Lorsqu’on évoque Rubber Soul, album charnière dans la discographie des Beatles, on pense immédiatement à des morceaux révolutionnaires comme Norwegian Wood, In My Life ou Drive My Car. Pourtant, l’un des titres les plus atypiques de cet album, What Goes On, possède une histoire singulière, bien éloignée des expérimentations folk-rock et des influences psychédéliques naissantes. Véritable curiosité, cette chanson marque non seulement la première apparition officielle de Ringo Starr en tant que co-auteur d’un morceau des Beatles, mais aussi la résurrection d’une composition de jeunesse de John Lennon. Retour sur un titre aux multiples vies.
Sommaire
- Une chanson née avant les Beatles
- Une opportunité pour Ringo Starr
- Une composition revisitée par Paul McCartney
- Une session nocturne sous pression
- Une face B pour Nowhere Man
- Une empreinte country dans l’univers Beatles
- Un témoignage de l’évolution du groupe
Une chanson née avant les Beatles
John Lennon lui-même en témoigne : What Goes On fait partie de ces chansons composées avant même que les Beatles ne deviennent un groupe professionnel. Selon ses souvenirs, elle remonterait à l’époque des Quarrymen, ces balbutiements musicaux où Lennon façonnait son art bien avant que la formation légendaire ne voie le jour. Dans une interview accordée à David Sheff en 1980 pour All We Are Saying, il expliquait :
« That was an early Lennon written before The Beatles when we were The Quarrymen, or something like that. And resurrected with a middle eight thrown in, probably with Paul’s help, to give Ringo Starr a song and also to use the bits, because I never like to waste anything. »
Ce titre dormira ainsi plusieurs années avant d’être exhumé au moment de l’enregistrement de Rubber Soul. Initialement présenté à George Martin dès 1963, What Goes On ne fut cependant pas enregistré à l’époque, éclipsé par d’autres compositions des prolifiques Lennon et McCartney.
Une opportunité pour Ringo Starr
Depuis With The Beatles (1963), chaque album du groupe contenait une chanson interprétée par Ringo Starr. En 1965, alors que Rubber Soul prend forme, la question de son morceau attitré se pose à nouveau. Plutôt que d’écrire un titre spécifiquement pour lui, Lennon et McCartney décident de ressusciter What Goes On. Pour Ringo, c’est une opportunité en or de s’essayer à l’écriture :
« I used to wish that I could write songs like the others – and I’ve tried, but I just can’t. I can get the words all right, but whenever I think of a tune and sing it to the others they always say, ‘Yeah, it sounds like such-a-thing,’ and when they point it out I see what they mean. But I did get a part credit as a composer on one – it was called What Goes On. »
Bien que son implication semble minime – il plaisantera plus tard en affirmant n’avoir ajouté que « cinq mots » –, cela suffit pour que la chanson soit créditée sous la mention Lennon-McCartney-Starkey. C’est la première et unique fois qu’un titre des Beatles porte cette triple signature.
Une composition revisitée par Paul McCartney
Si Lennon reconnaît avoir composé What Goes On bien avant les Beatles, il admet aussi que Paul McCartney a retravaillé le morceau en 1965. Toutefois, son souvenir d’un middle eight ajouté par McCartney pose question, puisque la chanson ne comporte pas réellement de pont harmonique distinct. Il est plus probable que McCartney ait modifié la structure des couplets et amélioré certaines transitions.
Neil Aspinall, fidèle assistant du groupe, révèle également une anecdote intéressante dans The Beatles Book d’avril 1966 : avant d’aller en studio, McCartney aurait enregistré une démo sur laquelle il jouait tous les instruments – basse, guitare, batterie – afin de donner une idée plus précise du morceau à Ringo Starr. Un procédé qui témoigne du souci du détail qui régnait au sein du groupe.
Une session nocturne sous pression
L’enregistrement de What Goes On se déroule le 4 novembre 1965 aux studios d’Abbey Road. Ce soir-là, les Beatles entament leur session à 23 heures, une heure inhabituelle même pour eux. À cette époque, la finalisation de Rubber Soul devient une course contre la montre, la date de sortie étant imminente.
Pourtant, malgré cette pression, le groupe ne réalise qu’une seule prise de What Goes On, preuve de sa maîtrise technique et de l’efficacité de ses arrangements. Après la mise en boîte de la piste rythmique, Ringo Starr enregistre sa voix, soutenu par les harmonies de John Lennon et Paul McCartney.
Une face B pour Nowhere Man
Si What Goes On figure naturellement sur Rubber Soul à sa sortie le 3 décembre 1965 au Royaume-Uni, sa diffusion aux États-Unis suit un parcours différent. Le 21 février 1966, la chanson est choisie pour figurer en face B du single Nowhere Man. Bien que ce dernier rencontre un franc succès, What Goes On reste une chanson relativement mineure dans le répertoire des Beatles, sans connaître de véritable carrière scénique.
Une empreinte country dans l’univers Beatles
Musicalement, What Goes On se distingue par une forte empreinte country, un genre que les Beatles avaient déjà exploré sur des morceaux comme Act Naturally, également chanté par Ringo Starr. La guitare de George Harrison adopte un phrasé typique de la country, marqué par un jeu en picking rapide et des accents twang caractéristiques de Nashville.
Cette influence n’est pas anodine : en 1965, les Beatles intègrent de plus en plus de styles musicaux diversifiés dans leur travail. Alors que Rubber Soul est souvent décrit comme un tournant vers le folk-rock et la sophistication, What Goes On agit comme un contrepoint léger, ramenant le groupe vers des sonorités plus traditionnelles et spontanées.
Un témoignage de l’évolution du groupe
Si What Goes On ne fait pas partie des titres les plus célébrés des Beatles, son histoire en fait néanmoins un morceau révélateur de leur évolution. Il incarne l’habitude du groupe de recycler d’anciennes compositions, de donner à chaque membre un espace d’expression et de s’aventurer dans différents styles.
Pour Ringo Starr, c’est une première et unique incursion dans la composition aux côtés de Lennon et McCartney. Pour Lennon, c’est un fragment du passé qui trouve une seconde vie dans un album révolutionnaire. Et pour McCartney, c’est l’occasion d’apporter sa touche mélodique et harmonique à un morceau plus ancien.
Aujourd’hui encore, What Goes On demeure une curiosité dans le catalogue des Beatles, un clin d’œil à leurs racines et à leur incroyable capacité d’adaptation. Un morceau peut-être mineur, mais qui, à l’image du groupe qui l’a créé, continue d’intriguer et de fasciner.
