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Paul McCartney : le « je ne fais rien » qui cache une mécanique parfaite

Publié le 12 août 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Paul McCartney plaisante en disant qu’il ne « fait rien » pour ses doigts après soixante ans de basse et de guitare. Derrière cette modestie se cache une routine précise : hydratation, sirop d’herboristerie, échauffement discret, équilibre de setlist et gestion vocale millimétrée. À 83 ans, il repart en 2025 pour un nouveau chapitre de sa tournée Got Back, orchestrant chaque soir une machine scénique titanesque avec naturel.


Paul McCartney vient de glisser une confession au ton faussement désinvolte : interrogé sur la manière dont il « soigne » ses doigts après plus de soixante ans de guitare et de basse, il répond qu’il ne fait « rien ». Les callosités se font toutes seules « quand on joue tous les jours », puis s’assouplissent entre deux cycles avant de se reformer à la reprise. Cette pirouette, ponctuée d’un « je n’y fais rien, en fait », résume la dialectique McCartney : l’humilité en façade, l’exigence en coulisses. À 83 ans, l’ex‑Beatle relance à l’automne 2025 sa tournée Got Back pour un nouveau chapitre nord‑américain, après avoir clôturé la séquence européenne en décembre dernier à Manchester et Londres, et s’être offert une apparition footballistico‑rock avec Bruce Springsteen à Anfield début juin. Entre chaque étape, il alimente son Q&A récurrent — You Gave Me the Answer — d’aveux pratiques et de clin d’œil de coulisses. Derrière la modestie, une méthode.

Sommaire

  • L’architecture d’un corps en scène
  • Le laboratoire scénique de Got Back
  • Petites causes, grands effets : sel, sirop et silence
  • Ce que « ne rien faire » signifie pour un spectacle de cette taille
  • L’art du son avant tout : balances et « soundcheck parties »
  • Instruments : ce que les mains racontent
  • Préparer la mémoire : l’anxiété utile
  • Quand un octogénaire apprend encore à sa tournée des choses nouvelles
  • Le printemps d’une longévité
  • Le cercle rapproché : une équipe et une ville
  • L’aveu qui fait sourire… et travailler
  • Épilogue : la tasse, la basse, et le noir

L’architecture d’un corps en scène

La phrase qui amuse — « je ne fais rien » — ne signifie pas improvisation permanente. Dans ses réponses, McCartney déroule une routine d’avant‑concert où tout a sa place : gargarisme à l’eau salée pour préparer la voix, brossage de dents et séance de sirop chinois dilué — un remède d’herboristerie qui apaise la gorge —, choix des vêtements, puis une mise en condition musicale avec son groupe : quelques mesures de “Let It Be” ou de “Hey Jude” pour caler les repères. À quinze minutes du lever de rideau, on resserre : rassemblement avec les musiciens, huddle de confiance, dernier appel du tour manager, puis la basse — transmise par le guitar tech — arrive dans la main gauche. La scène n’est jamais loin, mais elle se gagne par étapes.

Ce cérémonial n’a rien de maniéré : c’est une hygiène. Les cordes vocales ne se maintiennent pas par hasard à l’échelle d’une tournée si vaste. Les doigts non plus. Le « ne rien faire » dit plutôt : ne pas forcer ce que des décennies d’habitude ont façonné. Les callosités sont l’armure d’un musicien ; on ne les fabrique pas en laboratoire, on les vit.

Le laboratoire scénique de Got Back

Depuis 2022, Got Back s’est imposée comme une forme aboutie du concert McCartney du xxie siècle. On y retrouve la traversée de trois vies — Beatles, Wings, solo — et des ponts devenus signatures : duo virtuel avec John Lennon sur “I’ve Got a Feeling”, salut à George Harrison sur “Something” à l’ukulélé, séquence acoustique resserrée autour de “Blackbird” ou “Here, There and Everywhere”, et final à participation massive où “Hey Jude” règle l’émotion collective. L’aveu sur les doigts prend sa résonance dans cette mécanique : sous la simplicité revendiquée, une machine immense se déploie, orchestrée par Wix Wickens aux claviers et à la direction musicale, Abe Laboriel Jr. à la batterie, Rusty Anderson et Brian Ray aux guitares et alternances basse/6 cordes.

Chaque soir, la temporalité de la voix impose ses lignes : pousser sur “Maybe I’m Amazed”, tenir la droiture de “Live and Let Die” sans briser le grain, confier à “Here Today” — la lettre à John publiée en 1982 — sa fragilité inhérente. On comprend alors que la préparation n’est pas une coquetterie : c’est la condition pour faire tenir un show de près de trois heures.

