Dans les années 1990, Oasis revendique son admiration pour les Beatles tout en provoquant la comparaison. Paul McCartney, d’abord bienveillant, finit par critiquer le groupe pour son arrogance et son style « dérivé ». En 2021, Noel Gallagher reconnaît l’influence capitale des Beatles. Cette relation complexe entre admiration, excès médiatiques et filiation musicale raconte une page de la pop britannique et éclaire ce que signifie vraiment hériter d’un mythe.
Au mitan des années 1990, Oasis explose et relance la fierté pop britannique. La presse oppose vite les frères Gallagher aux Beatles, leur influence revendiquée. Dans ce jeu de miroirs, Paul McCartney alterne bienveillance et agacement jusqu’à lâcher, à la fin de 1997, une phrase choc : « Ils sont dérivés et pensent trop à eux-mêmes… Ils ne signifient rien pour moi. » Vingt ans plus tard, Noel Gallagher finit par admettre publiquement que les Beatles « comptent tout » pour lui et que la comparaison était « embarrassante ». Retour, documents et contexte à l’appui, sur une relation faite d’admiration, de bravade et de piques.
Sommaire
- 1994‑1996 : l’irruption d’Oasis et le miroir Beatles
- Novembre 1997 : la phrase qui fait le tour du monde
- Pourquoi McCartney a‑t‑il durci le ton ?
- 2001 : sur les ondes américaines, un éclaircissement
- L’anatomie d’une influence : ce qu’Oasis a vraiment pris aux Beatles
- Bravade et boomerang : « plus grands que les Beatles »
- George Harrison, l’autre ligne de fracture
- Le retournement de 2021 : « les Beatles comptent tout pour moi »
- Un contre‑champ inattendu : quand McCartney a joué avec Noel
- 2025 : le retour d’Oasis et l’ombre bienveillante des Beatles
- « Dérivés » : un mot qui dit plus qu’un reproche
- Ce que cette histoire dit des Beatles, au fond
- Épilogue : de la pique à la transmission
- Repères utiles
- Conclusion
- Pourquoi la comparaison Beatles/Oasis s’impose… et se détraque
- Ce que montre la musique, au‑delà des petites phrases
- 2016 : quand McCartney tire une leçon… pour tout le monde
- Knebworth, Cardiff, et la longue traîne d’un répertoire
- Post‑scriptum esthétique : ce que McCartney a peut‑être voulu protéger
1994‑1996 : l’irruption d’Oasis et le miroir Beatles
Nés au tournant de 1991 à Manchester, à une trentaine de miles de Liverpool, Oasis déboulent d’abord avec « Definitely Maybe » (1994), puis écrasent la décennie avec « (What’s the Story) Morning Glory? » (1995). En Grande‑Bretagne, l’album franchit un démarrage record et s’installe dix semaines en tête du classement. Le public chante « Wonderwall », « Champagne Supernova », « Don’t Look Back in Anger » comme autant de nouveaux standards. Très vite, les journalistes et les fans parlent d’héritage Beatles : références mélodiques, harmonies vocales, culture du single fédérateur, jusqu’au goût du coup d’éclat à la John Lennon.
Ce rapprochement, Noel et Liam Gallagher ne le refusent pas, loin s’en faut. L’un comme l’autre revendiquent l’empreinte des Fab Four sur leur écriture et leur attitude. Mais l’analogie tourne parfois au bras de fer symbolique : à mesure que l’hype enfle, les Gallaghers lâchent des formules spectaculaires—parfois sous l’effet de l’instant—sur la « taille » du phénomène Oasis face aux Beatles. Dans l’Angleterre de la Britpop, où la confrontation Oasis/Blur occupe la une, ces rodomontades entretiennent la fable d’un relais générationnel.
