Sortie fin 1967, « Hello, Goodbye » est un tube signé McCartney qui divise le groupe : Lennon la juge vide de sens mais sauve sa fin improvisée, ce fameux coda ad-lib qu’il adore. Le contraste entre forme lisse et échappée rythmique révèle les tensions esthétiques du duo Lennon/McCartney et éclaire la richesse du moment Beatles post-Epstein.
Sorti à la fin de 1967, « Hello, Goodbye » est le premier 45 tours des Beatles depuis la mort de Brian Epstein. Chanson lumineuse, écrite par Paul McCartney autour du thème de la dualité, elle est pourtant l’une des plus contestées en interne. John Lennon, qui défendait en face B son propre « I Am the Walrus », parlera plus tard d’un morceau « trois minutes de contradictions et de juxtapositions sans signification ». Un jugement sans appel, à une nuance près : il adorait la fin – ce final ad‑lib que le groupe a improvisé en studio, « comme sur Ticket to Ride », dira‑t‑il, « où l’on a juste ajouté quelque chose au dernier moment ». Retour sur la genèse, l’enregistrement et la réception d’un single capital, et sur ce coda devenu, paradoxalement, la passerelle de Lennon vers une chanson qu’il jugeait autrement « vide de sens ».
Sommaire
- Automne 1967 : un groupe entre deuil et sursaut créatif
- Écriture et structure : la grammaire de la dualité
- En studio : des prises patiemment superposées
- Un film promotionnel… et un refus de la BBC
- Face B : la colère de « I Am the Walrus »
- Sortie et réception : un triomphe populaire
- Pourquoi la fin « sauve » la chanson aux oreilles de Lennon
- Une fabrication sonore soignée
- Une image publique en demi‑teinte
- Paul McCartney, « positif » par principe
- Une affaire de montage : comment le final s’insère dans la dramaturgie Beatles
- Héritage : une chanson de scène… et un coda contagieux
- Ce que l’épisode dit de 1967
- Un désaccord fécond
Automne 1967 : un groupe entre deuil et sursaut créatif
Le 27 août 1967, Brian Epstein meurt subitement. À Londres, le quatuor vient d’achever Sgt Pepper’s Lonely Hearts Club Band et s’est lancé dans Magical Mystery Tour. Le rôle de Paul McCartney, moteur de projet, se renforce ; John Lennon glisse vers une veine plus expérimentale et sardonique. Dans ce contexte, la sortie d’un nouveau single pour la saison de Noël est stratégique : il faut un titre immédiatement accrocheur, capable d’unir les fans et de rassurer l’industrie, alors même que le centre de gravité Beatles s’est déplacé.
« Hello, Goodbye » répond à ce cahier des charges. Conçue comme une valse‑hésitation fraternelle entre affirmation et négation, la chanson assume une simplicité presque didactique : « tu dis au revoir, je dis bonjour ; tu dis stop, je dis go ». McCartney dira y voir l’empreinte de son signe Gémeaux et, plus largement, de la dualité qui structure l’univers : homme/femme, noir/blanc, haut/bas. Dans la légende Beatles, la scène fondatrice revient souvent : Paul, installé à un harmonium dans la salle à manger de Cavendish Avenue, invite Alistair Taylor, l’homme‑à‑tout‑faire d’Epstein, à dire l’opposé de chaque mot qu’il énonce. La mélodie se tisse en temps réel, comme un jeu à deux.
Écriture et structure : la grammaire de la dualité
À l’écoute, « Hello, Goodbye » déroule une forme claire. Une couplet‑refrain au tempo médian, bâtie autour d’un motif de piano et d’une basse chantante, expose les paires d’opposés. Les ponts ouvrent sur des modulations enlevées (« Why / I / say / goodbye / when / I / say / hello ? ») et ménagent l’arrivée du coda, ce final qui se détache du corps du morceau. Tout se joue là : McCartney pousse une scansion quasi tribale, Ringo Starr gonfle les toms, les chœurs s’embrasent, et la chanson bascule en une récréation rythmique dont l’allégresse contamine la mémoire du titre.
Cette architecture en deux paliers explique en partie le succès public : un couplet facile à reprendre et un final qui s’imprime. Mais elle cristallise aussi les réserves de Lennon. Pour lui, la première partie relève d’un manuel de contraires trop sage. En revanche, la dernière minute—née en studio—lui ressemble : risque, improvisation, débordement.
En studio : des prises patiemment superposées
L’enregistrement s’étale du 2 octobre au 2 novembre 1967 aux EMI Studios d’Abbey Road. George Martin produit, Geoff Emerick est à la console. Les Beatles posent d’abord la charpente : piano et basse de McCartney, batterie de Ringo, orgue et chœurs partagés, guitare de George Harrison passée dans un Leslie pour obtenir ce timbre en vagues. Au fil des overdubs, la texture s’épaissit—mains qui frappent, tambourin, violons discrets—jusqu’à ce que le morceau gagne sa brillance.