Petites causes, grands effets : sel, sirop et silence

L’eau salée avant scène dit une science empirique. Les chanteurs d’expérience savent que la viscosité des muqueuses, la température ambiante et l’hydratation gouvernent la stabilité du timbre. Le sirop d’herboristerie — ce « remède chinois » — agit comme un baume : il lubrifie sans engourdir. Entre les deux, un temps de calme : s’asseoir, respirer, laisser descendre l’adrénaline qui monte trop tôt. Les images d’avant‑scène où l’on aperçoit McCartney une tasse à la main ne montrent pas un rituel mystique ; elles documentent un rythme maîtrisé. Dans des arènes modernes qui exigent de parler aux derniers rangs sans perdre l’intime, ces petits gestes font grande différence.

Quant aux mains, l’entraînement est moins spectaculaire que la théorie. La main gauche — celle des basses et des guitares gaucher — a sa mémoire au niveau des phalanges. Sur le Höfner violon, sur la Rickenbacker ou sur les Fender de tournée, la pression de la corde varie, mais la peau s’est endurcie depuis l’adolescence. Ce que McCartney résume par « je ne fais rien » signifie surtout : je laisse faire l’outil et le temps. En studio, entre deux blocs de concerts, la peau se relâche ; la reprise rebâtit une carapace en quelques jours.

Ce que « ne rien faire » signifie pour un spectacle de cette taille

Un concert Paul McCartney n’est pas seulement un homme et une basse. C’est une équipe de techniciens, ingénieurs, régisseurs, lumières, vidéo, backline et logistique qui se déploie comme une compagnie. Le fameux « Phil » qui tend la basse à Paul juste avant le noir de scène est la pointe visible d’un système où chaque instrument est vérifié, chaque fréquence calibrée, chaque transition scénarisée. Dire « je ne fais rien », c’est aussi un hommage discret à cette chaîne : l’artiste peut se concentrer sur la présence, parce qu’une armature silencieuse maintient le cadre.

Côté setlists, la dramaturgie ne s’improvise pas. Les blocs s’organisent selon des contraintes acoustiques et physiques. On ne place pas “Helter Skelter” n’importe . On respire après “Live and Let Die”. On dose les modulations d’intensité pour ménager la voix, tout en gardant le public dans une histoire. Cette écriture de la soirée explique, plus qu’un prodige physique, la résistance d’un chanteur‑instrumentiste de 83 ans.

L’art du son avant tout : balances et « soundcheck parties »

Bien avant l’ouverture des portes, McCartney et son équipe font parler les enceintes. La balance (soundcheck) n’est pas une formalité : c’est là que se règlent les muscles d’une salle, sa réverbération, les limites de ses aigus, l’empiètement des basses sur les bas‑médiums de la voix. Depuis des années, ces moments sont parfois proposés au public sous forme d’expérience dédiée. On y surprend Paul creuser des titres secondaires, tester des transpositions, ramener un oldie inattendu. Ces épreuves servent la soirée : au moment du show, rien ne déborde par hasard.

À l’intérieur du groupe, la cohésion est celle d’un atelier. Wix Wickens, compagnon de route depuis les années 1990, est l’oreille panoramique : il colore, comble, pilote. Abe Laboriel Jr., batteur aux épaules immenses et au toucher nuancé, est l’élastique de l’ensemble. Rusty Anderson et Brian Ray se partagent guitares électriques, acoustiques et, selon les titres, basse de relais. On y voit moins des solistes que des artisans qui portent une voix.

Instruments : ce que les mains racontent

Le Höfner 500/1, « violon » de jeunesse, reste la signature visuelle et sonore. Son poids plume et sa rondeur médiane fatiguent moins qu’une solid‑body dense. La Rickenbacker 4001S — héroïne des années Wings — revient parfois pour un grain plus mordant. Côté acoustiques, l’Epiphone Texan reste indissociable de “Yesterday”, même si les tournées modernes alternent avec d’autres bois selon les accordages. L’ukulélé apparaît pour “Something” en hommage à George Harrison. Sur “Dance Tonight”, un mandolin donne la couleur du refrain.

Chaque instrument raconte une histoire et impose des contraintes. Le Höfner pardonne, mais réclame un placement précis pour éviter la boue sur les graves des stades. Les acoustiques imposent du silence autour — d’où le choix de séquences où la scène descend d’un cran pour laisser passer la respiration de la bois. Cette intendance n’est pas anecdotique : elle conditionne l’endurance des mains et donc la pertinence du « je ne fais rien ». Quand la technique est alignée, le corps travaille moins contre.