Novembre 1997 : la phrase qui fait le tour du monde
Fin 1997, Paul McCartney est interrogé sur Oasis. Sa réponse est sèche : « Ils sont dérivés et ils pensent trop à eux‑mêmes. Ils ne signifient rien pour moi. » La formule, lapidaire, allume une tempête médiatique. Elle intervient alors que le troisième album d’Oasis, « Be Here Now », peine à confirmer la promesse de « Morning Glory ». Le contexte nourrit l’emballement : l’icône Beatles rabroue les princes de la Britpop.
La réaction du camp Gallagher est immédiate et bruyante. Et George Harrison, lui, en ajoute une couche sur la voix de Liam : selon lui, le groupe se porterait mieux sans son chanteur, qu’il qualifie d’« excess baggage »—ce bagage encombrant qui fait dévier l’attention de la musique. La pique a un poids particulier : Harrison n’est pas un commentateur extérieur, mais un Beatle au parler tranchant.
Pourquoi McCartney a‑t‑il durci le ton ?
Caricaturer McCartney en père fouettard serait trop simple. Au début, il répond plutôt avec bienveillance : « Ce sont de jeunes types, je leur souhaite bonne chance. » Ce qui l’agace, avec le temps, c’est l’interminable procès‑verbal qu’on lui impose : à chaque promo, la même question. Et surtout, quelques fanfaronnades d’Oasis—du type « on est meilleurs »—finissent par le piquer. Pour un musicien qui a passé sa vie à déjouer la caricature « McCartney gentil / Lennon méchant », entendre qu’un groupe plus jeune dévalorise l’héritage des Beatles relève moins de l’ego que du cadre : on peut admirer, dialoguer et même s’affronter musicalement, mais de bonne foi.
2001 : sur les ondes américaines, un éclaircissement
Invité de la radio américaine au début des années 2000, Paul McCartney revient sur Oasis. Il rappelle qu’il s’est longtemps employé à encourager les Mancuniens avant de durcir son propos, lassé d’être pris à partie et irrité par des déclarations comparatives du type « on est meilleurs que les Beatles ». Et de préciser qu’il ne s’agit pas pour lui de démolir Oasis : il souligne plutôt le côté « dérivé »—autrement dit, influencé—d’une musique qui assume clairement ses modèles.
La nuance compte : pour McCartney, Oasis n’est pas un faux Beatles, encore moins une imposture. C’est un groupe qui travaille dans une tradition—celle que les Beatles ont en partie inventée—et qui, par endroits, frôle l’hommage.
L’anatomie d’une influence : ce qu’Oasis a vraiment pris aux Beatles
Parler d’influence ne suffit pas ; encore faut‑il écouter. Plusieurs morceaux d’Oasis montrent une digestion explicite des Beatles :
— « Don’t Look Back in Anger » s’ouvre sur un piano dont l’allure harmonique et le balancement rappellent « Imagine » de John Lennon. Noel Gallagher a d’ailleurs reconnu avoir repris au moins une formule de Lennon, entendue sur une cassette d’archives – ces mots sur « le cerveau qui te monte à la tête »—et l’avoir glissée dans ses propres paroles. La chanson, chantée par Noel, assume un classicisme mélodique qui touche par sa limpidité.
— Sur « Whatever » (1994), l’arrangement en cuivres et cordes convoque un esprit sixties très proche des orchestrations chères à George Martin, avec un timbre de guitare acoustique et des rythmes qui renvoient à l’optimisme de « All You Need Is Love ».
— « I’m Outta Time » (2008), écrite par Liam Gallagher, va plus loin : on y entend, en fin de morceau, un extrait vocal de John Lennon tiré d’une interview de 1980. Ici, l’héritage devient dialogue, presque conjuration : Liam accroche sa ballade crépusculaire au fantôme bienveillant de son idole.
— Même lorsqu’il ne cite pas, Oasis reprend aux Beatles un sens du refrain choral—ce chœur qui agrège une salle entière—de « Live Forever » à « Champagne Supernova ». L’économie harmonique est plus simple que celle du tandem Lennon/McCartney, mais la visée est la même : des chansons qui rassemblent.
