Avant tout, je préviens que ce billet va sans doute partir dans tous les sens et que comme il est inspiré par ma situation mais aussi par celles de personnes proches, situations sur lesquelles je ne peux évidemment pas donner de détails, ce sera également peut-être un peu confus. Mais ceux qui savent savent, comme on dit.
Il y a dix ans, j’ai écrit un billet qui s’appelle Les préjugés qui vous rassurent nous tuent C’est sur le suicide, et pour ceux qui n’y comprennent rien, ce n’est pas une mauvaise idée d’aller le lire.
Et ce soir, je me dis que ça vaut pour toute notre vie, en fait. Je ne le découvre pas, certes, je le sais depuis longtemps, mon travail de fin de formation de pair aidance portait d’ailleurs sur ce sujet. Mais ce soir, encore plus que d’habitude, je le ressens, parce que ça me touche moi, parce que ça touche des gens que j’apprécie, parce que je n’en peux plus du non-sens de cette société qui se prive de forces vives et crée des souffrances infinies uniquement par confort.
Car oui, c’est plus confortable de dire à un enfant ou un adolescent, tu t’assieds sur ton banc, tu te tais et tu obéis. Et si tu n’y arrives pas, c’est que tu es inadapté, que tu es bête, que tu n’apprends pas comme il faut, que tu n’arriveras jamais à rien.
C’est plus confortable de rester sur ces choses qu’on a appris pendant ses études il y a dix ou vingt ans, de ne pas se mettre à jour, de ne pas les questionner, de ne pas se dire que cet enseignement avait peut-être des côtés problématiques. C’est plus confortable de dire aux patients qui ne correspondent pas à ces schémas appris à coup de questionnaires à choix multiples qu’ils se trompent, que ce qu’ils ressentent n’existent pas. C’est plus confortable de les mettre dans une case qui les détruit mais ne remet pas en cause l’ordre du monde.
C’est plus confortable de dire aux gens de faire un effort plutôt que de chercher à comprendre comment ils fonctionnent. C’est plus facile de penser qu’avec un peu de volonté, ils arriveraient à vivre selon la norme, la sacro-sainte norme dont bien sûr tout le monde rêve. C’est plus simple de se dire que c’est de ne pas rentrer dans cette norme qui nous amène à une telle détresse, alors que c’est l’incompréhension et le rejet. C’est le fait que peu de gens cherchent à voir plus loin que le bout de leur nez.
Ce soir, je n’en peux plus. Ce soir, je suis à bout. Il s’agit de moi, bien sûr, et de tant d’autres. Tant d’autres qui crèvent à petits feux, tant d’autres qui sont morts déjà. Et je n’arrive pas à comprendre à qui profite ces morts. Enfin si, sans doute que je le comprends trop bien, à un ordre social qui se veut universel et immuable. Mais ça baigne dans tellement de sang, tout ça, tellement de souffrance, pour un confort de façade. Vraiment, c’est insupportable.
Et encore, je sais que j’ai de la chance. J’ai des gens sur qui compter, j’ai des soignants qui écoutent, cherchent et se remettent en question. Ce n’est pas si fréquent, je le sais, mais justement, c’est insupportable pour moi que ça soit si rare, ça me fait mal de me trimballer ce passé et de voir des personnes que j’aime se prendre ces murs de solitude et d’incompréhension sur lesquels je me suis fracassée la tête pendant si longtemps.
Je n’en peux plus que cette société sacrifie tant de gens.
Je n’en peux plus qu’on doive compter nos morts.
