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Paul McCartney face à la mort : l’éclat paisible de « The End of the End »

Publié le 13 août 2025 par John Lenmac @yellowsubnet

Dans « The End of the End », Paul McCartney aborde sa propre mort avec une sérénité lumineuse, loin des cérémonies pesantes. Composée au piano de son père et intégrée à l’album Memory Almost Full, la chanson s’inscrit dans une suite finale inspirée d’Abbey Road. Entre introspection douce et production épurée, McCartney signe un autoportrait touchant et universel, refusant toute grandiloquence.


Parue en 2007 sur Memory Almost Full, la chanson « The End of the End » occupe une place à part dans l’œuvre de Paul McCartney. Plutôt que d’écrire sur la mort d’un proche—comme il l’avait fait avec « Here Today » en 1982—McCartney s’y confronte à sa propre disparition. Il y affirme une vision lumineuse, inspirée de la tradition de la veillée irlandaise, bien loin d’un cérémonial anglican lourd de gravité. Cette page revient sur la genèse du titre, son écriture, sa place dans l’album et ce qu’il révèle du rapport de McCartney à son héritage.

Sommaire

  • Un album charnière, une suite façon Abbey Road
  • Une genèse en deux temps : 2003‑2004, puis 2006‑2007
  • « La mort comme sujet » : un déclic littéraire et une culture de la célébration
  • L’écriture : un autoportrait sans narcissisme
  • La musique : piano, souffle, et un sifflement comme promesse
  • Où la chanson a été écrite, et pourquoi cela compte
  • Une place stratégique dans la « suite » finale
  • Une modernité douce : production et esthétique
  • Un fil dans la carrière : entre Here Today, Little Willow et l’ultime couplet des Beatles
  • Une mise en marché inédite, des chiffres qui parlent
  • Réception critique : l’instant respecté
  • Scène : une absence éloquente
  • Les questions d’images : funérailles, rituels, et l’ombre de l’Anglicanisme
  • Détails d’atelier : où l’on perçoit la main d’un arrangeur
  • Mémoire, anagrammes et légendes urbaines
  • Pourquoi cette chanson touche juste
  • Ce que l’avenir a confirmé

Un album charnière, une suite façon Abbey Road

Sorti le 4 juin 2007 au Royaume‑Uni (le 5 juin aux États‑Unis), Memory Almost Full marque le début de l’aventure de McCartney avec le label Hear Music de Starbucks. Au‑delà de sa trajectoire commerciale—le disque atteint le Top 5 des deux côtés de l’Atlantique, et signe l’un des plus gros lancements en magasin pour la marque—l’album retient l’attention par sa structure. En fin de parcours, une suite en enchaînement évoque clairement l’esprit de la face B d’« Abbey Road » : « Vintage Clothes », « That Was Me », « Feet in the Clouds », « House of Wax », « The End of the End », puis « Nod Your Head » en point d’exclamation final.

McCartney l’a dit : il a pensé cette séquence comme un regard rétrospectif, une capsule où le temps se plie et se déplie. Le médaillon central—« The End of the End »—y joue le rôle d’arrêt sur image avant le clin d’œil conclusif. Dans cette suite, chaque pièce traite un état : l’élégance du passé, la mémoire de l’enfance, l’insécurité et la vanité, la présence scénique… puis la mort envisagée sans effroi.

Une genèse en deux temps : 2003‑2004, puis 2006‑2007

L’histoire de Memory Almost Full est double. McCartney commence à enregistrer en automne 2003, avec son groupe de tournée, au moment où germent déjà « You Tell Me », « Only Mama Knows », « Vintage Clothes », « That Was Me », « Feet in the Clouds », « House of Wax » et « The End of the End ». Le projet est mis en pause quand il part travailler, avec Nigel Godrich, sur Chaos and Creation in the Backyard (2005). Il revient ensuite à ses bandes en 2006‑2007, boucle l’album avec le producteur David Kahne, et lui donne sa cohérence—notamment en façonnant la suite qui monte jusqu’à « The End of the End ».

Cette temporalité étirée explique l’équilibre singulier du disque : une énergie de groupe captée « live » et, en même temps, un travail d’orfèvre sur les textures, les rythmiques et les enchaînements. Le propos, lui, s’en ressent : l’album assume d’être personnel et rétrospectif sans devenir mémorialiste.

« La mort comme sujet » : un déclic littéraire et une culture de la célébration

McCartney a raconté qu’une formule entendue dans une chanson—une évocation limpide du « jour où je mourrai »—l’a poussé à oser le thème. Il situe ce déclic du côté de James Taylor, sans en faire un acte d’allégeance : l’idée, surtout, l’impressionne par sa franchise. De là, il se tourne vers un imaginaire qui lui parle : la veillée irlandaise, ses récits, ses rires, sa manière de célébrer la vie de la personne disparue.