De là naît la tension qui parcourt tout le débat. Oui, Oasis est parfois « dérivé »—comme l’est tout rock nourri par ses aînés. Mais « dérivé » ne veut pas dire « dérisoire ». La vraie question n’est pas « d’où ça vient ? » mais « qu’en fait‑on ? ». Aux années 1990, le groupe des Gallagher a remis au centre de la pop britannique une manière d’écrire simple, affirmative, hymnique.
Bravade et boomerang : « plus grands que les Beatles »
La petite phrase qui a mis McCartney hors de lui appartient à cette culture de la bravade. Au milieu des années 1990, au sommet de la vague, Oasis laisse entendre qu’ils sont—ou seront—« plus grands que les Beatles ». La bravoure fait titre, tourne en boucle, et installe une grille de lecture impossible : à partir de là, tout ce que publie Oasis est pesé à l’aune de cette comparaison. Quelques années plus tard, Noel Gallagher admettra que cette surenchère était maladroite, qu’elle déformait le regard porté sur le groupe, et qu’elle ne reflétait pas la réalité de ce qu’il ressentait pour les Beatles.
Dans la bouche de McCartney, la sentence sur la « plus grosse erreur » d’Oasis n’est pas une malédiction : c’est un constat de communication. On peut chercher à être meilleur que ses modèles, c’est même souhaitable ; annoncer qu’on va dépasser le mètre‑étalon Beatles, c’est se condamner à une comparaison perdue d’avance.
George Harrison, l’autre ligne de fracture
Au‑delà de McCartney, George Harrison a eu des mots durs pour Liam Gallagher dans les années 1990 : à ses yeux, Noel écrivait et chantait mieux, et l’attitude de Liam faisait passer le groupe pour une bande de « prannies ». L’analyse de Harrison n’est pas qu’une attaque ad hominem : elle dit quelque chose de son rapport à la scène et au charisme. Harrison a toujours préféré le son à la pose. À ce titre, l’esthétique d’Oasis—qui assume volontiers le bruit et la posture—ne pouvait que le laisser mitigé.
Le retournement de 2021 : « les Beatles comptent tout pour moi »
À l’automne 2021, Noel Gallagher est interrogé lors d’une projection du documentaire « The Beatles: Get Back ». Sa réponse surprend les amateurs de punchlines : la comparaison systématique avec les Beatles était « embarrassante », dit‑il, parce qu’Oasis « n’était pas aussi bon qu’eux ». Et il ajoute : les Beatles « comptent tout » pour lui, ils ont « les meilleures chansons, de loin ».
Ce revirement n’a rien d’une capitulation. Il acte, sobrement, ce que les fans de Beatles et d’Oasis savent depuis toujours : on peut être héritier sans être copie, admirer sans imiter, oser sans outrager. Il replace aussi Oasis à sa juste taille : un groupe majeur des années 1990, qui a réconcilié une jeunesse avec la guitare et laissé une douzaine de chansons que la foule reprendra encore longtemps.
Un contre‑champ inattendu : quand McCartney a joué avec Noel
Un pont relie pourtant ces univers au plus concret : en 1995, au cœur de la Britpop, Paul McCartney et Noel Gallagher se retrouvent en studio, sous le nom de Smokin’ Mojo Filters, pour réenregistrer « Come Together » au profit de War Child. À leurs côtés, Paul Weller. Le morceau sort en single, grimpe dans les charts et prouve qu’au‑delà des petites phrases, il existe une camaraderie musicale. Difficile d’imaginer Macca partager un micro avec un musicien pour lequel il n’aurait que mépris.