Préparer la mémoire : l’anxiété utile

McCartney l’avoue : après une longue pause, le trac peut revenir. La question n’est pas tant de peur que de mémoire : « et si j’avais oublié ? » Pour un artiste qui porte des catalogues entiers, l’apprentissage est une discipline. On ne « révise » pas Hey Jude ; on réinstalle des réflexes de placement, des départs de ponts, des harmonies. Le cœur du plaisir reste la conversation avec la salle. Mais la sécurité vient d’un réseau de repères que la routine d’avant‑scène a préparé.

À la minute où il empoigne la basse, cette inquiétude s’évacue. Les premiers titres d’un set sont souvent choisis pour cela : donner au corps ses marques, à la voix ses attaques, à l’oreille ses distances. L’aveu de 2004 sur l’émotion qui submerge parfois “Here Today” explique aussi la raison d’être de ces rituels : prévoir pour accueillir l’imprévu, et non pour l’éviter.

Quand un octogénaire apprend encore à sa tournée des choses nouvelles

Le plaisir de Got Back ne tient pas seulement au répertoire. Il vient de cette capacité à laisser entrer des nouveautés. McCartney s’est frotté à “Being for the Benefit of Mr. Kite!”, longtemps tenue pour impraticable par un bassiste‑chanteur en live, a réouvert “A Hard Day’s Night” en 2016, et n’hésite pas à épurer certaines versions pour ménager des moments de vérité. Le duo reconstitué avec Lennon sur “I’ve Got a Feeling” dit autre chose que l’ingénierie : il installe un dialogue où l’écran ne remplace pas, mais prolonge une voix amie.

Dans ce cadre, l’ironie du « je ne fais rien » prend un relief affectueux. On entend le musicien dire : le geste s’est déposé dans le corps. Ce qui importe, désormais, c’est la qualité de l’adresse. Et l’adresse supporte peu la sur‑explication. On prépare, on accorde, on entre.

Le printemps d’une longévité

83 ans et encore trois heures de scène : l’arithmétique impressionne. Elle n’explique pas tout. La longévité de McCartney repose sur un rythme de travail réinventé à chaque décennie : cycles de studio et de route, poses plus longues quand la famille prime, retours somptueux quand l’envie repointe. La tournée n’est pas une fuite en avant ; c’est une façon d’habiter un catalogue qui n’a, en réalité, jamais cessé d’évoluer.

Dans cette économie, la discipline du quotidien — hydratation, sommeil, chauffe modérée — a davantage de poids que les solutions miracles. Les doigts suivent. Ils racontent un métier qui se porte plus qu’il ne se répare.

Le cercle rapproché : une équipe et une ville

Les images récentes de LiverpoolLIPA en cérémonie de remise de diplômes, le Philharmonic Hall, la ville sur le pas de la porte — rappellent que McCartney n’a jamais détaché sa route de son point de départ. En tournée, cette fidélité prend la forme d’un noyau d’équipe qui se connaît depuis des décennies et d’une façon d’accueillir les villes visitées : interactions avec les fans, signatures à l’improviste, conversations où le patrimoine beatlesien est partagé sans en faire un totem. C’est là, aussi, que se loge l’endurance : dans une confiance prolongée au‑delà de la musique.

L’aveu qui fait sourire… et travailler

Que vaut, au fond, la phrase « je ne fais rien » ? Un clin d’œil. Elle disqualifie la magie performative, pour valoriser le métier. Elle fait rire, parce qu’elle dément l’idée d’un secret ésotérique. Elle informe, parce qu’elle nomme ce que l’on voit rarement : l’effet du temps sur un corps qui joue. On peut la lire comme un programme : laisser faire l’acquis, ne pas forcer ce qui n’a pas besoin de l’être, protéger la voix avec des gestes simples, et garder, surtout, de la place pour l’imprévu — un regard, une phrase au public, une lueur qui rend une soirée unique.

Épilogue : la tasse, la basse, et le noir

Il est huit heures cinquante. La tasse est posée, la gorge est prête, la chemise choisie. Le huddle se défait, la main tape la main sous un rire discret. La basse arrive, son poids familier rassure. Un dernier silence. Le noir tombe. Le public explose. Au milieu de ce vacarme, un homme qui prétend « ne rien faire » entre pied droit en avant, et fait, à nouveau, advenir la chanson.

La tournée Got Back redémarre à l’automne 2025 sur le continent nord‑américain, avec ces escales qui, depuis des années, dessinent une géographie d’allers‑retours entre mémoire et présent. Et si l’on veut comprendre pourquoi elle tient, il suffit d’écouter la sobriété de l’aveu : ne rien forcer, pour pouvoir tout donner au bon moment. Dans la simplicité des callosités qui reviennent et d’une gorgée de sirop, tout est dit : la musique n’a pas besoin de mythe pour toucher, seulement d’un corps honnête avec ce qu’il peut et ce qu’il doit encore offrir.


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