Le coda fait l’objet d’un soin particulier. À l’origine, la chute devait se contenter d’un fade classique. En studio, Paul pousse à une coda séparée : un « Maori finale » selon une formule devenue populaire, c’est‑à‑dire un chant collectif et dansé, sans lien harmonique direct avec le thème principal. Lennon s’y installe au piano, Ringo s’abandonne à des toms profonds, Emerick creuse l’espace en sur‑réverbérant la batterie. Le résultat : un îlot de liberté, ad‑lib comme une jam compressée, où la répétition hynoptique de l’exclamation (« Hela, heba‑hello‑a ! ») ouvre la porte au débordement.
C’est précisément ce fragment que Lennon sauvera du procès qu’il fait au reste : « le meilleur moment, c’est la fin, qu’on a improvisée ensemble ». Il y voit l’équivalent de ce qu’il aimait dans « Ticket to Ride » : un dernier virage, un pont inventé au moment de l’enregistrement, qui change la couleur de la sortie.
Un film promotionnel… et un refus de la BBC
Le 10 novembre 1967, les Beatles tournent trois films promotionnels pour « Hello, Goodbye » au Saville Theatre, salle louée par Epstein. McCartney dirige. Dans la version la plus connue, le groupe porte les uniformes de Sgt Pepper et exécute, sur le coda, une saynète hawaïenne avec des hula dancers. Deux autres montages existent, plus sobres. La BBC refuse de diffuser ces clips dans Top of the Pops, au nom d’une règle de l’union des musiciens : pas de playback evident à la télévision. On diffusera, à la place, des images d’archives et des photos. Ce no‑show télévisuel n’empêchera pas le single d’atteindre une audience massive.
Face B : la colère de « I Am the Walrus »
La face B, « I Am the Walrus » de Lennon, est l’un des sommets psychédéliques des Beatles : collages radiophoniques, chœur grave, humour noir. Lennon aurait voulu en faire la face A. George Martin et McCartney misent sur l’évidence commerciale de « Hello, Goodbye ». L’histoire leur donnera raison sur le plan des charts, mais pas sur le plan des humeurs : Lennon dira plus tard qu’à partir de ce choix, il a commencé à « s’effacer ». À cela s’ajoute une censure : « Walrus » est bannie des ondes par la BBC pour un vers jugé indécent, ce qui limite sa diffusion.
Sortie et réception : un triomphe populaire
Au Royaume‑Uni, Parlophone publie « Hello, Goodbye » le 24 novembre 1967, avec « I Am the Walrus » au dos. En 24 heures, le single dépasse les 300 000 ventes. Il prend la tête du classement et y reste sept semaines, jusqu’au 23 janvier 1968, signant la plus longue domination depuis « She Loves You ». Aux États‑Unis, Capitol le sort le 27 novembre : n°1 au Billboard, n°1 dans la plupart des pays occidentaux, de la France à l’Allemagne en passant par le Canada et l’Australie. La chanson rejoint vite les compilations 1967‑1970 puis 1 et fait, dès lors, partie du canon.
Cette consécration publique n’adoucit pas le regard de Lennon. Interrogé au tournant des années 1980, il persiste : « c’est du McCartney tout craché, ça sent à mille lieues l’essai de single », « ce n’est pas un grand morceau ». Mais, ajoute‑t‑il, « la fin », « nous l’avons ad‑libée » et c’est « le meilleur passage » de l’ensemble—là où il dit avoir joué le piano.
Pourquoi la fin « sauve » la chanson aux oreilles de Lennon
On pourrait croire la contradiction insoluble : comment un musicien peut‑il dédaigner un titre et chérir son coda ? La réponse tient à la philosophie intime des deux auteurs. McCartney aime les formes solides, l’évidence mélodique, le craft qui fait d’un air une chanson. Lennon se méfie de la peinture trop lisse ; il cherche la vrille, le trou dans la trame, l’accident fécond.
Le coda de « Hello, Goodbye » coche ces cases : il interrompt la grammaire attendue, désaccorde le programme couplet/refrain, « jette » quelque chose de neuf à la fin qui déplace la perception du tout. Lennon retrouve là l’énergie qu’il recherche—celle qu’on entendra, transfigurée, dans les collages d’« I Am the Walrus » ou, plus tard, dans les déstructurations de « Revolution 9 ».