2025 : le retour d’Oasis et l’ombre bienveillante des Beatles
L’été 2025 marque une réunion qu’on n’attendait plus : Oasis remonte sur scène, ouvre son Live ’25 Tour au Pays de Galles puis enchaîne les stades britanniques et européens. Les setlists s’attachent à l’âge d’or des années 1990—« Rock ’n’ Roll Star », « Morning Glory », « Live Forever », « Don’t Look Back in Anger », « Wonderwall »—et l’émotion fait le reste. Le public chante, la nostalgie opère, une nouvelle génération découvre ces titres en direct.
Ce retour ravive inévitablement la question de la comparaison. Mais l’époque a changé. Les années ont lissé les antagonismes : Noel s’est installé en auteur respecté, Liam a rappelé, en solo, la force viscérale de sa voix, et l’ombre des Beatles est devenue un bien commun partagé sans jalousie. On peut entendre « Don’t Look Back in Anger » sans compter les réminiscences de Lennon ; on peut réécouter « Real Love » ou « Free as a Bird » en sentant qu’une chaîne invisible relie les décennies.
« Dérivés » : un mot qui dit plus qu’un reproche
Quand Paul McCartney lâche le mot « dérivé », il touche un nerf du rock. Toute musique populaire se transmet par formules, gestes, timbres. Les Beatles eux‑mêmes ont digéré le rhythm and blues, le Motown, la country, les Everly Brothers, Buddy Holly, Dylan—avant de refondre le tout en langage neuf. Le mérite d’Oasis n’est pas d’avoir inventé une grammaire inconnue ; il est d’avoir réactivé une évidence mélodique dans une décennie dominée par d’autres paradigmes (le grunge, l’électronique, le trip‑hop).
Dans cette perspective, « dérivé » peut signifier « relié ». Oasis est relié à Lennon par un piano d’introduction, à McCartney par un art du refrain universel, à Harrison par une économie de notes qui préfère la ligne au déluge technique. On peut discuter tel emprunt, tel clin d’œil ; on ne peut nier la sincérité de la démarche.
Ce que cette histoire dit des Beatles, au fond
La petite guerre des mots autour d’Oasis raconte, en creux, la place des Beatles dans l’imaginaire britannique. Être comparé aux Beatles, c’est à la fois une honneur et une malédiction : on gagne une légitimité symbolique, on perd la liberté d’être juste soi. McCartney le sait mieux que quiconque : depuis 1970, tout ce qu’il publie en solo est mesuré au canon Beatles. Qu’il se montre protecteur de cet héritage n’a rien d’étonnant. Qu’Oasis s’y soit frotté avec panache n’a rien d’infamant.
Cette histoire dit aussi la force d’un répertoire : si l’on continue, en 2025, de débattre du lien entre Oasis et les Beatles, c’est parce que l’un et l’autre appartiennent au patrimoine vivant de la pop. L’émotion que suscitent les refrains d’Oasis—dans un stade, un pub, une cérémonie—n’est pas si éloignée de celle que provoquent encore « Hey Jude » ou « Let It Be ».
Épilogue : de la pique à la transmission
On peut retenir de 1997 un bon mot de McCartney, et en faire une querelle à rallonge. On peut, plus utilement, regarder le mouvement d’ensemble.
— D’abord, un groupe jeune, Oasis, qui assume la dette aux Beatles et la transforme en hymnes générationnels.
— Puis, une icône du XXᵉ siècle, Paul McCartney, qui rappelle qu’un héritage n’est pas un jouet de communication : on ne gagne rien à défier ses maîtres en public.
— Enfin, des musiciens qui, avec le temps, reconnaissent ce qui compte. Lorsque Noel Gallagher explique que les Beatles « comptent tout », ce n’est pas une abjuration ; c’est la formule paisible d’un artiste qui connaît la source d’où il a bu.
Au bout du compte, l’histoire McCartney/Oasis n’est ni un divorce, ni une réconciliation : c’est un apprentissage public des filiations en pop. Oasis aura permis à des millions d’auditeurs de remonter vers Lennon, McCartney, Harrison et Starr. Et les Beatles, à travers ce débat, auront rappelé que leur empreinte n’est pas un sceau de musée, mais un levier pour d’autres chansons.