Dans cette façon de poser la mort comme objet d’écriture, il y a le refus d’un tabou. McCartney sait que le sujet est « peu jovial », mais il préfère l’affronter—et même le désamorcer—plutôt que de le contourner. La chanson déploie ainsi une philosophie : faire de la dernière page une fête sobre, une réunion de souvenirs et d’histoires, plutôt qu’un office terni par la peur.

L’écriture : un autoportrait sans narcissisme

Sur le plan textuel, « The End of the End » est un autoportrait au je qui n’a rien d’autocentrique. Le narrateur énonce ce qu’il souhaite pour sa propre cérémonie, de façon nette, presque prosaïque. La prière est à la fois intime et transmissible : chacun peut s’y reconnaître.

McCartney évite deux pièges : l’élégie pesante et l’ironie qui fend le sérieux. Il n’idéalise pas, il règle des détails. Il paraphrase même, parfois, la vie ordinaire—les amis, la famille, les chansons que l’on joue—comme pour désacraliser l’instant. Ce réalisme est la clé de l’émotion : on n’entend pas un héros qui se signe ; on écoute un homme qui organise sa sortie.

La musique : piano, souffle, et un sifflement comme promesse

Musicalement, le morceau s’ouvre sur le piano de McCartney, presque nu. La prosodie épouse des phrases longues, sans urgences, avec une batterie aux balais qui respire et des cordes qui enveloppent sans tout envahir. La prise vocale, frontale, garde un grain d’atelier : on perçoit ce que McCartney voulait —dire sans masque.

Détail marquant : la coda au sifflement, légère, qui passe comme un air qu’on se rappelle en quittant la salle. Elle fait le pont avec « Nod Your Head », l’ultime rafale rock de l’album, et scelle l’idée d’une sortie qui n’est pas une clôture, mais un passage.

Où la chanson a été écrite, et pourquoi cela compte

McCartney situe l’écriture de « The End of the End » au piano de son père Jim, dans la maison de Cavendish Avenue. Ce détail n’est pas anodin : il convoque la mémoire filiale au cœur d’un morceau qui parle du dernier jour. Écrire sur l’instrument paternel, c’est inscrire la chanson dans une lignée—celle d’un fils devenu père, d’un musicien dont l’oreille fut éduquée à la maison.

Une place stratégique dans la « suite » finale

Dans la suite de fin d’album, « The End of the End » arrive après l’ample « House of Wax »—où McCartney mesure la fragilité des images publiques—et avant le coup de sifflet très court et volontairement brut de « Nod Your Head ». Le contraste est voulu. Après s’être regardé dans le miroir et avoir accepté la fin, McCartney relance le disque sur une impulsion ludique. C’est une dramaturgie à lui seul : on affronte l’ombre, puis on rire un peu en sortant.

Une modernité douce : production et esthétique

Le producteur David Kahne pilote un équilibre délicat : respecter un jeu en grande partie capté dans sa fraîcheur, mais ménager des espaces pour que la chanson « tienne » dans un album pop de 2007. On entend des détails modernes—samples, Mellotron, traitements—en bordure d’un cœur acoustique. McCartney re‑basse parfois après coup, re‑bat des rythmes, arrange des chœurs comme on orchestrerait un piano. L’ensemble reste épuré : « The End of the End » n’est pas une démonstration de studio, c’est une scène tenue, un cadre pour une voix.

Un fil dans la carrière : entre Here Today, Little Willow et l’ultime couplet des Beatles

La question de la mort et de la mémoire traverse l’œuvre de McCartney. En 1982, « Here Today » dit adieu à John Lennon sur Tug of War, dans le format d’une lettre. En 1997, « Little Willow » accompagne le deuil de Maureen Starkey, amie de toujours, avec une douceur feutrée. En 1969, l’ultime couplet de « The End », sur « Abbey Road », formulait déjà une éthique qu’on lui associera à vie.

Ce que « The End of the End » ajoute de neuf, c’est le point de vue : McCartney parle de sa fin, organise son souhait, assume la lumière. Là où « Here Today » est une conversation avec un absent, « The End of the End » est une mise au point avec lui‑même.

Une mise en marché inédite, des chiffres qui parlent

La parution de Memory Almost Full inaugure la collaboration avec Hear Music et une distribution très visible en cafés. Résultat : un démarrage fort, avec un classement haut dans les charts américain et britannique, et un effet de vitrine inédit pour un artiste de ce rang au mitan des années 2000. Ce contexte contemporain n’est pas anecdotique : il cadre le discours du disque, qui regarde vers l’arrière sans renoncer aux modes du présent.

