Le parcours d’une chanson peut parfois être aussi sinueux que fascinant. C’est exactement le cas de Wait, morceau issu de l’album Rubber Soul des Beatles, dont la gestation a connu un détour inattendu avant d’être finalement exhumée pour enrichir l’un des albums les plus emblématiques du groupe. Ce titre, souvent sous-estimé, recèle pourtant des subtilités musicales et historiques dignes d’attention.
Sommaire
- Un titre né lors du tournage de Help!
- Une mise au placard inexpliquée
- Un sauvetage de dernière minute pour Rubber Soul
- Une chanson sous-estimée ?
Un titre né lors du tournage de Help!
Wait voit le jour en 1965, à une époque charnière pour les Beatles. Le groupe est alors en pleine effervescence créative et cinématographique avec le tournage du film Help! aux Bahamas. C’est dans cette ambiance exotique et effervescente que Paul McCartney compose ce morceau. Selon ses souvenirs, il l’aurait écrit en présence de l’acteur américain Brandon de Wilde, ancien enfant star fasciné par le processus créatif des Fab Four :
Il était un type sympa, vraiment intéressé par ce que nous faisions. Une sorte d’acteur du Brat Pack. Nous avons beaucoup discuté, et il me semble que j’ai écrit « Wait » devant lui. Il était curieux de voir comment cela se passait. Je pense que c’était ma chanson. Je ne me souviens pas que John ait beaucoup collaboré, bien qu’il ait pu le faire.
Paul McCartney – Many Years From Now, Barry Miles
Cette déclaration de McCartney tend à faire de Wait une composition majoritairement sienne, bien que créditée Lennon-McCartney comme la plupart des chansons des Beatles de cette époque.
Une mise au placard inexpliquée
Initialement enregistrée en juin 1965, Wait était censée figurer sur la bande-son de Help! mais, pour des raisons obscures, elle fut écartée. Certains suggèrent qu’elle aurait été supplantée par Dizzy Miss Lizzy, un morceau énergique de Larry Williams enregistré spécialement pour le marché américain. Il est probable que les Beatles, à la recherche d’une conclusion plus percutante pour Help!, aient jugé Wait trop douce ou pas assez marquante.
Ce choix relève cependant du paradoxe, car Wait présente une dynamique particulière grâce à l’alternance de voix entre Lennon et McCartney, une caractéristique qui, bien qu’habituelle chez les Beatles, fonctionne ici avec une sincérité et une urgence remarquables.
Un sauvetage de dernière minute pour Rubber Soul
Cinq mois après son enregistrement initial, Wait refait surface presque par accident. En novembre 1965, les Beatles sont en train de finaliser Rubber Soul et se rendent compte qu’ils ont besoin d’un quatorzième morceau pour compléter l’album. Plutôt que de composer une nouvelle chanson en urgence, ils décident de retravailler Wait. Le 11 novembre, ils ajoutent des percussions supplémentaires, des harmonies vocales et une guitare jouée avec une pédale de volume, conférant ainsi à la chanson une touche plus sophistiquée en phase avec le son de Rubber Soul.
George Harrison raconte d’ailleurs l’expérience d’utilisation de la pédale de volume, une technique qui le fascinait mais qu’il trouvait difficile à maîtriser :
Il y avait un gars à Liverpool, Colin Manley, qui était à l’école avec Paul et moi. Il était dans un groupe appelé The Remo Four et jouait avec Billy J Kramer. Il avait une pédale de volume et savait jouer des morceaux de Chet Atkins en même temps que la mélodie principale, comme « Colonel Bogey ». Il l’utilisait si bien ! Nous avons essayé d’en faire autant, mais je n’arrivais pas à coordonner mes gestes. Parfois, ce qu’on faisait, c’était que je jouais la partie et que John se mettait à genoux devant moi pour tourner le volume de ma guitare. George Harrison – Guitar Player, novembre 1987
Cette anecdote illustre bien l’expérimentation sonore des Beatles à cette époque et leur capacité à repousser les limites techniques pour enrichir leur musique.
Une chanson sous-estimée ?
Malgré son parcours atypique, Wait s’intègre parfaitement à Rubber Soul, un album marquant la transition des Beatles vers une musique plus introspective et mature. Avec son texte évoquant l’absence et l’attente amoureuse, le morceau adopte une ambiance poignante renforcée par le duo vocal Lennon-McCartney.
Pourtant, Wait n’a jamais joui de la même reconnaissance que d’autres morceaux de l’album comme Norwegian Wood, Nowhere Man ou In My Life. Elle reste un titre de second plan dans la discographie des Beatles, rarement cité parmi leurs chefs-d’œuvre. Cette relégation s’explique peut-être par son statut de « repêchée » ou par sa production, moins audacieuse que d’autres morceaux de Rubber Soul.
Néanmoins, pour les passionnés des Beatles, Wait demeure une pièce fascinante de leur histoire musicale. Elle illustre non seulement leur incroyable productivité mais aussi leur capacité à transformer un morceau oublié en une contribution légitime à un album majeur. Un détour du destin qui fait tout le sel de cette période charnière dans l’évolution des Fab Four.