Repères utiles
— Oasis se forme au début des années 1990 et publie « Definitely Maybe » en 1994, puis « (What’s the Story) Morning Glory? » en 1995, album au démarrage record et dix semaines numéro 1 au Royaume‑Uni.
— Paul McCartney commente Oasis à plusieurs reprises : bienveillance initiale, puis critique publique en 1997 (« dérivés… ne signifient rien pour moi »), avant un recadrage au début des années 2000 où il explique sa lassitude d’être questionné en permanence et son rejet des déclarations comparatives.
— George Harrison
pose un regard tranché sur Liam Gallagher, le qualifiant de bagage encombrant et louant la plume de Noel.
— Noel Gallagher
reconnaît en 2021 que la comparaison avec les Beatles était « embarrassante » et déclare que les Beatles « comptent tout » pour lui.
— McCartney et Noel
se retrouvent ensemble sur « Come Together » (1995) avec Paul Weller pour un album caritatif, signe que, loin des petites phrases, la musique sait relier.
— Oasis
ravit les stades en 2025 avec une tournée anniversaire centrée sur les classiques des années 1990, preuve que, trois décennies plus tard, ces chansons ont rejoint le panthéon populaire.
Conclusion
Le rock aime les duels ; la réalité, elle, préfère les lignes de crête. Entre Oasis et Paul McCartney, il y eut des flèches et des accolades, des emprunts et des déclarations trop grosses pour leur propre bien. Il reste une leçon simple : on peut être « dérivé » et dériver loin, pourvu qu’on apporte à ses modèles une part de présent. En ce sens, Oasis aura été un accélérateur : des Beatles aux stades des années 1990, et, en 2025, retour au présent. Les chansons parlent plus juste que les petites phrases ; elles, au moins, n’ont jamais eu besoin de se comparer pour exister.
Pourquoi la comparaison Beatles/Oasis s’impose… et se détraque
D’un point de vue médiatique, l’assimilation entre Oasis et les Beatles suit une logique classique. Deux frères charismatiques, une vitesse de conquête stupéfiante, des mélodies qui se sifflent dans la rue, des une(s) tapageuses : la presse adore les récits circulaires. Le Nord de l’Angleterre fournit une continuité géographique, Manchester répond à Liverpool, et la Britpop donne un cadre politique et culturel—le Cool Britannia des années Blair—où la musique sert de drapeau. Dans ce contexte, appeler Oasis « les nouveaux Beatles » procure une boussole au grand public et un raccourci aux manchettes.
Mais la comparaison se grippe pour au moins trois raisons. D’abord, la fabrique des Beatles était collective d’une manière qui n’a, au fond, pas d’équivalent direct : le jeu Lennon/McCartney, la place de George Harrison, l’oreille de George Martin, la vitesse d’expérimentation en studio. Oasis fonctionne autrement : un auteur central, Noel Gallagher, un frontman unique, Liam, et une esthétique qui privilégie le mur de guitares plutôt que l’hybridation permanente. Ensuite, le calendrier : les Beatles ont publié treize albums studio en sept ans au Royaume‑Uni, de 1963 à 1970, dans un monde médiatique et technologique sans commune mesure avec les années 1990. Enfin, le statut : là où les Beatles deviennent très vite un phénomène mondial irradiant bien au‑delà du rock, Oasis reste surtout un mythe national majeur, exporté mais ancré dans une Angleterre précise.
À cela s’ajoute le poids des déclarations. L’exagération fait partie du jeu rock : Lennon lui‑même avait déclenché un tollé en 1966 avec sa formule sur les « plus populaires que Jésus ». Dans une culture qui adore les formules, celles des Gallagher ont servi de bélier—puis de boulet. C’est précisément ce que McCartney pointe lorsqu’il parle d’une « erreur » de communication : défier les Beatles à voix haute revient à inviter la comparaison à chaque disque, à chaque concert.