Réception critique : l’instant respecté

Dès 2007, la critique souligne la tenue d’écriture de « The End of the End » et l’intelligence de son placement dans l’album. Plusieurs chroniques comparent la suite finale à l’héritage d’Abbey Road, notant que McCartney retrouve ici une discipline de construction sur la longue durée. Certains commentateurs s’attardent sur la sérénité du morceau : pas de pathos, pas de grandiloquence, une acceptation qui rejoint l’universel.

Scène : une absence éloquente

Fait notable : « The End of the End » ne s’est jamais imposée dans les setlists de McCartney, pourtant riches de trésors et de surprises. On peut y voir la prudence d’un artiste peu enclin à plomber un stadium de rock avec une méditation sur la mort. On peut y lire, aussi, un respect pour un morceau qui appartient à la chambre d’écoute et au temps long du disque plus qu’au grand air du concert. L’éloquence, ici, tient à ce silence scénique : la chanson vit ailleurs.

Les questions d’images : funérailles, rituels, et l’ombre de l’Anglicanisme

En posant la veillée irlandaise comme modèle, McCartney déplace le centre de gravité. Le rite qu’il imagine est une fête, un moment où l’on raconte, où l’on rit, où la musique fait communauté. À l’arrière‑plan affleurent les contrastes culturels : une Angleterre officielle, sonore de cloches, et une Irlande où l’on boit et chante pour honorer. McCartney mixe ces images et en tire une poétique : la mort n’est pas un spectacle, c’est un rassemblement.

Détails d’atelier : où l’on perçoit la main d’un arrangeur

À l’écoute fine, on relève des choix de mise en scène :

— la batterie aux balais, qui évite la marche funèbre mais porte le pas ;

— les cordes réduites à un halo, qui ajoutent une respiration plutôt qu’un drame ;

— le piano comme colonne, dont les arpèges sont parfois doublés par des voix en orchestration, technique typique des années 2000 chez McCartney.

Ce sont des gestes discrets mais décisifs : ils empêchent la chanson de tourner à l’hymne, l’ancrent dans une intimité qu’on peut partager.

Mémoire, anagrammes et légendes urbaines

Le titre Memory Almost Full a généré des lectures—dont celle, persistante, de l’anagramme « for my soulmate LLM », qui semblerait désigner Linda Louise McCartney. McCartney a noyé le poisson avec humour : le hasard fait parfois bien les choses, expliquait‑il, et l’expression lui venait d’un message affiché sur son téléphone. Ce flou poétique n’est pas sans charme : il renforce le jeu d’ombres et de souvenirs qui traverse l’album et culmine dans « The End of the End ».

Pourquoi cette chanson touche juste

Parce qu’elle prend la mort pour ce qu’elle est : un événement certain, intimement réglé, qui peut être pensé sans être dénié ni dramatisé. Parce qu’elle propose une image—celle d’une pièce claire, d’amis qui rient, de chansons qu’on rejoue—où l’on peut habiter. Parce qu’elle renverse l’ordre attendu : le dernier mot n’est pas une moralité, c’est une scène à vivre.

En cela, « The End of the End » est bien la seule chanson où McCartney pense explicitement à son héritage, non pas en dressant une statue, mais en accordant une ambiance et une manière. C’est moins une épitàphe qu’un mode d’emploi : se souvenir en souriant.

Ce que l’avenir a confirmé

Le temps a fait son œuvre. Memory Almost Full s’est installé, pour beaucoup, comme le meilleur McCartney tardif avec Chaos and Creation et Egypt Station. La suite finale continue de séduire par sa tenue, et « The End of the End » demeure ce point fixe émouvant dont la retenue vaut leçon. Au fil des tournées, McCartney a préféré offrir la catharsis collective des grands hymnes—des Beatles et de sa carrière solo—plutôt que d’insérer cette méditation dans le spectacle.

On peut regretter de ne pas l’avoir entendue sur scène. On peut y voir, aussi, un choix artistique : laisser à « The End of the End » sa chambre, ses lumières basses, sa respiration qui ne supporte pas la clameur. Ce respect, peut‑être, est la preuve la plus nette de ce que la chanson pèse dans l’œuvre.

À l’heure du bilan, « The End of the End » ne fige rien : elle oriente. McCartney y décrit une façon de partir qui est aussi une façon de vivreracontée, partagée, musicale. Dans un catalogue où les sommets abondent, la chanson brille par sa simple justesse. Elle ne parle pas de postérité comme d’un piédestal ; elle invite à un dernier moment de joie. Et si l’héritage de McCartney tient, au fond, à une éthique de la générosité, alors « The End of the End » en est l’expression la plus pure.


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