Une fabrication sonore soignée
Au‑delà de l’idée, la réalisation du coda témoigne d’un savoir‑faire. Geoff Emerick accentue la réverbération des toms, ce qui élargit le spectre et donne au final son souffle de salle. Les chœurs—Lennon, McCartney, Harrison—sont mélangés en halo, sans soliste saillant, pour porter l’élan collectif. Harrison trame des lignes slide et Leslie qui ondulent sous la voix, pendant que Lennon martèle au piano. Ce n’est pas un déluge ; c’est une cuisine fine, qui fabrique de la joie.
Une image publique en demi‑teinte
Pour le grand public, « Hello, Goodbye » est l’un de ces airs qu’on siffle sans y penser. Pour une partie de la critique, c’est un symptôme : celui d’un McCartney qui domine les décisions commerciales tandis que Lennon s’éloigne de l’orientation pop. L’absence du clip à la BBC, pour cause de règle anti‑miming, nourrit un récit où l’image vibrante (uniformes Pepper, hula) se heurte à l’institution. Dans ce match de récits, la face B est devenue, avec le temps, la chanson‑phare des esthètes ; la face A, celle des foules.
L’histoire retiendra cependant que le succès de « Hello, Goodbye » a maintenu le lien entre les Beatles et le grand public au tournant cruel de 1967, et qu’il a fourni, dans sa dernière minute, l’un des exemples les plus nets de ce que l’improvisation contrôlée pouvait apporter à la pop enregistrée.
Paul McCartney, « positif » par principe
Quand Paul McCartney revient sur « Hello, Goodbye », il insiste sur le programme : être positif. Il répond au non par le oui, au départ par l’accueil, au stop par le go. Cette philosophie simple s’entend déjà dans ses écritures de l’époque : « All You Need Is Love » qu’il accompagne, « Your Mother Should Know », puis, plus tard, « Hey Jude ». Là où Lennon cherche le sabotage salutaire, McCartney pense la cohésion. C’est la force du duo : tension créatrice, contre‑poids mutuel.
Une affaire de montage : comment le final s’insère dans la dramaturgie Beatles
Chez les Beatles, les fins comptent autant que les départs. « Ticket to Ride » change de visage dans sa dernière descente syncopée ; « Rain » invente le fade‑out/fade‑in qui bouleverse la mémoire du morceau ; « Strawberry Fields Forever » se réincarne à mi‑parcours par un collage de prises. Le coda de « Hello, Goodbye » s’inscrit dans ce savoir : décevoir l’attente, desserrer la forme, et laisser entrer un soir différent.
Que Lennon n’ait aimé que cela dit quelque chose de son esthétique à venir : déglacer la surface, aimer les coutures apparentes, privilégier l’instant capté au programme prévu. On retrouvera cette éthique dans sa carrière solo, de « Instant Karma! » (écrire/enregistrer vite) aux prises nues de Plastic Ono Band.
Héritage : une chanson de scène… et un coda contagieux
Dès les années 2000, McCartney réinstalle « Hello, Goodbye » dans ses tournées : souvent en ouverture, pour son pouvoir de rassemblement, parfois en médaillon où il enchaîne le coda à d’autres titres. Des reprises—des orchestres easy‑listening aux séries télévisées—ont entretenu sa notoriété. Mais rares sont celles qui captent la magie du final. C’est que cette minute tient à une chimie très Beatles : studio en liberté surveillée, ingénieur inspiré, groupe qui joue ensemble, et un John Lennon qui sourit parce qu’on a su, pour une fois, jeter quelque chose au bout.
Ce que l’épisode dit de 1967
Le débat A/B—« Hello, Goodbye » vs « I Am the Walrus »—est devenu un symbole facile de la polarité Lennon/McCartney : le single séduisant contre le manifeste acidulé. Il en dit moins sur une réalité plus subtile : la coexistence, dans un même disque, d’une nécessité commerciale et d’une audace artistique. En 1967, les Beatles tiennent encore les deux fils. McCartney sait faire un tube qui fédère. Lennon sait inventer un langage qui déplace la pop. Le coda de « Hello, Goodbye » est le point où ces deux forces se touchent.
Un désaccord fécond
John Lennon n’aimait pas « Hello, Goodbye »—ou plutôt, il n’aimait pas ses trois premières minutes. Il y voyait un exercice de dualité un peu vide, trop propre. Mais il aimait la fin, parce qu’elle respirait l’imprévu, l’heure où un groupe se lâche et invente ce qu’il n’avait pas encore prévu. On peut, en 2025, réécouter la prise en pensant à ce sourire‑là : celui d’un auteur qui, même dans une chanson qu’il jugeait « meaningless », reconnaissait une étincelle.
À l’échelle de la fabrique Beatles, c’est un rappel utile : l’accord n’est pas toujours nécessaire pour faire une grande chanson. Parfois, il suffit que l’un des quatre trouve, au bout, « quelque chose à jeter »—et que les autres le suivent.