Ce que montre la musique, au‑delà des petites phrases
Revenir aux morceaux remet l’aiguille au centre. La rythmique sèche de « Supersonic », la corde vive de « Slide Away », la montée slow‑burn de « Live Forever » : tout cela appartient au langage d’Oasis, pas à un calque des Beatles. Certes, « Don’t Look Back in Anger » emprunte un élan de piano à Lennon, et « I’m Outta Time » sampe une voix de John ; mais on chercherait en vain chez Oasis la polyphonie modale de « Because », les modulations en enfilade de « Penny Lane » ou la poésie mélodique tortueuse de « Happiness Is a Warm Gun ».
Inversement, on trouverait difficilement chez les Beatles l’idée sonore d’Oasis : cette saturation compacte qui transforme une mélodie simple en mantra stadium. Noel Gallagher a souvent expliqué sa méthode : partir d’un riff ou d’une progression limpide, les porter par des refrains en drapeau, et laisser la foule finir la phrase. L’énergie vient de ce partage—une manière de communion qui relève moins de la virtuosité que de l’évidence.
2016 : quand McCartney tire une leçon… pour tout le monde
Deux décennies après les années 1990, Paul McCartney revient, sans colère, sur la surenchère d’Oasis. Il explique que la pire stratégie consiste à annoncer qu’on va dépasser les Beatles. Non parce que ce serait impossible—la musique n’est pas une course—mais parce qu’un tel statement fausse tout : il plombe la réception critique et ferme les oreilles de ceux qui ne demandent qu’à écouter.
La leçon vaut au‑delà d’Oasis. On la devine dans le silence de tant d’artistes qui, admirant les Beatles, se gardent bien d’en faire des étendards. C’est une forme d’humilité active : reconnaître la source, puis trouver sa voix.
Knebworth, Cardiff, et la longue traîne d’un répertoire
Pour mesurer ce qu’Oasis a semé, il suffit d’énumérer quelques rassemblements. Knebworth, août 1996 : deux soirs, un quart de million de personnes. Cardiff, juillet 2025 : un stade plein qui reprend « Live Forever » ou « Wonderwall » comme des chants populaires. Entre les deux, des générations ont appris la guitare sur « Supersonic » ou « Half the World Away », et la culture britannique a reçu ces titres dans ses rituels : mariages, stades, hommages.
Si l’on éloigne la loupe, on voit deux héritages coexister : les Beatles, canon fondateur, et Oasis, passeur d’une façon de chanter ensemble. L’un n’annule pas l’autre ; ils se répondent. McCartney a parfois joué le gardien et Gallagher l’iconoclaste. Mais leurs parcours finissent par converger là où tout a commencé : dans la chanson.
Post‑scriptum esthétique : ce que McCartney a peut‑être voulu protéger
On peut lire la formule « dérivés » comme un coup de sang. On peut aussi y voir un réflexe de protection. Pour McCartney, les Beatles ne sont pas un totem figé ; ils sont une méthode : curiosité, craft, goût du détail, confiance dans l’audace. Toute comparaison qui réduit les Beatles à un logo l’irrite, parce qu’elle lèse ce qu’il juge essentiel : l’exigence. Ce n’est pas Oasis qui l’agace en soi, c’est l’usage qu’on fait des Beatles pour distribuer des médailles.
En 2025, la poussière est retombée. On peut aimer Oasis sans détester les Beatles, vénérer les Beatles sans mépriser Oasis. On peut surtout écouter ce que l’un a appris de l’autre : la confiance indéfectible dans la mélodie. À la fin, c’est elle qui reste. Et c’est peut‑être cela que, derrière un mot piquant, Paul McCartney a toujours voulu rappeler.
