vont se remettre de manière différente des scènes de viol. Dalanda va suivre un long cheminement. Fiancée d’Adama, cet épisode va brouiller la dynamique de ce couple pourtant si riche d'espoir, nourrie d’amour. Quelle va être la transhumance de Dalanda ? Va-t-elle trouver une terre de repos, se réconcilier avec son corps meurtri ? Quel regard la société guinéenne porte-t-elle sur des femmes ayant subi un tel affront ? Pourquoi une double peine ? Awa, sa voisine, prend le chemin de l’exil par un mariage arrangé avec Alassane. La France en l’occurrence. La distance suffira-t-elle pour faire le deuil ? Et dans le fond, comment la diaspora reçoit-elle les blessés de guerre, les victimes des violences politiques, militaires, économiques des pays d’origine ? Bilguissa Diallo, par Adama, rappelle que les chemins de l’exil ne renvoie pas forcément vers l’Occident. Ce dernier échoue à Dakar, sa position étant intenable à Conakry. Là encore, le chemin de la reconstruction va être singulier. L’amour y aura une place importante, décisive. Mais le cas d’Adama est révélateur du fait que nous ne sommes pas égaux face aux circonstances de la vie. Adama a, naïvement, amené ces ami.e.s. à l’abattoir, il n’en paie pas le plus lourd tribut. Pourtant, il a fait un rêve prémonitoire. J’ignore si l’écrivaine mesurait cette dimension en dressant la transhumance d’Adama. Enfin, il y a ceux qui restent sur le terrain. En mode second rôle, Lamine est le personnage le plus vertueux pour moi de ce roman. Le plus courageux.


Et après, le vert pâturage…

Comme je vous le disais plus haut, Hakim Ba et Bilguissa Diallo n’offrent pas la même conclusion à leurs textes respectifs. Je m’attarderai sur le roman qui nous concerne. Un des espaces safe recherchés par plusieurs personnages est celui de la justice. Je vais vous surprendre une nouvelle fois, mais ce n’est pas commun en littérature africaine. Que ce soit pour Adama, Lamine ou Dalanda, la quête d’une justice est le moteur de leur mouvement. Justice pour celles et ceux qui sont morts le 28 septembre 2009. Justice pour les femmes qui ont été sauvagement violées. Mais toute la complexité que pose le roman, c’est que l’hydre partiellement décapitée se regénère. En cela, les dates formulées dans le roman par Bilguissa Diallo sont essentielles. Dadis Camara est tombé peu de temps après cet épisode. Mais ces hommes de main sont toujours au pouvoir, deux ans après, donc avec Alpha Condé. Il me semble qu’il est plus simple de réclamer justice quand on écrit depuis une terre d’exil. Car les meurtriers tiennent le pouvoir. Une deuxième terre de repos que suggère ce roman est le dialogue intraguinéen : entre ceux qui sont en exil et ceux qui sont leur parcours sur place. Awa et Alassane incarnent cet échange. Bilguissa Diallo y projette sa vision, je pense, celle d’une construction en dehors du pays des ancêtres, tout en gardant son identité. Alors, on peut se demander si la posture de Bilguissa Diallo n'est pas en certains points clivante. Tâchetures est quant a lui plus ancré en Guinée, du moins en Afrique. Les planches de salut d’Hakim Ba passent par un dialogue intergénérationnel ou une prise du pouvoir par les jeunes, là où l'exil semble une voie de garage chez Bilguissa Diallo.

Bilguissa Diallo, Transhumances

Editions Elyzad, 298 pages, 2025


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